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Justice

Le procureur Montgolfier sur la sellette

Un rapport d’enquête administrative met en cause sans ménagement le procureur de Nice Eric de Montgolfier et recommande son départ de la ville. Il s’agit d’un véritable désaveu pour un magistrat à la réputation de «monsieur propre» qui s’était attaqué dès son arrivée en 1999, à l’élite judiciaire et politique locale dont il avait notamment dénoncé les pratiques de corruption. Des déclarations que le rapport ramène aujourd’hui au rang de «rumeurs» voire de «ragots».
«Les mises en cause porteuses des craintes les plus graves reposent soit sur des fondements contestables et en tout cas non établis, soit sur des interprétations hâtives ou des erreurs d’appréciation, voire même de simples ragots». C’est en ces termes que le rapport de l’Inspection général des services judiciaires résume son jugement sur l’action du procureur de Nice Eric de Montgolfier, dont il préconise le départ tout comme celui de deux de ses proches, le président du tribunal de grande instance Hervé Expert et le juge d’instruction Philippe Dorcet.

Les rapporteurs font référence à plusieurs affaires dans lesquelles le procureur se serait avancé sans avoir de véritables preuves à faire valoir. Ils estiment notamment que dans le cas des poursuites engagées, en 2001, contre le doyen des juges d’instruction Jean-Paul Renard [mis en examen et finalement muté], soupçonné d’avoir utilisé le fichier du casier judiciaire pour obtenir des informations au profit de sa loge maçonnique, Eric de Montgolfier est allé un peu vite pour dénoncer les réseaux d’influence francs-maçons dans la région. Selon le rapport, «rien ne permet d’affirmer que le cours de la justice a été influencé par un réseau maçonnique au demeurant hypothétique et largement nourri de rumeurs». Même verdict sur la disparition inexpliquée de certains dossiers sensibles qui aurait entravé le cours de la justice, dénoncée par Eric de Montgolfier à son arrivée à Nice, qui ne serait pas «frauduleuse» mais plutôt à mettre sur le compte de simples «défaillances humaines ou organisationnelles».

Le Syndicat de la magistrature soutient Montgolfier

Les méthodes du procureur Montgolfier sont directement mises en cause et notamment sa tendance à médiatiser les affaires dont il s’est occupé. Les rapporteurs lui reprochent en fait d’avoir adopté «une stratégie de communication externe bâtie sur des sources incertaines, en tout cas insuffisamment vérifiées et recoupées» et d’avoir ainsi «conféré un relief et une crédibilité excessives à des soupçons et même parfois à des accusations qui n’auraient pas dû dépasser le stade des interrogations personnelles».

Il est vrai que le procureur a véritablement rué dans les brancards en n’hésitant pas à mettre en cause des notables locaux, comme dans l’affaire des appels d’offres lancés par la mairie et de l’attribution des marchés municipaux sur des critères douteux qui a aboutit à la mise en examen, en mars 2003, du directeur général des services de la ville, Michel Vialatte. Il s’est aussi mis à dos un grand nombre de magistrats lorsqu’il a accusé certains d’entre eux d’appartenir à un réseau pédophile local.

La stratégie du grand ménage engagée par Eric de Montgolfier dès son arrivée à Nice est donc aujourd’hui sanctionnée. Et l’enquête engagée à sa demande en 2001 se retourne finalement contre lui. Pour autant, le garde des Sceaux Dominique Perben a affirmé que ce rapport n’a pas «à déboucher sur des mesures à caractère disciplinaire». Par contre, il semble clair qu’une réorganisation du tribunal de Nice est à l’ordre du jour. La méthode employée pour rendre publics les résultats de l’enquête administrative est de ce point de vue significative. Terminé il y a un an et demi, la Chancellerie a finalement décidé de publier le rapport jeudi via son site Internet. Une procédure inédite qui pour certains vise à mettre la pression sur Eric de Montgolfier.

Mais pour le moment, le procureur ne semble pas du tout décidé à céder. Il a d’ailleurs affirmé qu’il n’entendait pas donner sa démission puisqu’il n’a commis «aucune faute». Dans une interview au quotidien Le Monde, publiée vendredi, Eric de Montgolfier fait état de sa convocation en avril à la Chancellerie, de son refus d’accepter une mutation sans remous à Versailles et de l’intérêt non dissimulé dont on lui a fait part sur deux affaires en cours qui «agaçaient». La première concerne les marchés truqués de Nice et la deuxième un dossier de viol qui pourrait impliquer le chanteur Johnny Hallyday. Il s’étonne aussi des accusations selon lesquelles son action a été inefficace pour remettre de l’ordre dans le système judiciaire niçois : «Il est curieux qu’on me mette en cause alors que depuis que j’avais obtenu le départ de plusieurs magistrats en septembre 2002, la juridiction avait retrouvé un climat apaisé et que les dossiers avançaient enfin. J’en viens à me demander si ce n’est pas cela que me reproche le ministère de la Justice : avoir trouvé des choses embarrassantes…»

Pour un certain nombre de partisans d’Eric de Montgolfier, la diffusion de ce rapport est avant tout politique. Le bâtonnier de l’ordre des avocats Jacqueline Maro a pris sans ambiguïté le parti du procureur et a déclaré que le rapport «n’a d’autre objectif que de sauver le système en place jusqu’aux prochaines élections». Le syndicat de la Magistrature a quant à lui mis directement en cause l’inspection générale des services judiciaires, qui n’est «pas indépendante» et a affirmé que la diffusion de son rapport est «une nouvelle manifestation de la reprise en main du parquet par le ministre de la Justice Dominique Perben».



par Valérie  Gas

Article publié le 27/06/2003