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OGM

Bras de fer entre les Etats-Unis et l’Europe

Les Etats-Unis et l’Europe tiennent mercredi à Washington leur sommet annuel. Après le refroidissement sensible des relations consécutif notamment à la guerre en Irak, cette rencontre devrait permettre de relancer un certain nombre de discussions sur des sujets parfois sensibles. En tête de liste des thèmes délicats figure celui des OGM (organismes génétiquement modifiés) sur lequel les points de vue paraissent difficilement conciliables. D’autant que le président Bush lui-même a jeté de l’huile sur le feu en attaquant la position des pays de l’Union européenne qui refusent les importations de produits agricoles transgéniques, au grand dam de Washington.
George W. Bush n’y a pas été avec le dos de la cuillère quand il a attaqué la position européenne concernant les OGM. A l’occasion de la conférence Bio 2003 à Washington, le président américain s’est livré à une attaque en règle contre le moratoire sur la culture et les importations de produits contenant des OGM appliqué depuis 1999 par sept pays européens, parmi lesquels la France. Il a déclaré que cette décision était basée sur «des craintes infondées et non scientifiques» et qu’elle avait incité certains pays en développement africains à refuser eux aussi d’importer des produits issus des biotechnologies par peur de voir les Européens leur fermer leurs marchés. «Dans l’intérêt d’un continent menacé de famine, je demande aux gouvernements européens de cesser de s’opposer à la biotechnologie».

Ces accusations n’ont pas été du goût des Européens. La Commission de Bruxelles a d’ailleurs rétorqué qu’«aucun pays de l’Union européenne n’a essayé d’imposer son point de vue à l’Afrique» et qu’en matière d’aide, les Etats-Unis n’ont pas de leçon à donner. «L’Europe accorde sept fois plus d’aide à l’Afrique que les Etats-Unis».

Ces déclarations offensives du président américain font suite au dépôt d’une plainte contre l’Union européenne auprès de l’Organisation mondiale du Commerce (OMC), le 13 mai dernier. Après plusieurs années de protestations, les Etats-Unis sont donc passés à la vitesse supérieure pour tenter d’obtenir le retrait d’un moratoire qu’ils jugent illégal. Ils ont été suivis dans cette procédure par l’Argentine. Si aucun accord à l’amiable n’est trouvé entre les deux parties dans un délai de 60 jours, les plaignants ont la possibilité de demander la formation d’un panel de trois experts indépendants dont la tâche est de trancher dans les 6 mois qui suivent.

Lutter contre la famine ou faire des profits ?

Dans l’intervalle, le moratoire a toutes les chances d’être levé. L’Union européenne examine en effet actuellement un projet de législation sur l’étiquetage et la traçabilité des OGM. De cette manière, chaque produit «contenant des OGM» sera identifié et un seuil de 0,9 % sera fixé. Les pays européens lient donc l’abandon du moratoire, pris en vertu du principe de précaution, à la mise en œuvre de ce cadre légal indispensable notamment pour assurer l’information des consommateurs européens en majorité très réticents face aux organismes transgéniques. Dans ces conditions, le marché continental risque de ne jamais être très attractif pour la commercialisation des produits contenant des OGM.

La colère de Washington concernant ce dossier a été renforcée dernièrement par le fait que le protocole sur la biosécurité adopté en 2000 dans le cadre du Programme des Nations unies pour l’Environnement, va bientôt pouvoir entrer en vigueur. Après la ratification du texte par Palau, un Etat insulaire du Pacifique Sud, le seuil des 50 approbations a donc été atteint et d’ici le 11 septembre 2003, les mesures prévues par cet accord, notamment sur la notification obligatoire des mouvements internationaux d’OGM, seront donc appliquées par les Etats concernés au rang desquels figure une dizaine de pays africains. Ce protocole dont l’objectif est de protéger la diversité biologique des risques présentés par les OGM ne va pas du tout dans le sens des désirs exprimés par les Etats-Unis d’ouvrir ce marché.

Il est vrai que les restrictions à la culture et la commercialisation des produits contenant des OGM coûtent cher aux grandes sociétés américaines spécialisées dans le secteur de l’agrochimie comme la multinationale Monsanto. Les Etats-Unis sont en effet le leader mondial dans le domaine des produits transgéniques et les variétés génétiquement modifiées représentent déjà 75 % du marché américain du soja, 71 % du coton, 34 % du maïs. Washington estime donc que le moratoire européen sur les OGM, qui ferme les portes de ce marché, fait perdre chaque année 300 millions de dollars aux producteurs américains, auxquels s’ajoutent les pertes dues au refus de certains pays africains d’accepter des semences et des cargaisons de céréales génétiquement modifiés, comme l’a fait récemment la Zambie.

Si les cultures d’OGM peuvent aider certains pays africains touchés par la pénurie alimentaire à nourrir leur population, elles peuvent aussi, et peut-être surtout, permettre aux multinationale américaines de faire de gros profits. Les attaques de George W. Bush contre la position de principe des pays européens qui désirent limiter les risques liés à la culture et la commercialisation d’organismes génétiquement modifiés dont on ne connaît notamment pas les effets sur la santé, ne sont donc pas forcément motivées d’abord et uniquement par le souci d’éviter la famine aux Africains. D’autant que de nombreux spécialistes remettent en cause le fait même que les OGM sont susceptibles de remédier à cette situation. D’une part, parce que les semences d’OGM sont plus adaptées aux besoins des grandes exploitations agricoles qu’à ceux d’une agriculture traditionnelle. Même si elles ont un meilleur rendement, elles coûtent plus cher et risquent d’aggraver l’endettement des exploitants. D’autre part, parce que la recherche sur les OGM porte essentiellement sur les cultures d’exportation et non sur l’agriculture de subsistance.



par Valérie  Gas

Article publié le 25/06/2003