Belgique
La Belgique rogne sa «loi de compétence universelle»
Sous la pression des Etats-Unis, la Belgique va réviser la loi qui permettait à tout citoyen du monde de porter plainte devant ses tribunaux pour génocide, crime de guerre ou crime contre l’humanité.
Menaces américaines. Officiellement, les pressions américaines ne sont pour rien dans la décision de la Belgique de réformer sa loi dite de «compétence universelle» qui permet aux tribunaux belges de juger les crimes de guerre, contre l’humanité et de génocide quel que soit l’endroit dans le monde où ils ont été commis. Pourtant, la colère de Washington a éclaté lorsque, la semaine dernière, des plaintes ont été déposées en vertu de cette loi de compétence universelle contre George Bush. Les Etats-Unis ont immédiatement agité la menace d’un transfert du siège de l’Otan (Organisation du Traité de l’Atlantique-nord) installé dans la banlieue de Bruxelles vers un autre pays. Plus discrètement, les Etats-Unis ont également fait valoir qu’une partie du trafic maritime en provenance des Etats-Unis transite actuellement par le port belge d’Anvers et qu’il pourrait être dérouté vers les installations de Rotterdam aux Pays-Bas.
Sérieux toilettage. La coalition majoritaire qui en train de former un nouveau gouvernement à Bruxelles a bien tenté en fin de semaine dernière de proposer des retouches limitées à la loi de compétence universelle. Mais le porte-parole du département d’Etat américain a déclaré vendredi soir : «Notre point de vue est que cette loi ne marche pas et qu’elle doit être abandonnée». Nouveau branle-bas de combat chez les libéraux et les socialistes au pouvoir en Belgique. Des réaménagements mineurs ne trouvent pas grâce aux yeux de Washington, pour autant, il n’est pas question pour la coalition et son chef de file le libéral, Guy Verhofstadt, de renoncer purement et simplement à cette loi. Guy Verhofstadt, bouleversé à l’époque par le génocide rwandais, a toujours été l’un des plus ardents défenseurs du texte. Dans ces circonstances, un nouveau et sérieux toilettage de la loi est donc décidé.
Les «démocraties» hors de portée de la loi. La nouvelle loi qui doit être présentée à l’automne au parlement belge limitera très sérieusement les possibilités de saisine des tribunaux belges. Il faudra en effet, que les victimes et/ou les auteurs des faits soient Belges ou résident en Belgique depuis au moins trois ans pour que les plaintes puissent être enregistrées. En outre le champ d’application de la loi se limitera aux pays qui ne sont pas des «démocraties». En termes concrets, cela signifie que les ressortissants de pays comme les Etats-Unis, la Grande-Bretagne ou encore Israël ne pourront pas être poursuivis. En outre, les règles d’immunité du droit international seront intégrées dans la loi.
Une loi sans équivalent. Depuis son adoption en 1993, la loi belge (en dépit d’une première réforme en avril dernier) est sans équivalent. Elle n’avait d’ailleurs pas échappé à tous ceux qui réclament justice à travers le monde, ni à ceux qui recherchent une tribune pour faire entendre leur cause. C’est d’ailleurs l’un des risques pointés par les partisans de la loi eux-mêmes qui reconnaissent que l’utilisation «politique» des plaintes déposées devant la justice belge risquait de discréditer la procédure (tout en alourdissant la charge de travail des magistrats). Aujourd’hui, le ministre belge des Affaires étrangères, Louis Michel, reconnaît lui-même que la loi «a été utilisée de façon abusive par ceux qui ont déposé des plaintes risibles contre Tony Blair, George Bush ou moi-même».
Un seul procès. En dépit d’un vacarme médiatique important fait autour des plaintes déposées contre diverses personnalités, la loi de 1993 n’a donné lieu qu’à un seul procès, celui de quatre ressortissants rwandais qui ont été condamnés en Belgique en juin 2001. En revanche, la liste des personnalités à l’encontre desquelles des plaintes ont été déposées est impressionnante. Outre, Bush, Blair et Louis Michel déjà cités, on peut mentionner Ariel Sharon, Yasser Arafat, Laurent Gbagbo, George Bush (père), Colin Powell, Hissène Habré, Saddam Hussein, Fidel Castro, Augusto Pinochet, etc.
Une loi affaiblie. Avant même le déclenchement de la colère de Washington, la loi de compétence universelle avait été ébranlée. Tout d’abord en février 2002, la Cour internationale de Justice déclarait illégal un mandat d’arrêt émis par la justice belge à l’encontre d’Abdoulaye Yerodia. Cet ancien ministre congolais qui avait prononcé des propos violemment anti-tutsi alors qu’il était en fonctions s’est vu reconnaître le bénéfice de l’immunité des ministres en exercice. Ensuite, les magistrats belges ont rapidement été confrontés aux limites de l’exercice devant l’impossibilité d’enquêter sur les faits qui leurs étaient soumis.
Des réactions de déception. L’organisation américaine de défense des droits de l’homme Human Rights Watch a immédiatement «regretté» la décision de la Belgique prise «sous la pression des Etats-Unis». Toutefois, l’organisation estime que «l’essentiel de la loi est préservé» mais si l’accès aux tribunaux belges sera fermé «à beaucoup de victimes déboutées chez elles». Pour sa part Amnesty International se dit «catastrophée». «On ne peut plus parler de compétence universelle» estime le représentant de l’organisation en Belgique.
«Délit d’immodestie». Au final, la loi belge de compétence universelle aura peut-être été victime de ce qu’un magistrat du royaume avait qualifié de «délit d’immodestie». En étant le seul pays au monde à reconnaître de manière aussi extensive la compétence de ses tribunaux en matière de génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité, la Belgique s’est exposée à occuper un rôle dont elle n’avait ni les moyens matériels, ni les moyens diplomatiques. La révision à la baisse du champ de la loi s’effectue certes aujourd’hui sous la pression américaine, mais il aurait dû intervenir en tout état de cause.
Ecouter également :
Françoise Bouchet-Saulnier, juriste internationale
Eric David, professeur de droit international à l’Université libre de Bruxelles (20’, 02/03/2002)
Sérieux toilettage. La coalition majoritaire qui en train de former un nouveau gouvernement à Bruxelles a bien tenté en fin de semaine dernière de proposer des retouches limitées à la loi de compétence universelle. Mais le porte-parole du département d’Etat américain a déclaré vendredi soir : «Notre point de vue est que cette loi ne marche pas et qu’elle doit être abandonnée». Nouveau branle-bas de combat chez les libéraux et les socialistes au pouvoir en Belgique. Des réaménagements mineurs ne trouvent pas grâce aux yeux de Washington, pour autant, il n’est pas question pour la coalition et son chef de file le libéral, Guy Verhofstadt, de renoncer purement et simplement à cette loi. Guy Verhofstadt, bouleversé à l’époque par le génocide rwandais, a toujours été l’un des plus ardents défenseurs du texte. Dans ces circonstances, un nouveau et sérieux toilettage de la loi est donc décidé.
Les «démocraties» hors de portée de la loi. La nouvelle loi qui doit être présentée à l’automne au parlement belge limitera très sérieusement les possibilités de saisine des tribunaux belges. Il faudra en effet, que les victimes et/ou les auteurs des faits soient Belges ou résident en Belgique depuis au moins trois ans pour que les plaintes puissent être enregistrées. En outre le champ d’application de la loi se limitera aux pays qui ne sont pas des «démocraties». En termes concrets, cela signifie que les ressortissants de pays comme les Etats-Unis, la Grande-Bretagne ou encore Israël ne pourront pas être poursuivis. En outre, les règles d’immunité du droit international seront intégrées dans la loi.
Une loi sans équivalent. Depuis son adoption en 1993, la loi belge (en dépit d’une première réforme en avril dernier) est sans équivalent. Elle n’avait d’ailleurs pas échappé à tous ceux qui réclament justice à travers le monde, ni à ceux qui recherchent une tribune pour faire entendre leur cause. C’est d’ailleurs l’un des risques pointés par les partisans de la loi eux-mêmes qui reconnaissent que l’utilisation «politique» des plaintes déposées devant la justice belge risquait de discréditer la procédure (tout en alourdissant la charge de travail des magistrats). Aujourd’hui, le ministre belge des Affaires étrangères, Louis Michel, reconnaît lui-même que la loi «a été utilisée de façon abusive par ceux qui ont déposé des plaintes risibles contre Tony Blair, George Bush ou moi-même».
Un seul procès. En dépit d’un vacarme médiatique important fait autour des plaintes déposées contre diverses personnalités, la loi de 1993 n’a donné lieu qu’à un seul procès, celui de quatre ressortissants rwandais qui ont été condamnés en Belgique en juin 2001. En revanche, la liste des personnalités à l’encontre desquelles des plaintes ont été déposées est impressionnante. Outre, Bush, Blair et Louis Michel déjà cités, on peut mentionner Ariel Sharon, Yasser Arafat, Laurent Gbagbo, George Bush (père), Colin Powell, Hissène Habré, Saddam Hussein, Fidel Castro, Augusto Pinochet, etc.
Une loi affaiblie. Avant même le déclenchement de la colère de Washington, la loi de compétence universelle avait été ébranlée. Tout d’abord en février 2002, la Cour internationale de Justice déclarait illégal un mandat d’arrêt émis par la justice belge à l’encontre d’Abdoulaye Yerodia. Cet ancien ministre congolais qui avait prononcé des propos violemment anti-tutsi alors qu’il était en fonctions s’est vu reconnaître le bénéfice de l’immunité des ministres en exercice. Ensuite, les magistrats belges ont rapidement été confrontés aux limites de l’exercice devant l’impossibilité d’enquêter sur les faits qui leurs étaient soumis.
Des réactions de déception. L’organisation américaine de défense des droits de l’homme Human Rights Watch a immédiatement «regretté» la décision de la Belgique prise «sous la pression des Etats-Unis». Toutefois, l’organisation estime que «l’essentiel de la loi est préservé» mais si l’accès aux tribunaux belges sera fermé «à beaucoup de victimes déboutées chez elles». Pour sa part Amnesty International se dit «catastrophée». «On ne peut plus parler de compétence universelle» estime le représentant de l’organisation en Belgique.
«Délit d’immodestie». Au final, la loi belge de compétence universelle aura peut-être été victime de ce qu’un magistrat du royaume avait qualifié de «délit d’immodestie». En étant le seul pays au monde à reconnaître de manière aussi extensive la compétence de ses tribunaux en matière de génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité, la Belgique s’est exposée à occuper un rôle dont elle n’avait ni les moyens matériels, ni les moyens diplomatiques. La révision à la baisse du champ de la loi s’effectue certes aujourd’hui sous la pression américaine, mais il aurait dû intervenir en tout état de cause.
Ecouter également :
Françoise Bouchet-Saulnier, juriste internationale
Eric David, professeur de droit international à l’Université libre de Bruxelles (20’, 02/03/2002)
par Philippe Couve
Article publié le 23/06/2003