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L''affaire Elf

Fin de partie au tribunal

Après quatre mois de débats, réquisitions et plaidoiries, fin du procès Elf et début du suspense. Dans quatre mois, la justice dira ce qu’elle pense d’une époque, d’un système et d’un groupe d’hommes. Enjeux: l’avenir des «affaires» et la gestion symbolique d’une aventure qui ne restera pas à l’honneur de la classe politique.
Il est presque 20 heures. «Levez-vous, s’il vous plaît», lance le président Desplan, un peu martial, à l’adresse des trente-cinq hommes et deux femmes entassés dans le prétoire. «Le tribunal rendra son jugement le 12 novembre, à 13h30. Il faudra, comme aujourd’hui, que vous soyez tous présents. L’audience est levée.» Sec comme une trique, frais comme au premier jour, le magistrat jette un dernier coup d’œil sur le baisser de rideau de la comédie judiciaire si brillamment orchestrée depuis quatre mois. Michel Desplan a sans doute réussi le procès de sa vie judiciaire, mais il flotte sous les lambris, où Marie-Antoinette fut condamnée à mort, un parfum de non-dit. Certains prévenus quittent la salle sans un mot, d’autres serrent une main, échangent un «bonnes vacances». Le suspens peut commencer.

Comme dans toute bonne intrigue, le nœud est inextricable. Et d’abord la situation d’André Tarallo, au choix selon ses avocats, «homme d’une stature immense», «pilier d’Elf» ou «financier occulte». En tout cas, ce camarade de Jacques Chirac à l’ENA risque gros –huit ans de prison pour le parquet- alors avec ses avocats il joue gros: la relaxe, pure et simple. Mais les magistrats du ministère public ont posé une véritable épée de Damoclès au-dessus de la tête du Monsieur Afrique. En demandant, dans leurs réquisitions, un mandat de dépôt à l’audience, ils ont brandi l’arme absolue pour un juge, celle qui consiste un briser un tabou propre aux usages politiques. En sept ans d’enquête, il ne s’est pas trouvé un seul magistrat pour réclamer et obtenir le placement en détention d’André Tarallo. Or, les quelques semaines de débats ont vraiment mis à mal la défense de l’ancien patron d’Elf Gabon.

Une affaire unique à bien des égards

L’argument du «mandant» a été écorné, quand ce ne fut pas l’image même du pionnier pétrolier, dépositaire des secrets du fondateur Pierre Guillaumat, bassement réduit à payer sur les fonds d’Elf les travaux de l’appartement de son fils. Sans oublier «l’erreur», dixit l’intéressé, de la villa corse. Autour de ce mandat de dépôt existe la tentation d’une transgression de l’ordre politique, avec cette interrogation: que vaut l’ordre dans une République où un «homme d’État» bafoue les règles communes ? Mais cette affaire Elf unique à bien des égards a déjà montré avec Roland Dumas, ancien président du Conseil constitutionnel, que les juges étaient prêts à jouer l’affrontement direct avec les politiques. A l’heure des comptes, il faudra sans doute aussi régler l’addition sans transformer André Tarallo en bouc-émissaire. Le dossier, rien que le dossier, mais tout le dossier a souvent répété le tribunal.

Le président Desplan s’est donné quatre mois pour trancher les litiges, nombreux, de ce fameux dossier. Par exemple: comment retranscrire, dans les peines infligées, la chaîne des responsabilités pénales et la chaîne de la responsabilité économique ? Le PDG peut-il être moins coupable que son conseiller ? Le montant des sommes détournées suffit-il à qualifier la gravité du délit ? Là encore, plusieurs points inextricables: Alain Guillon, ex-directeur du raffinage-distribution et André Guelfi, intermédiaire de haut vol, vont-ils tous les deux écoper des quatre années de réclusion réclamées par le parquet ? Et comment se satisfaire des deux ans avec sursis prônés contre le raider américain Jeffrey Steiner ? Dernier à plaider, lundi, Michel Halpérin l’avocat suisse d’André Tarallo soulignait avec malice, en sortant de l’audience: «c’est une tâche surhumaine de juger 37 prévenus à la fois, car il faut refaire 37 parcours personnels pour bien évaluer la responsabilité de chacun».

La crainte de tous les prévenus et de leurs défenseurs est bien l’effet d’amalgame, d’association de malfaiteurs qu’ont dessinée les audiences. Et puis les avocats auront bien des contournements sémantiques à inventer au moment du jugement, après avoir tant loué la qualité des débats. Pas simple, dans ces conditions, de trouver une raison d’impartialité ou un simple motif d’appel. Me Lantourne, conseil de Loïk Le Floch-Prigent, précisait d’emblée lors de sa plaidoirie que son client avait décidé de ne pas faire appel du jugement, quelle qu’en soit la sévérité.

Il faudra donc aux attendus (les motivations) du jugement à la fois une souplesse de diplomate et une rectitude de gendarme, deux vertus habilement utilisées par Michel Desplan. Nul n’ignore, qu’à l’issue de ce marathon judiciaire, les responsables politiques auront à apporter des réponses, en particulier à l’enjeu de la corruption, car l’affaire Elf est aussi celle d’un système et d’une époque. Le système est celui de l’indépendance énergétique de la France conçu comme un outils stratégique dans plusieurs zones d’influences, Moyen-Orient et Afrique. L’époque est celle des marchés obtenus grâce à de faramineuses commissions, sans que l’État ait développé en parallèle des moyens de contrôle suffisamment efficaces.

La convention anti-corruption de l’OCDE signée en 1997, qu’Américains et Européens ont mis trente ans à mettre au point, change les formes en mettant hors-la-loi la corruption d’agent étranger. Mais a-t-elle réellement modifiées les règles du marché ? D’après les prévenus, non. Les multinationales se sont simplement adaptées en externalisant les circuits de versement de commissions. Dès lors, à quoi peut bien servir ce procès Elf ? Indéniablement, à sensibiliser l’opinion et la classe politique. Réponse le 12 novembre.




par David  Servenay

Article publié le 09/07/2003