Irak
Une résistance insaisissable
Qui se cache derrière les attaques anti-américaines en Irak ? La question est devenue un véritable casse-tête pour les GIs confrontés quotidiennement à des tirs de roquettes RPG ou des jets de grenades. A tel point que le Pentagone vient de reporter le retour de 10 000 hommes de la Troisième Division d’infanterie qui devaient rentrer au pays.
De notre envoyé spécial à Bagdad
«Les Américains ne s’attendaient pas à un tel niveau de résistance, affirme un haut responsable de l’ONU. Ils sont de plus en plus embarrassés.» Leurs ennuis ont commencé dans le «pays sunnite» à Ramadi et à Fallouja, deux villes à l’ouest de Bagdad. «Les Américains ont commis une erreur, analyse un expert occidental. Les tribus avaient négocié l’arrivée des GIs. L’accord était le suivant : vous stationnez vos troupes à la périphérie et nous contrôlons la sécurité dans le centre-ville. Les tribus étaient bienveillantes à leur égard. Mais les Américains ont quand même voulu patrouiller déclenchant l’hostilité de la population locale très conservatrice. Les Américains auraient dû venir parler avec les chefs de tribus, reconnaître leurs erreurs et pourquoi pas les acheter. Personne n’auraient perdu la face.»
Au lieu de cela, les GIs se sentant menacés ont ouvert le feu sur les habitants et ratissé de manière musclée Ramadi et Fallouja. Quelques imans radicaux ont alors excité la population tandis que des anciens membres du régime de Saddam Hussein, très nombreux dans ces deux villes, relevaient la tête pour faire le coup de feu : le piège se refermait alors sur les Américains, dont les positions devenaient intenables sur le terrain. Le commandement US vient d’ailleurs d’annoncer un retrait progressif de Fallouja. Ce repli pourrait d’ailleurs préfigurer un plan des Etats-Unis pour minimiser leurs pertes : quitter les villes pour leurs périphéries, et demander à la communauté internationale d’envoyer une force de maintien de la paix.
Ni «l’Oncle Saddam», ni «l’Oncle Sam»
L’autre pôle de résistance se situe à Tikrit, fief de Saddam Hussein, Doura, Samarra, Baaqouba et Bagdad. Dans ces secteurs, les anciens baassistes et les services de sécurité de l’ancien régime sont très actifs. Ils opèrent en petits groupes autonomes. «Il y a des cellules dispersées un peu partout mais pas de commandement central, affirme un homme d’affaires irakien proche de ces milieux. Les contacts entre elles sont réduits pour assurer la sécurité des membres.»
Ces dernières semaines, une composante islamiste est venue s’agglomérer à cette résistance naissante. Des groupuscules ont même revendiqué des actions au nom d’Al-Qaïda. Dans le passé, les hommes de Ben Laden contrôlaient plusieurs villages au Kurdistan dans la zone frontalière avec l’Iran, mais avaient subi de lourdes pertes durant la campagne militaire américaine. Aujourd’hui, des islamistes pourraient utiliser «le prête-nom» d’Al-Qaeda pour passer à l’action. Des volontaires arabes sont eux aussi encore présents dans le pays. Le journal de Beyrouth, Al-Safir, indiquait récemment que deux Libanais originaires de la vallée de la Bekaa, fief du Hezbollah, avaient été tués à Fallouja.
Un seul mot d’ordre unit tous ces hommes : forcer les Américains à quitter le pays. Actuellement, la résistance s’organise et se structure. Notamment à partir de l’étranger. A Amman, cet homme d’affaires, que nous appellerons Abou Ahmed, travaillait avec sa société dans l’orbite de Saddam Hussein. Après la chute du régime, il n’est pas rentré en Irak. Aujourd’hui, il est à la recherche de fonds et de soutiens pour la résistance. «Nous avons besoin d’aide logistique pour renouveler nos armes et nos munitions,» dit-il, et d’avouer qu’il aurait entrepris des contacts discrets avec des pays qui étaient hostiles à la guerre.
Pour le moment, la résistance se concentre essentiellement dans les zones sunnites et à Bagdad. «Les Américains ont intérêt à maintenir Saddam comme épouvantail car s’il disparaît de la scène, les chiites pourraient entrer dans la résistance, car aujourd’hui, cette dernière est perçue comme un soutien à Saddam», analyse ce responsable de l’ONU. «La résistance ne s’étend pas. Si elle devait toucher les zones chiites, les Américains ne pourraient pas gérer la situation et seraient obligés de faire leurs valises rapidement. Les GIs actuels sont les fils de ceux qui ont disparu en 1983 dans l’attentat de leur QG à Beyrouth entraînant leur départ du Liban.»
Les chiites ont donné six mois aux Américains pour «faire leurs preuves», redémarrer le pays et redonner progressivement le pouvoir aux Irakiens. La formation du Conseil de gouvernement transitoire, où les chiites disposent de la majorité avec 13 membres sur 25, est le signe tangible qu’ils ont déjà obtenu une place de choix dans l’Irak de l’après-Saddam. Pour le moment, les oulémas de Nadjaf jouent la carte de la respectabilité pour ne pas effrayer les Américains.
La rue irakienne, elle, est partagée. Le sabotage des infrastructures n’est pas forcément populaire surtout quand il s’agit des centrales électriques ou des oléoducs : c’est la population qui doit subir les coupures de courant et les queues interminables aux stations services. Or, dans son immense majorité, elle aspire à la paix. Beaucoup d’Irakiens estiment aussi que la résistance fait le jeu de Saddam Hussein qu’ils veulent chasser de leur mémoire.
Nationalistes dans l’âme, ils ne sont pas prêts pour autant à accepter une occupation américaine de longue durée : ni «l’Oncle Saddam», ni «l’Oncle Sam», tel est le sentiment général. Tous les Irakiens sont néanmoins conscients qu’un départ prématuré de l’armée américaine pourrait plonger le pays, encore traumatisé par des années de dictature, dans une guerre civile abominable. De cela, personne ne veut prendre le risque pour l’instant.
«Les Américains ne s’attendaient pas à un tel niveau de résistance, affirme un haut responsable de l’ONU. Ils sont de plus en plus embarrassés.» Leurs ennuis ont commencé dans le «pays sunnite» à Ramadi et à Fallouja, deux villes à l’ouest de Bagdad. «Les Américains ont commis une erreur, analyse un expert occidental. Les tribus avaient négocié l’arrivée des GIs. L’accord était le suivant : vous stationnez vos troupes à la périphérie et nous contrôlons la sécurité dans le centre-ville. Les tribus étaient bienveillantes à leur égard. Mais les Américains ont quand même voulu patrouiller déclenchant l’hostilité de la population locale très conservatrice. Les Américains auraient dû venir parler avec les chefs de tribus, reconnaître leurs erreurs et pourquoi pas les acheter. Personne n’auraient perdu la face.»
Au lieu de cela, les GIs se sentant menacés ont ouvert le feu sur les habitants et ratissé de manière musclée Ramadi et Fallouja. Quelques imans radicaux ont alors excité la population tandis que des anciens membres du régime de Saddam Hussein, très nombreux dans ces deux villes, relevaient la tête pour faire le coup de feu : le piège se refermait alors sur les Américains, dont les positions devenaient intenables sur le terrain. Le commandement US vient d’ailleurs d’annoncer un retrait progressif de Fallouja. Ce repli pourrait d’ailleurs préfigurer un plan des Etats-Unis pour minimiser leurs pertes : quitter les villes pour leurs périphéries, et demander à la communauté internationale d’envoyer une force de maintien de la paix.
Ni «l’Oncle Saddam», ni «l’Oncle Sam»
L’autre pôle de résistance se situe à Tikrit, fief de Saddam Hussein, Doura, Samarra, Baaqouba et Bagdad. Dans ces secteurs, les anciens baassistes et les services de sécurité de l’ancien régime sont très actifs. Ils opèrent en petits groupes autonomes. «Il y a des cellules dispersées un peu partout mais pas de commandement central, affirme un homme d’affaires irakien proche de ces milieux. Les contacts entre elles sont réduits pour assurer la sécurité des membres.»
Ces dernières semaines, une composante islamiste est venue s’agglomérer à cette résistance naissante. Des groupuscules ont même revendiqué des actions au nom d’Al-Qaïda. Dans le passé, les hommes de Ben Laden contrôlaient plusieurs villages au Kurdistan dans la zone frontalière avec l’Iran, mais avaient subi de lourdes pertes durant la campagne militaire américaine. Aujourd’hui, des islamistes pourraient utiliser «le prête-nom» d’Al-Qaeda pour passer à l’action. Des volontaires arabes sont eux aussi encore présents dans le pays. Le journal de Beyrouth, Al-Safir, indiquait récemment que deux Libanais originaires de la vallée de la Bekaa, fief du Hezbollah, avaient été tués à Fallouja.
Un seul mot d’ordre unit tous ces hommes : forcer les Américains à quitter le pays. Actuellement, la résistance s’organise et se structure. Notamment à partir de l’étranger. A Amman, cet homme d’affaires, que nous appellerons Abou Ahmed, travaillait avec sa société dans l’orbite de Saddam Hussein. Après la chute du régime, il n’est pas rentré en Irak. Aujourd’hui, il est à la recherche de fonds et de soutiens pour la résistance. «Nous avons besoin d’aide logistique pour renouveler nos armes et nos munitions,» dit-il, et d’avouer qu’il aurait entrepris des contacts discrets avec des pays qui étaient hostiles à la guerre.
Pour le moment, la résistance se concentre essentiellement dans les zones sunnites et à Bagdad. «Les Américains ont intérêt à maintenir Saddam comme épouvantail car s’il disparaît de la scène, les chiites pourraient entrer dans la résistance, car aujourd’hui, cette dernière est perçue comme un soutien à Saddam», analyse ce responsable de l’ONU. «La résistance ne s’étend pas. Si elle devait toucher les zones chiites, les Américains ne pourraient pas gérer la situation et seraient obligés de faire leurs valises rapidement. Les GIs actuels sont les fils de ceux qui ont disparu en 1983 dans l’attentat de leur QG à Beyrouth entraînant leur départ du Liban.»
Les chiites ont donné six mois aux Américains pour «faire leurs preuves», redémarrer le pays et redonner progressivement le pouvoir aux Irakiens. La formation du Conseil de gouvernement transitoire, où les chiites disposent de la majorité avec 13 membres sur 25, est le signe tangible qu’ils ont déjà obtenu une place de choix dans l’Irak de l’après-Saddam. Pour le moment, les oulémas de Nadjaf jouent la carte de la respectabilité pour ne pas effrayer les Américains.
La rue irakienne, elle, est partagée. Le sabotage des infrastructures n’est pas forcément populaire surtout quand il s’agit des centrales électriques ou des oléoducs : c’est la population qui doit subir les coupures de courant et les queues interminables aux stations services. Or, dans son immense majorité, elle aspire à la paix. Beaucoup d’Irakiens estiment aussi que la résistance fait le jeu de Saddam Hussein qu’ils veulent chasser de leur mémoire.
Nationalistes dans l’âme, ils ne sont pas prêts pour autant à accepter une occupation américaine de longue durée : ni «l’Oncle Saddam», ni «l’Oncle Sam», tel est le sentiment général. Tous les Irakiens sont néanmoins conscients qu’un départ prématuré de l’armée américaine pourrait plonger le pays, encore traumatisé par des années de dictature, dans une guerre civile abominable. De cela, personne ne veut prendre le risque pour l’instant.
par Christian Chesnot
Article publié le 19/07/2003