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Cameroun

Le pays sombre dans l’insécurité énergétique

Avec les coupures intempestives d’électricité que le grand sud du pays a connues ces deux dernières années, le Cameroun paie la facture de «l’imprévision» des autorités. Aux dommages subis par les ménages, s’est ajouté un fléchissement du taux de croissance. Les milieux d’affaires se sont émus des conséquences de la situation sur leurs activités, tandis qu’un front de protestation sociale, déjà actif, entend poursuivre une campagne lancée il y a un peu plus d’un an. AES-Sonel, la société qui a signé une concession de production d’électricité avec le gouvernement annonce des mesures qui pourraient à terme, aider à résorber le déficit d’énergie.
De notre correspondant à Yaoundé

Déterminé, Anicet Ekane semble l’être. Le président du Manidem (un parti de petite envergure sur l’échiquier national), de plus en plus présent sur le front des batailles sociales, est l’un des initiateurs et principaux animateurs d’une campagne «anti-délestage» qui a été ponctuée, jusque là, de marches de protestation relativement suivies, dans les rues de Douala. Lancée fin 2001, alors que les coupures d’électricité intempestives puis programmées, sévissaient déjà dans le grand Sud du pays, cette campagne, même si elle donne une forte impression d’essoufflement, devrait donc reprendre à tout moment.

Le palabre n’est pas près d’être clos, alors même que depuis quelques semaines, les délestages se font rares. Mise en cause dès le début des perturbations, la météo s’est faite plus clémente. Les pluies ont succédé à des saisons sèches qui ne permettaient pas des retenues d’eau en quantités suffisantes au niveau des barrages, pour un pays dont les experts disent qu’il tirait, jusque là, 90% de sa production énergétique de l’hydroélectricité, et 10% de source thermique. Plus: le président du conseil d’administration de AES-sonel, le ministre camerounais chargé des missions à la présidence, Justin Ndioro, a récemment annoncé qu’une enveloppe de 75 milliards FCFA devrait servir à maintenir en bon état et à renforcer les moyens de production de la société, dont les installations devraient par ailleurs être remises en état.

La sonnette d’alarme était tirée depuis longtemps

À long terme, Justin Ndioro a annoncé la construction de deux barrages, qui ne seront pas opérationnels avant un horizon de six années. Ces ouvrages devraient permettre de résoudre de façon durable la question l’insécurité énergétique, dans un pays où 46% de la population utilise l’électricité comme source d’éclairage.

Enfin ! s’est-on écrié, dans les rangs des experts, pour saluer ces décisions, et déplorer que les pouvoirs publics n’y aient pas songé plus tôt, tout en ayant en mémoire, que le président de la République, s’exprimant sur cette crise de l’énergie, avait reconnu, fin 2002, dans une étonnante sérénité, lors de son traditionnel message de fin d’année, qu’elle était «largement due à l’imprévision». Et de fait, les premières alertes ont été données dès 1988.

Des spécialistes de la question, au ministère du développement industriel et commercial, attiraient alors l’attention de leur hiérarchie sur les risques d’insécurité énergétique qu’encourait le pays, faute pour l’Etat, de développer au maximum les potentialités hydroélectriques du pays. Rien ne fut fait. En 2001, un nouveau rapport sonnait à nouveau le tocsin. Le document confirmait la corrélation entre les «aléas de la nature» et le déficit d’énergie électrique. «L’hypothèse du déficit hydrologique résulte du fait que deux des trois barrages dédiés à la régularisation du cours de la Sanaga [le fleuve le plus long du pays, Ndlr] sont bien en-deçà de leurs performances nominales», écrivaient les auteurs du «rapport». Mais ils ajoutaient que le Cameroun produisait une quantité d’énergie électrique largement en dessous de celle qu’autorisait son potentiel réel.

Pour les experts du Comité d’études et de prospectives industrielles, «cette situation (était) très probablement la conséquence d’une non prise en compte des conclusions du Plan Energétique National réalisé en fin décennie 80 d’une part, et d’un frein à l’investissement de maintenance, de renouvellement et d’extension des équipements de production, résultante des politiques de restriction budgétaire liées au Programme d’Ajustement Structurel conclu avec la Banque mondiale, et le Fonds monétaire international, d’autre part». Peu avare de recommandations, ces experts préconisaient déjà une série de mesures destinées à éviter à sombrer dans l’indisponibilité énergétique. On envisageait alors : la production de l’électricité thermique en période de fort étiage moyennant une défiscalisation contrôlée du gasoil au profit au profit de AES-Sonel début 2002 ; l’exploitation au maximum du gaz naturel et du fuel lourd entre 2002 et 2004 ; et, la construction du barrage de régularisation de Lom Pangar et celle du barrage de production de Mevele sur le fleuve Ntem dans la partie méridionale du pays, à l’horizon 2010.

En attendant, les délestages ne sont pas allés sans quelques dégâts. Les ménages en ont trinqué, au gré des dommages divers. Sans défense, ils n’osent pas espérer des dédommagements de la part de AES-Sonel. Les milieux d’affaires avaient attiré l’attention des pouvoirs publics sur le fait que la crise de l’énergie électrique réduirait d’un point le taux de croissance au bout d’une année. Bailleurs de fonds, gouvernement et experts d’horizons divers s’accordent à reconnaître que le taux de croissance –estimé à 4,2%– a connu un fléchissement par rapport à la tendance des cinq dernières années, et que la crise de l’énergie n’y est pas pour peu. «Sur la base des données récentes de l’activité économique et du commerce international, et en tenant compte de l’impact des perturbations de la fourniture d’électricité sur la production de certaines industries, le taux de croissance du PIB réel pour l’année 2001/2002 qui s’est terminé le 30 juin dernier est maintenant estimé à 4,4 pour cent», écrivait le Premier ministre Peter Mafany Musonge au Fonds monétaire international, le 28 août 2002.

«Inutile de dire qu’avec son offre énergétique actuelle, le Cameroun ne peut pas satisfaire la demande des industries d’une certaine taille», explique un spécialiste.

Le site de AES-Sonel



par Valentin  Zinga

Article publié le 21/07/2003