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Cameroun

Le fantôme d’Ahidjo hante la scène politique

Une récente prise d’otages à Garoua, ville du Nord du pays qui a vu naître Ahmadou Ahidjo, vient relancer la question du rapatriement de la dépouille du tout premier président de la République qui repose en terre sénégalaise depuis son décès en 1989 et ce malgré la promulgation d’une loi d’amnistie en 1991. La question charrie un enjeu politique et peut-être électoral.
De notre correspondant au Cameroun.

Le 16 mai, la ville de Garoua, capitale de la province du Nord, s’endort hébétée, perplexe. Dans le journée, des dizaines de citoyens, ont accouru à une cérémonie annoncée comme celle de la remise par Jérôme Bayiha Mc Coy d’un chèque d’une valeur d’un million de dollars à Mohamadou Ahidjo, fils de feu Ahmadou Ahidjo, premier chef de l’Etat du Cameroun, président du conseil municipal de la ville et membre influent de l’Union nationale pour la démocratie et le progrès (Undp), dans le cadre des activités de la Citizen Civil Education (CCE), une Organisation non-gouvernementale dont ses promoteurs disent qu’elle devrait œuvrer à la lutte contre la pauvreté.

Contre toute attente, la cérémonie prend une autre tournure. Les citoyens présents sont pris en otage, sur ordre de Bayiha, d’origine camerounaise et de nationalité américaine, selon des sources concordantes. Parmi les otages, des enfants des autorités administratives de la ville. Bayiha, qui avouera plus tard avoir dissimulé cet aspect de la cérémonie, exige contre la libération des otages le rapatriement de la dépouille de Ahmadou Ahidjo, décédé en novembre 1989 à Dakar, et inhumé en terre sénégalaise. Les forces de l’ordre alertées réussissent à mettre fin à cette prise d’otages particulière. Elle retrouveront dans l’hôtel qui abritait les cérémonies des milliers de T-shirt sur lesquels était gravée l’effigie du défunt président de la République et, semble-t-il, des documents et des armes selon des sources diverses.

Bayiha est incarcéré depuis lors pour les besoins de l’enquête. La marche prévue à travers les artères de Garoua, ville natale du président Ahmadou Ahidjo, par des «adeptes» de cette démarche, arborant selon les prévisions les T-shirt à l’effigie du défunt chef de l’Etat, n’a pas lieu. Les enquêtes se poursuivent sur les pistes des suspects et au rythme de nombreuses interpellations. Et des sources administratives parlent d’un compact disque qui contenait un discours pré-enregistré dont la teneur n’est pas dévoilée mais qui aurait dû être lu sur les antennes de la station locale de la radio d’Etat, selon le scénario qu’elles prêtent aux auteurs de cette opération. Un peu comme lorsque fin 1999 un groupe d’activistes se réclamant du Southern Cameroon national council (Scnc, un mouvement sécessionniste anglophone) avaient, après s’être brièvement emparés de la station de la radio d’Etat de Buéa (capitale de la province anglophone du Sud-ouest), proclamé «l’indépendance de la république du Southern Camerons», laquelle couvre territorialement les deux provinces anglophones. L’annonce ne fut naturellement pas suivie d’effets. Mais à Garoua, s’est-il agi d’un coup de publicité pour Bayiha, candidat déclaré à la prochaine élection présidentielle prévue pour 2004, ou d’une tentative avortée d’une affaire plus complexe ?

Rien n’est clair pour l’instant

«Comment peut-on organiser le retour de la dépouille dans un bain de sang ? Dans une atmosphère de prise d’otages ? Et pour quel intérêt ?», s’est interrogé récemment M. Mohamadou Ahidjo, dans une interview accordée au tri-hebdomadaire privé La Nouvelle Expression. Avant de conclure : «C’est une histoire qui ne tient pas debout». Et voici que néanmoins, les débats sur le retour de la dépouille d’Ahmadou Ahidjo sont relancés. Dans le «mémorandum sur les problèmes du Grand Nord», sorte de brûlot consacré à la «marginalisation» de cette partie du pays, confectionné par un groupe d’anciens ministres de la région et publié en septembre 2002, la question était déjà posée en de termes clairs et graves : «Il n’y a point de grandeur dans la rancune surtout quand elle ne peut même pas épargner ceux qui ont déjà quitté la vanité de ce bas-monde, comme feu le président Ahidjo dont la dépouille mortelle attend toujours d’être rapatriée !», avaient fait observer les auteurs du «mémorandum».

Une mise en cause implicite du pouvoir en place. Lequel, n’a pas manqué de servir des verges à ses contempteurs. Exemple : la loi d’ amnistie votée en avril 1991, avait laissé deviner les perspectives du rapatriement des restes du premier Président de la République. Mais rien n’est clair. On parle de négociations qui traînent en longueur. «En ce qui concerne nos rapports avec les autorités, je rencontre de temps en temps certains proches du chef de l’Etat pour avoir une idée de ce qui se passe. Il n’y a aucun programme arrêté pour le moment», a dit Mohamadou Ahidjo... Dont beaucoup se demandent d’ailleurs s’il n’aurait pas pu actionner ou faire actionner d’autres leviers pour faire avancer ce dossier. En l’occurrence, des observateurs avaient un moment cru, que l’Undp de Bello Bouba Maïgari, considéré comme un des héritiers politiques de Ahmadou Ahidjo, insisterait sur la question lors de la signature, en novembre 1997, de la «plate-forme de gouvernement» avec le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc) de Paul Biya.

Il n’en fut rien. «Le président national du parti n’a jamais voulu lier ses positions politiques à cette question. Pourtant, en signant la plate-forme avec le Rdpc, nous abordions en filigrane cette question, lorsque nous parlions de l’application complète de la loi d’amnistie», regrette Célestin Bedzigui, vice-président de l’Undp, signataire au nom de ce parti de la plate-forme et connu pour ses divergences de vues avec Bello Bouba Maïgari. Il est vrai que d’autres structures que l’Undp n’ont pas fait mieux. Il en est ainsi d’une certaine «Association des amis de Ahidjo» qui comptait quelques figures parmi les notables de la scène, notamment l’avocate Alice Nkom, et qui fit parler d’elle le temps de se faire connaître.

Déjà considérée comme un des pans du dossier de la réconciliation nationale, le rapatriement de la dépouille de Ahmadou Ahidjo est un enjeu politique et électoral. Paul Biya qui, depuis la promulgation de la loi d’amnistie, a déjà été proclamé vainqueur de l’élection présidentielle par deux fois, en 1992 et en 1997, crédité de bons scores dans le Nord du pays sans avoir résolu le problème, pourra-t-il se permettre de l’éviter l’année prochaine ?



par Valentin  Zinga

Article publié le 01/06/2003