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Cameroun

La guerre des Bourses aura-t-elle lieu ?

Le Cameroun a vu sa Bourse inaugurée la semaine dernière à Douala, la capitale économique. Alors que le débat sur l’apport de cet instrument divise experts, opérateurs économiques et dirigeants de l’institution, on se demande ce qu’il adviendra du marché financier d’Afrique centrale, d’autant que Libreville a été choisie pour abriter le siège de la Bourse des valeurs mobilières de la sous-région.
De notre correspondant au Cameroun.

Certains ont pu pousser un «ouf» de soulagement. La Bourse des valeurs mobilières de Douala, la Douala Stock Exchange (Dsx) dont la création avait été annoncée par le Président Biya en décembre 2001, a finalement été inaugurée cette semaine par le Premier ministre, Peter Mafany Musonge. Société anonyme privée, au capital de 1,2 milliards Fcfa (dont 55% détenu par des banques, 20% par les sociétés parapubliques, 15% par les assurances, 5% par un partenaire international, 5% en portage par deux établissements de crédit), la Dsx devrait, aux dires de son Directeur Général Mathurin Ndoumbè Epée, voir sa fiabilité et sa crédibilité assurées par un certain nombre d’institutions: la propraco (une filiale de l’Agence française de développement), la Banque européenne d’investissement (Bei), le Fmo (une structure hollandaise de développement) et, bientôt, la Société financière internationale(Sfi). Autant de structures qui devraient garantir la totalité des investissements qui seront émis sur la place de Douala.

Selon la structure de la Douala stock exchange, deux catégories d’entreprises seront admises à solliciter des financements auprès de la Bourse: la première est composée des sociétés anonymes présentant une capitalisation boursière à l’introduction de 500 millions Fcfa, ayant fait des bénéfices déclarés au cours des trois dernières années et présentant au surplus trois exercices de comptes certifiés par un commissaire aux comptes agrée; quant aux entreprises de la deuxième catégorie, il devrait s’agir des sociétés anonymes présentant une capitalisation boursière à l’introduction de plus de 200 millions Fcfa, et présentant deux années de comptes annuels certifiés.

Alors que les experts ne prévoient pas d’opérations avant six mois à la Dsx, les dirigeants de la structure eux, s’enchantent déjà des perspectives. Selon le discours officiel, la Dsx, devrait permettre de «soutenir plus efficacement la stratégie de développement basé sur le libéralisme économique que le Cameroun a adopté; collecter l’épargne longue pour l’orienter vers le financement des investissements à un taux plus avantageux que celui offert par les banques ou les établissements de crédit spécialisés; renforcer les fonds propres des entreprises, y compris les banques, par appels publics à l’épargne; libérer la Banque centrale du financement du développement, afin qu’elle puisse se consacrer à sa mission primaire qui est d’assurer la stabilité monétaire; placer les excédents financiers; appuyer les opérations de privatisation actuellement en cours; attirer les capitaux étrangers».
Se voulant plus concret sur l’apport de cette Bourse des valeurs aux opérateurs économiques, Bénédict Belibi, président du conseil d’administration des marchés, a déclaré au quotidien gouvernemental Cameroon Tribune, que l’entrepreneur «aura désormais à sa disposition, trois modalités de financement. Il peut recourir à une émission d’action à travers son prestataire de services ; il peut venir à la Bourse se refinancer par l’émission d’un emprunt obligataire; il peut enfin coter une partie de ses actions en Bourse».

«La Bourse ne crée pas les emplois»

D'autres opérateurs économiques ne sont pas, pour leur part, aussi enthousiastes. «La Bourse comme instrument d’intermédiation financière est un outil qui ne répond pas dans l’immédiat aux attentes des opérateurs économiques camerounais. D’abord parce qu’elle ne crée pas les emplois. Elle ne peut aider que les entreprises des nationaux déjà créées et qui peuvent être cotées. Il n’y en a pas des masses au Cameroun. Ensuite, on peut se demander si on peut créer un instrument d’intermédiation financière pour les opérations de privatisations, ce qui est un des objectifs de cette Bourse. Enfin, l’histoire des Bourses nous apprend que c’est un jeu pour grands financiers», explique Pius Bissek, administrateur-délégué de Codilait, une PME basée à Douala, qui opère dans l’industrie laitière, et membre du bureau du Syndicat des industriels du Cameroun (Syndustricam). Pour lui, les priorités pour insuffler de l’oxygène aux petites et moyennes entreprises camerounaises sont d’un tout autre ordre. «Ce qu’on devrait faire aujourd’hui, c’est de créer un Fonds de garantis et des banques de développement. Ce sont ces instruments qui garantissent la création de nouvelles entreprises et donc des emplois», assène-t-il.

Circonspect aussi sur l’apport de la Dsx aux entreprises locales, M. Babissakana, expert financier et directeur du cabinet Prescriptor, l'un des plus en vue de Yaoundé, l’est tout autant : «Les chances qu’ont certaines entreprises qui vont s’adresser aux structures de marchés sont faibles, parce que les conditions qui sont posées ne sont pas aisées à remplir. La Bourse, c’est l’élite des entreprises. Au Cameroun 90% des entreprises sont des PME qui ne peuvent pas accéder au marché. Dans ces conditions, les pouvoirs publics devraient se préoccuper de savoir comment faire en sorte que le marché du crédit moyen et long terme soit existant, puisqu’il n’existe pas d’institution qui offre ce type produit».

Reste que la Douala stock exchange est l’expression d’un sursaut d’orgueil national pour les autorités camerounaises. Pendant de longues années, la création d’une Bourse des valeurs mobilières d’Afrique centrale avait divisé Yaoundé et Libreville, quant au siège de cette institution communautaire. C’est Douala, la capitale économique du Cameroun, qui avait les faveurs des pronostics des experts, pour abriter cette Bourse. Principal argument avancé: le Cameroun pèse à lui toit seul, près de 60% du produit intérieur brut de la sous-région. Mais le Gabon n’avait pas lâché prise. Fin 2001, au sommet des chefs d’Etats de la Communauté économique et monétaire d’Afrique Centrale (Cemac) à Ndjamena, au Tchad, en l’absence de Paul Biya (représenté par son Premier ministre) les autres chefs d’Etat avaient alors décidé de faire de Libreville, le siège de la Bourse sous-régionale. Piquées au vif, les autorités avaient alors annoncé la création d’une Bourse camerounaise, confortées par le bon sens économique ambiant et la possibilité offerte à chaque pays de la Cemac de créer une Bourse nationale en dehors de la Bourse de la sous-région. La Douala stock exchange inaugurée, et en attendant l’ouverture de la Bourse de Libreville, beaucoup se demandent si les deux institutions ne vont pas se neutraliser. «Je ne pose pas le problème en ces termes-là. J’ai eu pour mission de créer la Douala Stock Exchange pour les besoins d’une économie. J’ai donc pour ambition de fédérer autour de la place de Douala les investisseurs de la sous-région et même au-delà», confiait il y a peu au trihebdomadaire privé La Nouvelle Expression, le directeur général de la Dsx Mathurin Doumbé Epée.

Des perspectives qui sont proches de celles que dessinent aussi nombre d’experts. «Dans les faits il y aura un seul marché sous-régional. C’est l’une des conséquences du cadre juridique de la sous-région. Maintenant, il faut reconnaître que si la Dsx se dote de professionnels qui vont assister les entreprises, il y aura un rapprochement autour de la place financière de Douala. Les autres places, si elles voient le jour seront complémentaires. Et le Cameroun a le plus intérêt à ce que le marché financier soit unique dans la sous-région», prédit M. Babissakana. Les jeux sont ouverts.



par Valentin  Zinga

Article publié le 29/04/2003