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Cameroun

Ecartelé entre Paris et Washington

Le Cameroun a du mal à adopter une position claire à propos du désarmement de l’Irak. Fidèle à sa réputation, Yaoundé s’est exprimé dans des formules qui sont loin d’être univoques, ne se rangeant pas à l’option belliciste américaine, tout donnant l’impression de soutenir la position pacifiste française. Une prise de position relevant de l’équilibrisme pour ce membre du Conseil de sécurité de l’Onu, ancienne colonie française mais qui compte aussi sur le soutien américain.
De notre correspondant à Yaoundé

Le Cameroun n’est pas près d’être pris en défaut sur ce qui apparaît comme une coutume diplomatique. Membre non permanent du Conseil de sécurité de l’Onu, ses positions sur la question irakienne, ne sont pas très claires. Ce qui peut être considéré comme sa plus récente prise de position dans ce dossier est à mettre sur le compte d’une option commune affirmée par l’ensemble des États africains lors du sommet France-Afrique, tenu du 19 au 21 février 2003, résumée par la formule: «il y a une alternative à la guerre». Ceci peut laisser supposer que Yaoundé partage la même vision que Paris: un surcroît de temps aux inspecteurs en désarmement mandatés par l’Onu pour, arriver grâce à la coopération de Bagdad, au désarmement de l’Irak. Analyse d’autant plus autorisée que, bien avant la grand’messe franco-africaine de la capitale française, le Cameroun avait déjà fait entendre sa voix à l’Onu: «Le Cameroun, à la suite d’autres Etats du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies, ne peut que recommander la poursuite et la mise en œuvre d’actions vigoureuses, robustes et décisives pour amener les autorités irakiennes, à coopérer pleinement avec les équipes d’inspection», avait dit, le 5 février, François-Xavier Ngoubeyou, devant le Conseil de sécurité. Mais, le ministre d’État camerounais chargé des Relations extérieures, avait aussi laissé entendre qu’au Conseil de sécurité «revient la décision d’air dans sens comme dans l’autre», faisant allusion à l’option de guerre défendue par les États-Unis d’une part, et à celle du désarmement pacifique de l’Irak, prônée par la France d’autre part.

Déjà d’accord sur le fait qu’en règle générale, Yaoundé s’aligne sur les positions collectives, les spécialistes sont en pour reconnaître que dans ce dossier précis de la question irakienne, le Cameroun joue, au fond, les équilibristes.

Funambulisme diplomatique

«En réalité, la lecture de la position officielle du Cameroun reflète ses hésitations. Car, on peut très bien amener l’Irak à coopérer par la guerre, tout comme on peut le faire par des pressions. Et on voit bien que le Cameroun n’exclut aucune des options et semble dire: la guerre peut être évitée en même temps, elle est inévitable», explique un universitaire à Yaoundé. «Il s’agit d’une position qui oscille entre la position pacifiste française et un clin d’œil à la position belliciste américaine. Le Cameroun dans sa tradition diplomatique est un pays a toujours cherché une navigation entre les extrêmes», analyse le Pr Narcisse Mouelle Kombi, enseignant à la Faculté des Sciences juridiques et politiques de l’Université de Yaoundé II-Soa.

La démarche diplomatique de Yaoundé semble commandée par un certain nombre d’enjeux «qui sont économiques, géostratégiques, géopolitiques», selon le Pr. Kombi. Ce que semble confirmer la grille de lecture développée par un autre universitaire. «Il y a, explique-t-il, un ensemble de paramètres pour comprendre la difficile lisibilité de la position camerounaise. Dans un premier temps, on peut noter que le Cameroun est en général solidaire des options du tiers-monde, notamment la défense de la paix, surtout lorsqu’il y a une perspective de conflit entre un de ces Etats, et une grande puissance. Deuxièmement, il y a une dimension liée au poids des puissances qui sont divisées sur la question irakienne: l’une c’est la France, ancienne métropole, qui ne peut qu’essayer d’influencer la position camerounaise à sa faveur. Mais il y a aussi les États-Unis devenu un partenaire très important, surtout avec son déploiement dans le golfe de Guinée à la faveur des découvertes pétrolières, sans oublier que le Cameroun peut avoir besoin de Washington dans le cadre de la mise en œuvre de la décision de la Cour internationale de justice à propos de l’affaire Bakassi, en l’occurrence si le Conseil de sécurité était sollicité pour l’envi des forces sur le terrain».

A quoi d’autres ajoutent que la France a toujours été d’un précieux soutien pour le Cameroun, classé «pays pauvre très endetté», au sein des institutions financières internationales d’une part, et que les États-Unis qui ont déclaré le Cameroun éligible à l’initiative African Growth Opportunity Act –qui permet aux opérateurs économiques camerounais de bénéficier de a suppression de taxes pour certains produits à l’exportation– veillent tout aussi bien sur le pipe line Tchad-Cameroun. Commencés avec la caution de la Banque mondiale, les travaux de construction cet oléoduc, long de plus de 1 000 km, –dont près de 900 km traversent le territoire camerounais– sont considérablement avancés, pour le grand bien des firmes américaines qui y sont engagées.

Bref, dans ces conditions, «la situation du Cameroun relève d’un exercice extrêmement difficile , débouchant sur une position à la Salomon», comme dit un expert. «Le Cameroun, dit le Pr Narcisse Mouelle Kombi, est dans un jeu triangulaire, avec d’un côté la France , de l’autre les États-Unis, et plus loin tout ce qui a trait aux pays arabes et aux pays du Sud en général». Cela peut s’appeler du funambulisme diplomatique.



par Valentin  Zinga

Article publié le 22/02/2003