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Cameroun

La presse en difficulté

Deux journalistes du quotidien privé Mutations ont été interpellés et ont répondu à un interrogatoire, à la suite d’une enquête du journal sur les problèmes de la police, publiée au moment où se tenaient à Yaoundé, les travaux de la 71e session de l’Assemblée générale d’Interpol. Il y a quelques semaines déjà, un animateur d’une station de radio privée de la capitale, était suspendu d’antenne par le promoteur de la radio. Et cela, après une mise en garde du ministre de la Communication qui a dénoncé le non-respect des principes universels de la profession.
De notre correspondant à Yaoundé

Impossible de passer, ces derniers jours, par le lieu dit «Place Repiquet» à Yaoundé, où se situe le siège du quotidien privé Mutations, sans croiser les regards suspicieux et inquisiteurs des locataires des immeubles alentours. C’est à peine si le passant qui se dirige vers la rédaction du journal n’est pas confondu avec un policier en civil. Tout est pourtant revenu dans l’ordre chez les «Mutants». Comme en témoigne la traditionnelle conférence de rédaction qui se tient ce jeudi à 9h30.

L’émotion semble passée. Le souvenir lui, est encore vivace. Souvenir de l’arrivée, mardi dans la matinée, au siège du journal, d’une quinzaine d’éléments de haut rang de la police, dont certains étaient en tenue, d’autres en civil. Les policiers, qui ont ainsi débarqué dans les installations de Mutations, en violation du principe d’inviolabilité des salles de rédaction, garanti par la loi de 1990 sur la liberté de la communication sociale, étaient venus «chercher» Haman Mana, et Léger Ntiga, respectivement directeur de publication et reporter. Les deux journalistes ont ensuite été conduits au commissariat central et dans le service provincial de la Sûreté nationale. Interrogatoire serré. Colère des policiers. «Si votre article avait eu, un seul instant, des répercussions sur nos assises, nous sommes de la même génération, on se serait boxé ici», aurait déclaré le Commissaire de police divisionnaire, Jean Joel Ondo. Lequel était visiblement retourné. «Vous essayez de faire du chantage au délégué général. C’est sûr que vous êtes manipulés par les policiers qui ne veulent pas du bien au délégué. Quand des patriotes comme nous, contribuons à faire avancer le pays, vous faites tout pour qu’il recule. Si c’est la guerre que vous voulez, on va vous faire la guerre», aurait déclaré ce policier de haut rang. Des propos rapportés dans les colonnes du journal, qui n’ont pas été démentis par la police depuis lors.

Interrogatoire serré

Les deux journalistes ont regagnée leur rédaction trois heures plus tard, libres, et fixés sur les contours de leur interpellation. Dans son édition du mardi 22 octobre, Mutations avait consacré un dossier de deux pages «d’enquête sur la police camerounaise», prise, selon le journal, de «malaise». Un dossier dans lequel on apprend que «la police au Cameroun vit une crise devenue permanente car, les délais de formation, le renseignement, la gestion des hommes et des biens sont en nette régression dans ce corps où, même les cadres les plus importants, du fait du défaut d’une discipline véritable, ne prêchent pas par l’exemple». Un dossier qui n’était visiblement pas du goût des policiers, notamment du Pierre Milo Medjo, le délégué général à la Sûreté nationale. Un dossier d’autant moins toléré qu’il était publié, alors que les policiers du monde entier étaient réunis dans la capitale camerounaise, dans le cadre de la 71e session de l’Assemblée générale de l’organisation internationale de police criminelle, Interpol.

Une page est donc tournée- même provisoirement- pour Haman Mana, qui en a connu d’autres, dont son incarcération pendant plusieurs jours, il y a un an, suite à la publication des textes se rapportant à la réforme de l’armée. Reste que cette interpellation des journalistes de Mutations survient dans un contexte global qui incite à la méfiance. Il y a un mois, J. Rémy Ngono, animateur à la radio télévision siantou- une station privée qui fait l’unanimité sur son taux d’écoute élevé, et pas toujours sur le professionnalisme de ses journalistes- était suspendu d’antenne à la suite d’une série de «chroniques» généralement réputées pour leur impétuosité à l’égard des personnalités de l’establishment. Apparemment, le ministère de la Communication avait sommé le patron de cette radio privée, de choisir, entre ces chroniques «salées» et la fermeture de la station.

C’est du moins l’explication qui avait le plus circulé, sans que les autorités aient jugé nécessaire d’y apporter quelque démenti. Une hypothèse d’autant plus prospère que, quelques jours avant, le ministre de la Communication, avait effectué une sortie étonnante, dans un communiqué au ton musclé. Le professeur Jacques Fame Ndongo, entre rappels des textes en vigueur et mise en garde à l’endroit de la presse, avait constaté que, «depuis un certain temps, quelques organes d’information écrite ou radiophonique nationaux dérogent de manière répétitive et intentionnelle aux sacro-saints principes universels de la profession en s’immisçant intempestivement dans la vie privée des citoyens, fussent-ils des corps constitués, en dépit des normes légales, réglementaires ou professionnelles et des fréquentes mises en garde du ministre de la Communication». Avant de se faire plus menaçant: «La liberté de presse est une liberté fondamentale et une liberté publique garantie par la constitution et la République. En tant que telle, elle ne peut valablement être exercée que dans le respect des droits et libertés d’autrui qui sont des attributs imprescriptibles et inaliénables de toute société démocratique. Quiconque en abuse doit s’attendre à être poursuivi, à tout moment, soit par la victime, soit d’office, par l’Etat agissant pour le compte de la collectivité».

Cette sortie avait été diversement appréciée. Certains saluaient une réaction depuis longtemps attendue même s’ils étaient soupçonnés de profiter de cette mise en garde pour faire oublier les frasques étalées dans les colonnes des journaux. D’autres redoutaient qu’on en arrive, plus tard, à bâillonner une presse, dont beaucoup conviennent au demeurant, que certains titres n’ont pas brillé ces derniers temps, par leur rigueur dans le traitement de l’information. Et depuis, les médias ont le sentiment qu’une épée de Damoclès est suspendue au-dessus d’eux.



par Valentin  Zinga

Article publié le 27/10/2002