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Cameroun

Des taux d’échecs records au baccalauréat

Près de 80% des candidats n’accéderont pas à l’enseignement supérieur l’année prochaine. Le gouvernement s’en prend aux enseignants, aux élèves et aux parents. Il n’est pas sûr que la grève lancée par des syndicats soit étrangère à cette hécatombe.
De notre correspondant au Cameroun

Les lycéens camerounais n’ont pas brillé cette année. Seulement 21% de taux de réussite au baccalauréat sur l’ensemble du pays, si l’on en croit le ministre de l’éducation nationale. «Si on s’en était tenu à la moyenne de 10/20, on aurait eu un taux de 6%» s’empresse de nuancer un syndicaliste.

Une chose est sure: le taux de réussite est passé brutalement du simple au tiers. Elle est lointaine, l’époque où, sous Adamou Ndam Njoya- ministre de l’éducation réputé pour sa rigueur et son éthique- les candidats aux examens officiels bombaient le torse d’avoir bravé les épreuves.

Depuis une décennie, parents, élèves, enseignants, et autorités ont été convertis à une nouvelle religion, celle des «modulations»; un doux euphémisme pour désigner ce que tout le monde souhaitait, et que personne n’avait vraiment le courage de nommer. «Une pratique cynique qui consistait à ajouter entre 40 et 70 points à tous les candidats, pour leur permettre d’être reçus aux examens; et cela à l’instigation d’un certain Conseil des examens qui usait de tous les prétextes pour amener le ministère à ordonner ces modulations aux jurys d’examens», explique Jean Marc Bikoko, secrétaire général du Syndicat national autonome pour l’enseignement et la formation (Snaef), l’une des composantes de la Fédération camerounaise des syndicats de l’éducation (Fecase).

«Les élèves ne font plus d’efforts»

En tournée dans les salles de rédaction, dans le cadre d’une campagne d’explication inédite, le ministre de l’éducation nationale a semblé confirmer l’analyse sur ce point. «Les résultats du bac sont le reflet du niveau des candidats», a lancé le ministre Joseph Owona. Et d’ajouter: «A force de croire que le ministre est un deuxième correcteur, les élèves ne font plus les efforts nécessaires». Procès des candidats. Procès de ces parents, qui, de l’avis du ministre, ne prennent pas leurs responsabilités. Procès enfin de ces enseignants, qui, aux yeux de Joseph Owona, font de la figuration, ne bouclent pas leurs programmes, et, qui plus est, ont lancé des grêves au cours de l’année écoulée. Là est le «problème fondamental», ne cesse de marteler le ministre.

L’année scolaire s’est achevée, comme elle avait commencé, sur fonds d’un malaise. Après des menaces de grève pour une «rentrée morte» lancées par certains syndicats, les relations entre les enseignants et le gouvernement se sont tendues. Las d’attendre la signature, par le président de la République, des décrets d’application du «statut particulier» -signé pourtant en octobre 2000- les syndicats, qui espèrent de ces textes une amélioration substantielle de leurs conditions de vie et de travail, ont durci le ton au fil des mois, face au silence du gouvernement. C’est ainsi qu’en janvier 2002, la Fecase, lançait «l’opération 20/20», qui consistait pour les membres de cette fédération –qui compte cinq syndicats parmi les plus puissants- à attribuer «la note maximale» à tous les élèves. Avec, l’option d’étendre l’opération aux examens officiels, si rien n’était fait par les Pouvoirs publics. Quelques mois après, le Syndicat national autonome de l’enseignement secondaire (Snaes) invitait à son tour, ses membres à attribuer aux élèves et aux candidats aux examens officiels, des «notes comprises entre 10 et 20/20». Ces deux opérations sont loin d’avoir été de vaines incantations. Elles ont touché de plein fouet, le secondaire public, avec des pics dans la province de l’Ouest. Le ministre a continué de clamer que le dossier n’est plus à son niveau, et de faire observer que des efforts ont été faits pour payer certaines primes aux enseignants. Insuffisant, au goût des syndicalistes.

Redoutant la menace que faisaient planer sur les examens, les mots d’ordre des enseignants grévistes, les autorités- ministère et Office du baccalauréat- ont écarté les syndicalistes de la correction des examens. Seulement voilà «en partant en guerre contre l’opération 20/20, le ministre oubliait qu’il courrait vers l’impasse», analyse Augustin Ntchamande, responsable provincial du Snaes dans la province de l’Ouest.

Avec les vols d’épreuves –qui ont obligé le ministère à repousser les dates du brevet à quelques jours de l’échéance initiale-, les substitutions des copies dans les jurys, les candidats qui passaient les épreuves à la place de ceux inscrits – pour ce qui est du certificat d’études primaires- l’année scolaire a fini par confirmer l’image d’un système éducatif décadent. Ce qu’ont bien compris les fils des dignitaires du régime qui ont pris le chemin des écoles huppées à l’étranger.



par Valentin  Zinga

Article publié le 21/08/2002