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Cameroun

Le réveil brutal de la question anglophone

Les revendications des sécessionnistes anglophones ont pris une tournure dramatique, le 1er octobre, avec la mort de trois personnes lors de manifestations dans le Nord-Ouest du pays. Mais les provinces camerounaises où l'on parle l'anglais sont encore loin de ressembler à la Casamance.
Pour le voyageur qui parcourt le Cameroun, le passage de la zone francophone (environ 78% de la population) à la partie anglophone du pays est toujours surprenant. Pour le folklore, on ne vend plus la baguette, au bord des routes, mais le pain de mie, survivance de la présence anglaise. Au fil des kilomètres, ce ne sont pourtant pas seulement quelques habitudes culinaires qui changent. Outre, bien sûr, l'usage de la langue de Shakespeare, les habitants des deux provinces camerounaises, du Sud-Ouest et du Nord-Ouest, ont acquis une identité bien particulière, héritage de quelques décennies de colonisation britannique. Officiellement, celle-ci est largement reconnue. Le Cameroun est, en théorie, un Etat bilingue. Les programmes de la radio et de la télévision nationales y sont déclinés en anglais et français. Depuis quelques années, le poste de Premier ministre est systématiquement détenu par un anglophone. Mieux, membre de l'Organisation de la francophonie, le Cameroun appartient aussi depuis peu au Commonwealth.

En réalité, la «question» anglophone est un thème récurrent de débat. Dans les provinces concernées, le sentiment général est que l'Etat central favorise systématiquement les francophones. Aux yeux de nombre de leurs ressortissants, les efforts consentis par le président Biya, consistant surtout à offrir des «postes» à des «élites» anglophones, n'est qu'un voile masquant de nombreuses inégalités. «Si vous regardez le gouvernement, vous constaterez qu'en fait aucun portefeuille stratégique ne leur est confié», confirme Valentin Siméon Zinga, rédacteur en chef d'une radio privée à Yaoundé. D'autres soulignent la faiblesse légendaire du réseau routier dans la partie anglophone, en particulier dans la province du Nord-Ouest, et évoquent avec amertume la décision d'écarter Limbe, une ville portuaire du Sud-ouest, comme point d'arrivée du futur oléoduc Tchad-Cameroun, au profit du site touristique de Kribi dans le Sud francophone.

La méfiance du pouvoir central

Il faut dire qu'entre le pouvoir central et les anciennes provinces britanniques, le courant n'est jamais réellement passé. C'est, certes, à Bamenda que fut lancé le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), parti du président Biya, en 1985. Mais cinq années plus tard, cette ville frondeuse vit aussi naître le Social Democratic Front (SDF), de son adversaire irréductible John Fru Ndi, un fils du terroir, donnant le coup d'envoi d'une vaste campagne de protestation en faveur d'une démocratisation de la vie politique.

Jusqu'au début des années 90, toute velléité identitaire est étouffée par le système parti unique. Mais en 1993, la «Conférence de tous les anglophones» (All anglophone conference), organisée à Buea (sud-ouest), regroupant de nombreux notables de tous bords, marque le début d'un mouvement de revendication, d'abord en faveur d'un retour au fédéralisme, puis progressivement de l'indépendance des provinces anglophones, avec la création du Southern Cameroon National Council (SCNC). Leur soutien populaire est difficile à mesurer. D'autant que les leaders du mouvement eux-mêmes sont divisés sur l'idée d'autodétermination. Toutefois, lorsque des réunions commencent à se tenir chez d'anciens hauts responsables de l'ex-parti unique, tels Solomon Tandeng Muna ou John Ngu Foncha, en 1994, le pouvoir s'inquiète et interdit toute manifestation liée à la cause anglophone.

Ses défenseurs ne parviennent pas à constituer un front commun. Pour autant, à partir de 1996, quelques durs n'excluent plus un séparatisme armé. En 1997, plusieurs attaques de postes gouvernementaux leurs sont attribuées par le pouvoir, dans la province du Nord-Ouest, donnant lieu à l'emprisonnement de plusieurs jeunes anglophones. Néanmoins, le «fait d'arme» avéré du SCNC consistera pour un groupe d'activistes à s'emparer brièvement des locaux de la radio nationale, à Buea, le 30 décembre 1999, pour y proclamer symboliquement l'indépendance de la République fédérale démocratique des Cameroun du sud. Leur meneur, Fred Ebong Alobwede, emprisonné quelques temps, devient entre temps président de cet Etat virtuel. Depuis sa libération, il vit en exil entre le Nigeria et la Grande Bretagne. En juillet dernier, il a même formé un gouvernement fantôme, où ont été nommé û à leur insu assurent-t-ils - John Fru Ndi en personne et le président du groupe SDF à l'Assemblée nationale Joseph Mbah Ndam. Malgré ces actes symboliques, on était, jusqu'ici, encore bien loin du bourbier casamançais dans lequel est empêtré le Sénégal depuis deux décennies.

Le 1er octobre dernier, anniversaire de la réunification des Cameroun anglophone et francophone au sein d'une fédération en 1961, la «question anglophone» a pourtant pris une autre tournure. Une partie au moins du camp sécessionniste, pour qui cette date marque le début de la marginalisation des populations de l'ancien Cameroun britannique, avait décidé de braver les interdictions en faisant descendre ses militants dans la rue. Des centaines d'entre eux ont ainsi marché au centre de Bamenda et à Kumbo, à une centaine de kilomètres de là. C'est dans cette petite ville, que la répression a été la plus violente. Selon un premier bilan, trois manifestants ont été tués et cinq autre blessés, alors que les deux vice-présidents du mouvement, Martin Luna et Nfor Ngala Nfor, ont été arrêtés. Embarrassé, le pouvoir fait le dos rond, mettant en cause la violence des manifestants. Mais les indépendantistes anglophones ont désormais leurs martyrs.



par Christophe  Champin

Article publié le 03/10/2001