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Cameroun

Lacs tueurs: opération dégazage

Quinze ans après la mort par asphyxie de près de 1700 personnes, les autorités camerounaises ont lancé un vaste programme de dégazage du lac Nyos dans le nord-ouest du Cameroun. Les questions liées à l'environnement et le retour des populations déplacées depuis la catastrophe restent posées.
De notre envoyée spéciale

Le lac crache un jet géant de 50 mètres de haut à 100 km/h. Difficile de le rater du haut de la falaise qui le surplombe, «terminus» d'un voyage cahotique de plusieurs heures en véhicule tout terrain. La piste est escarpée entre Nkambe et Nyos, où se niche le lac tueur, en pays bamiléké, dans la province anglophone du Nord-Ouest du Cameroun, dans un paysage volcanique. Après avoir traversé la route au milieu de la végétation luxuriante où quelques chèvres s'aventurent, voici la station d'observation du lac Nyos. Un campement de fortune en cours de construction équipé pourtant d'une technologie de pointe pour surveiller le lac meurtrier.

Le jet d'eau, composé à 90% de gaz carbonique et à 10% d'eau, change de direction selon le vent. Il est craché par une colonne installée au c£ur du lac, ancrée dans les eaux profondes (210 mètres). C'est un système équipé d'une pompe et d'un tube, qui permet de libérer le gaz comme dans une bouteille d'eau gazeuse que l'on ouvre. Une plate-forme de contrôle flotte comme un radeau. Elle envoie des informations en France via le satellite Inmarsat.

Devenue opérationnelle en janvier dernier et installée par une équipe de physiciens français de Chambéry dirigée par Michel Halbwachs, cette colonne signe le premier volet du vaste programme de dégazage du lac lancé par les autorités camerounaises. Des scientifiques belges, allemands, japonais, américains, camerounais, travaillent sur ces opérations, essentiellement financées par les Etats-Unis et surveillées par les satellites Inmarsat et Argos. Pour vider totalement le lac des 300 millions de mètres cube de gaz qu'il contient, quatre autres colonnes sont nécessaires mais le financement fait défaut.

Retour des populations?

Le ministre camerounais de la Recherche scientifique, Henri Hogbe Nlend l'affirme: «Le problème du lac Nyos est un problème de sécurité nationale». La tragédie du 21 août 1986 est encore dans tous les esprits ici. Cette année-là, en plein mois d'août et pendant la saison pluvieuse, le Cameroun a vécu une énorme catastrophe. En quelques minutes, plus de 1700 personnes vivant près du lac Nyos ont péri asphyxiées, la plupart piégées dans leur sommeil. Un nuage toxique a tué toute forme de vie dans la vallée, anéantissant tout sur son passage dans un rayon de 20 km. Le bétail est mort par dizaines de milliers. L'Afrique venait de connaître l'une de ses plus grandes catastrophes naturelles.

Deux ans auparavant, un autre lac, le lac Monoun, situé lui aussi en pays bamiléké, près de la frontière du Nigeria, en plein massif volcanique, avait laissé échapper, au mois d'août également, ses vapeurs mortelles. Les émanations de CO2, un gaz plus lourd que l'air, avaient provoqué la mort de 37 personnes dans le village de Njindoun. Ce lac devrait être dégazé en 2002.

La catastrophe de Nyos avait laissé les scientifiques perplexes et divisés. Des milliers de pages de rapports ont été rédigées, des dizaines de colloques ont été organisés et aujourd'hui, quelque 15 ans après la tragédie, le mystère demeure encore presque entier dans les eaux troubles et profondes du lac. Aujourd'hui, un consensus semble se dégager. «C'est le gaz carbonique qui est à l'origine de la catastrophe mais on n'arrive pas à comprendre le mécanisme qui a provoqué l'explosion de ce gaz qui est stocké au fond du lac, explique depuis le site d'observation de Nyos, Gregory Tanyileke, scientifique à l'Institut des recherches géologiques et minières de Yaoundé. On ne peut pas parler de zone sécurisée pour le moment tant que le gaz est entier dans le lac mais ce qu'on a mis en place comme mesure de sécurité nous rassure. Pour le moment, si on continue les opérations de dégazage, à long terme les gens pourront revenir ici».

Car là est aussi l'un des problèmes majeurs posés par l'explosion meurtrière du gaz de Nyos. Les populations rescapées, essentiellement des agriculteurs, ont été déplacées dans des camps avoisinants, en attendant des mesures d'aides que le gouvernement avait promis et qui ne sont jamais venues. Au village de Kimbi, nous avons rencontré Philomène. Elle avait huit ans au moment de la tragédie qui a coûté la vie à 46 personnes de sa famille «On dormait tous, c'était la nuit, j'étais encore toute petite. Trois jours après je me suis réveillée, mon frère était mort et ma mère avait un enfant dans les bras. Tous les deux étaient morts. La vie ici est très difficile mais on se débrouille quand même. La terre ne produit pas bien, on ne veut pas rester ici. On veut rentrer à Nyos».

En marge des superstitions, en Afrique, la terre des ancêtres est sacrée et il faudra bien envisager le retour des populations, dont les maisons abandonnées se devinent le long de la route du lac, livrées à la végétation. Même les maisons de «recasement», qui avaient été construites spécialement pour accueillir les rescapés, restent vides. Les voisins de Philomène, eux, ont choisi de rentrer pour cultiver le sol volcanique, bien plus riche et bien plus fertile. Ils ont bravé les croyances populaires bien ancrées, et selon lesquelles les changements de couleur des eaux provoqués par l'oxyde de fer sont dus aux esprits du lac qui vivent dans le royaume sous-marin.



par Sylvie  Berruet

Article publié le 17/05/2001