Cameroun
Les disparus de Douala
Le Commandement opérationnel, une unité spéciale chargée de la lutte contre le banditisme, sème la terreur dans la capitale économique camerounaise. Après la disparition de neuf jeunes gens pour un simple larcin, les évêques et plusieurs organisations de défenses des droits de l'homme ont fini par obtenir l'ouverture d'une enquête officielle. Selon Action des chrétiens contre la torture (ACAT) mille personnes ont été victimes des méthodes arbitraires de ces forces très spéciales.
Il y a un peu plus d'un an, les habitants de Douala n'osaient plus sortir de chez eux le soir. La recrudescence des attaques à main armée et agressions était telle que le grand centre économique du littoral, jusque-là fier de son dynamisme et de sa réputation «fêtarde», commençait à rivaliser avec des capitales comme Lagos ou Johannesburg en matière d'insécurité. Evénement rare, on avait même vu des manifestations d'expatriés français à Douala. Bientôt, Yaoundé, tranquille capitale administrative, faisait elle aussi la «Une» de la presse avec la multiplication des agressions, notamment contre les diplomates occidentaux.
Depuis, les rues des deux grandes villes sont théoriquement plus sûres, du moins en matière de grand banditisme. Car les citadins de Douala ont une nouvelle hantise qui tient en deux lettres : C.O, pour Commandement opérationnel. Créée en février 2000, cette unité spéciale, mise en place par les autorités pour faire baisser la criminalité, est de plus en plus critiquée pour ses méthodes arbitraires. La presse locale fait régulièrement état de meurtres et de disparitions de personnes qui n'ont souvent rien à voir avec les faits qui leur sont reprochés. Et on ne compte plus le nombre de témoignages de victimes ayant eu maille à partir avec ses justiciers d'un genre particulier. Comme cet homme d'affaire qui nous confiait récemment n'avoir eu la vie sauve, lors d'une interpellation musclée, que grâce à une relation haut placée qu'il a pu appeler sur son téléphone cellulaire.
Au moins cinq cent personnes exécutées
D'autres n'ont pas eu sa chance. Au point qu'en juin 2000, l'archevêque de Douala, le cardinal Christian Tumi, réputé pour son indépendance d'esprit, a saisi le gouverneur de la province pour dénoncer la multiplication des exécutions extra-judicaires. Quelques semaines plus tard, il lançait un cri d'alarme dans une lettre ouverte ironiquement adressée «aux voleurs et braqueurs». «Je suis convaincu que votre exécution extrajudiciaire sera une grave violation de nos droits fondamentaux», écrivait-il.
Réitérant ses propos au mois d'octobre, dans le bi-mensuel Jeune Afrique Economie, le prélat a fait état de l'exécution de cinq cents personnes et de l'existence d'un charnier dans les environs de Douala. Il a d'abord reçu une réponse cinglante du pouvoir qui a dénoncé ses accusations «mensongères» et «pernicieuses». Mais l'affaire a pris de l'ampleur. Le 23 janvier dernier, neuf jeunes gens sont interpellés dans le cadre d'une enquête sur le vol d'une simple bouteille de gaz, dans le quartier populaire de Bépanda. Enfermés à la légion de gendarmerie de Douala, puis transférés dans les locaux de la région militaire de la capitale économique, leurs familles sont sans nouvelles d'eux depuis le 29 janvier. Selon l'ONG Action chrétienne contre la torture (ACAT), qui parle de mille personnes victimes du Commandement opérationnel entre février 2000 et 2001, ils ont tout simplement été exécutés.
Depuis plusieurs semaines, les familles des disparus constituées en «comité des neuf», auxquelles se sont joints plusieurs membres de l'opposition, manifestent régulièrement pour obtenir des éclaircissements sur le sort des leurs. Le 11 mars, l'une de leur marche a été sévèrement réprimée par la police et plusieurs manifestants ont été blessés. Prenant leur défense, les cinq évêques du Cameroun ont pris la plume le 20 mars, pour que «les autorités fassent la lumière sur ce triste événement.» Dans le même temps, plusieurs organisations de défense des droits de l'homme et des représentants de l'Union européenne se sont rendus dans le quartier de Bépanda et ont rencontré les familles. Acculé, le président Paul Biya a fini par annoncer, le 21 mars, l'ouverture d'une enquête «approfondie» sur le sort des disparus de Douala.
En 1994, une autre unité spéciale, le Groupement spécial d'opérations (GSO), créée initialement sur le modèle du GIGN français, avait également fait l'objet de nombreuses critiques, après la multiplication d'arrestations arbitraires et de tortures à l'encontre de membres de l'opposition.
Depuis, les rues des deux grandes villes sont théoriquement plus sûres, du moins en matière de grand banditisme. Car les citadins de Douala ont une nouvelle hantise qui tient en deux lettres : C.O, pour Commandement opérationnel. Créée en février 2000, cette unité spéciale, mise en place par les autorités pour faire baisser la criminalité, est de plus en plus critiquée pour ses méthodes arbitraires. La presse locale fait régulièrement état de meurtres et de disparitions de personnes qui n'ont souvent rien à voir avec les faits qui leur sont reprochés. Et on ne compte plus le nombre de témoignages de victimes ayant eu maille à partir avec ses justiciers d'un genre particulier. Comme cet homme d'affaire qui nous confiait récemment n'avoir eu la vie sauve, lors d'une interpellation musclée, que grâce à une relation haut placée qu'il a pu appeler sur son téléphone cellulaire.
Au moins cinq cent personnes exécutées
D'autres n'ont pas eu sa chance. Au point qu'en juin 2000, l'archevêque de Douala, le cardinal Christian Tumi, réputé pour son indépendance d'esprit, a saisi le gouverneur de la province pour dénoncer la multiplication des exécutions extra-judicaires. Quelques semaines plus tard, il lançait un cri d'alarme dans une lettre ouverte ironiquement adressée «aux voleurs et braqueurs». «Je suis convaincu que votre exécution extrajudiciaire sera une grave violation de nos droits fondamentaux», écrivait-il.
Réitérant ses propos au mois d'octobre, dans le bi-mensuel Jeune Afrique Economie, le prélat a fait état de l'exécution de cinq cents personnes et de l'existence d'un charnier dans les environs de Douala. Il a d'abord reçu une réponse cinglante du pouvoir qui a dénoncé ses accusations «mensongères» et «pernicieuses». Mais l'affaire a pris de l'ampleur. Le 23 janvier dernier, neuf jeunes gens sont interpellés dans le cadre d'une enquête sur le vol d'une simple bouteille de gaz, dans le quartier populaire de Bépanda. Enfermés à la légion de gendarmerie de Douala, puis transférés dans les locaux de la région militaire de la capitale économique, leurs familles sont sans nouvelles d'eux depuis le 29 janvier. Selon l'ONG Action chrétienne contre la torture (ACAT), qui parle de mille personnes victimes du Commandement opérationnel entre février 2000 et 2001, ils ont tout simplement été exécutés.
Depuis plusieurs semaines, les familles des disparus constituées en «comité des neuf», auxquelles se sont joints plusieurs membres de l'opposition, manifestent régulièrement pour obtenir des éclaircissements sur le sort des leurs. Le 11 mars, l'une de leur marche a été sévèrement réprimée par la police et plusieurs manifestants ont été blessés. Prenant leur défense, les cinq évêques du Cameroun ont pris la plume le 20 mars, pour que «les autorités fassent la lumière sur ce triste événement.» Dans le même temps, plusieurs organisations de défense des droits de l'homme et des représentants de l'Union européenne se sont rendus dans le quartier de Bépanda et ont rencontré les familles. Acculé, le président Paul Biya a fini par annoncer, le 21 mars, l'ouverture d'une enquête «approfondie» sur le sort des disparus de Douala.
En 1994, une autre unité spéciale, le Groupement spécial d'opérations (GSO), créée initialement sur le modèle du GIGN français, avait également fait l'objet de nombreuses critiques, après la multiplication d'arrestations arbitraires et de tortures à l'encontre de membres de l'opposition.
par Christophe Champin
Article publié le 22/03/2001