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Cameroun

Le pouvoir va-t-il perdre le Nord ?

Publié par un groupe d’anciens ministres, un «mémorandum sur les problèmes du Grand Nord» alimente la chronique depuis quelques temps. Y sont dénoncés : la sous-représentation de cette région dans les structures d’Etat, l'absence de prise en compte de certaines questions par les pouvoirs publics, telles la sécheresse, la sous-scolarisation. Un diagnostic qui semble faire l’unanimité dans les milieux «nordistes», même si tout le monde n’approuve pas la méthode. Le pouvoir, qui n’en a pas fini avec la grogne anglophone, paraît y répondre à sa manière. Ce faisant, les rangs des extrémistes prêts à tout semblent grossir au fil des mois.
De notre correspondant à Yaoundé

«La seule issue de notre combat pour la prise en compte des intérêts de notre région, c’est inévitablement, la voie violente». Pronostic d’un ressortissant du Grand Nord, qui désigne la zone regroupant les trois provinces septentrionales du Cameroun, très assidu aux réunions d’un groupe d’anciens ministres tous originaires du Nord Cameroun, considéré comme le «vivier électoral» du pays en raison de sa forte démographie. Expression d’une réelle exaspération collective ou simple réflexion individuelle ? Difficile de savoir. Une chose est sûre : des témoignages concordants avancent que depuis la diffusion en septembre 2002 du «mémorandum sur les problèmes du Grand Nord», de plus en de plus de ressortissants du Nord, en dehors des cercles du pouvoir et loin du groupe qui a rédigé ce document, sont prêts à en découdre avec le pouvoir central par «tous les moyens».

Le pouvoir lui-même a-t-il à un moment redouté cette éventualité dans cette région où l’insécurité menée par les bandes de pillards appelés «coupeurs de route» n’ont pas encore été totalement neutralisées, en dépit des efforts déployés par l’armée ? Toujours est-il que le 31 décembre dernier, des éléments de la Sécurité militaire (SEMIL) ont entrepris une fouille de certaines concessions de Mindif, à la recherche des caches d’armes, selon plusieurs témoins. Parmi les maisons «visitées», celle de Antar Gassagaye, ancien secrétaire d’État à l’Administration territoriale chargé de l’administration pénitentiaire, et co-auteur du «mémorandum» : Dakole Daissala, ancien ministre d’État chargé des Postes et télécommunications, coordonnateur national du Mouvement pour la Défense de la République ; Amadou Moustapha, ancien vice-Premier ministre chargé de l’Urbanisme et de l’habitat, président de l’Alliance Nationale pour la Démocratie et le Progrès (ANDP) ; Issa Tchiroma Bakary, ancien ministre des Transports, membre-fondateur de l’ANDP avant de revenir dans les rangs de l’Union Nationale pour la Démocratie et le Progrès. A ce groupe il faut ajouter Garga Haman Adji, ancien ministre de la Fonction publique et du Contrôle de l’Etat, président de l’Alliance pour le Développement et la Démocratie qui, après avoir pris part à la préparation du «mémorandum», s’est par la suite désolidarisé du projet.

Les restes d’Ahmadou Ahidjo

Les récriminations faites au régime en place tournent pour l’essentiel autour de la marginalisation dont les trois provinces formant le Grand Nord sont victimes, selon les rédacteurs du «mémorandum». Ils dénoncent la «sous-représentation du Grand Nord au sein des structures d’État». Ainsi, «alors que le Grand Nord représente environ 47% de la population du pays, nos effectifs au sein de la fonction publique n’atteignent guère 3%. Et c’est une situation qui s’aggrave d’année en année», expliquent les rédacteurs du «mémorandum». Soucieux des détails, les anciens ministres font valoir qu’une telle «sous-représentation du Grand Nord sur l’échiquier national se vérifie dans tous les domaines de la vie publique». Exemple, au niveau de l’Assemblée nationale, «le département de la Benoué ( Nord, ndlr) avec ses 676 000 habitants a 4 députés. Dans le même temps, le département du Dja et Lobo (Sud, ndlr) avec ses 138 000 habitants, a 5 députés», notent les anciens membres du gouvernement. Mais encore : «Aucun fils du Grand Nord ne siège à la Cour Suprême, aucun n’est président de Cour d’Appel».
Par ailleurs, «en dépit de la présence des originaires du Grand Nord au sein du gouvernement, tous les problèmes demeurent. C’est dire qu’il y a absence de volonté politique du gouvernement pour les régler. La présence des nôtres ne sert que de faire-valoir. C’est pour cela que sur 12 secrétaires d’Etat en fonction, 6 sont du Grand Nord», analysent les démiurges du «mémorandum». Et puis, il y a d’autres statistiques exploitées. «En dehors de la Sodecoton (société de développement du coton, ndlr) dont le siège est à Garoua (Nord, ndlr), et où l’équilibre est à peu près respecté, dans toutes les autres sociétés importantes, les fils du Nord brillent par leur absence», peut-on lire dans le «mémorandum». On parle aussi de la désertification, de la «sous-scolarisation». Sans oublier deux regrets à caractère historique : l’un est en rapport avec le coup d’Etat manqué du 6 avril 1984 dans lequel avaient été impliqués majoritairement des ressortissants du Grand Nord, dont de nombreux officiers. Or, quelques-uns d’entre eux, n’ont toujours pas bénéficié de la loi d’amnistie votée en 1991. Ce à quoi beaucoup ajoutent que les restes d’Ahmadou Ahidjo, premier président de la République décédé à Dakar en 1989 et inhumé dans la capitale sénégalaise, attendent toujours d’être rapatriés.

Depuis la publication de ce «mémorandum», quelques groupes de ressortissants du Grand Nord ont essayé, par voies de «motions de soutien au président Biya», de se désolidariser du groupe d’anciens ministres. Significatif : aucune voie qui compte sur la scène nationale, pas même les fils du Grand Nord en poste au sein du gouvernement, ne s’est faite entendre pour désapprouver le fond des problèmes soulevés. Tout au plus a-t-on entendu quelques critiques sur la «méthode» choisie.
Entre temps, le gouvernement a gratifié la région de quelques discrètes et néanmoins symboliques attentions : les travaux de reconstruction du pont de Makabaye, à l’entrée de la ville de Maroua, vieux de plusieurs décennies et qui n’a cessé de donner des frayeurs aux usagers, ont été récemment lancés, pour un coût de 5 milliards de francs CFA ; on parle aussi du bitumage annoncé de l’axe Garoua-Gachiga, et on ne manque pas d’observer que les crédits affectés à l’entretien routier dans la province de l’extrême nord ont triplé dans le cadre de la loi de finances en vigueur depuis le début de l’année. Cela suffira-t-il à ramener les anciens ministres, dont certains sont simplement soupçonnés de faire pression pour revenir aux affaires, à de meilleurs sentiments ?



par Valentin  Zinga

Article publié le 30/01/2003