Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Cameroun

L’homme qui «<i>dompte</i>» les fous

A Yaoundé et Douala, un homme se présente comme le «médecin des fous». Depuis quelques semaines, il recueille les malades mentaux qui errent dans les rues. Cet artiste affirme qu’il a reçu le pouvoir de les guérir.
De notre correspondant à Yaoundé

C’était un terrain vague. Les clients d’un célèbre restaurant chic de la capitale s’y garaient. Aujourd’hui, c’est un «asile psychiatrique» à ciel ouvert situé derrière les tribunes du boulevard du 20 mai, au cœur de la ville. Ici se retrouvent les fous qu’un homme a décidé de rassembler, comme il le fait à Douala, pour les soigner à sa manière. Partout dans la ville, la rumeur a déjà fait la réputation de «l’homme qui parvient à dompter les fous». Il s’appelle Serge Megni Moundo et rien ne semblait destiner cet artiste né en France dans la région parisienne à devenir le «médecin» des fous.

Cette femme, par exemple, a suivi Serge Megni Moundo. Comme les autres malades mentaux rassemblés ici, elle errait dans la rue. «Je n’ai jamais rien fait de mal. Et je sais que Dieu le sait. Alors pourquoi m’en veulent-ils? Pourquoi? Pourquoi?», s’interroge à haute voix, cette femme, la cinquantaine révolue, les cheveux sommairement coupés, en haillons, toute sale. Elle fait le tour de ce qui tient lieu de cour, et de maison. De vieux ustensiles de cuisine sont amassés ici et là.

A l’autre bout de ce rectangle dont la sécurité est assurée par deux agents d’une société de gardiennage, un homme, probable quarantenaire, un bonnet sale vissé sur le crâne, harangue la foule des curieux qui n’ont eu de cesse d’affluer ici depuis plus d’une semaine. On l’appelle «Rambo», et c’est vrai qu’il n’a pas volé son pseudonyme. Avec son physique de déménageur, il est d’autant plus écouté que quelques jours plus tôt, il est apparu à la télévision, dispensant, à partir d’une carte géographique aux contours grossiers, mais proche de la réalité, le commerce triangulaire des esclaves entre l’Afrique, l’Europe et les Amériques.

Un don transmis par les ancêtres ?

Il y a ceux qui parlent, qui interpellent les curieux et il y a ceux qui ne disent rien et qui ont pris place sur des matelas de fortune, le regard hagard, souriant parfois pour on ne sait quelle raison. Cela fait plus d’une semaine qu’ils sont là. «Nous comptons à peu près 70 malades», calcule un membre de l’équipe du «médecin des fous» qui défraie la chronique à Douala et à Yaoundé. «Nous voulons amener ces fous à Douala où nous en avons déjà réunis d’autres pour les soigner», dit cet «assistant». «Mais il faut déjà qu’ils soient en relative bonne santé», poursuit-il.

Comme dans un mouvement synchronisé, la demi-dizaine d’«assistants» du «médecin–chef» se placent au centre de la cour où se trouvent entassés des sacs de riz, des conserves, du pain et d’autres victuailles, fruit de la générosité de quelques donateurs, dont un homme politique, ancien député, militant du parti au pouvoir. «Il semble même que l’épouse du chef de l’Etat ait aussi envoyé du riz hier», murmure un habitué des lieux. C’est l’heure du repas. Aujourd’hui, ce sera du pain et des conserves au menu des malades.

Le «chef» n’est pas là. Serge Megni Moundo fait la tournée des ministères. Déjà surnommé «docta» par ceux qui le considèrent comme un médecin, cet artiste-comédien de plus de trente ans, originaire de l’Ouest du pays, dit avoir eu une «révélation» il y a trois mois. Il a fait un rêve dans lequel l’un de ses parent, décédés trois ans plus tôt et qui, de son vivant, avait le pouvoir de «soigner» les fous, lui est apparu. L’homme explique doctement que ce pouvoir lui a été transmis et que «les fous en ont été avertis».

Aujourd’hui Serge Megni Moundo fait figure de mythe vivant. Il est parvenu, à «dompter» les fous qui erraient dans les rues des deux principales métropoles du pays grâce à une baguette qu’il pose systématiquement sur les malades et qui semble avoir la vertu de les rendre dociles. Yaoundé et Douala ne bruissent plus que de ces scènes où les fous domptés arpentent régulièrement les rues à la file indienne, sous la houlette du «médecin des fous», vers leurs nouveaux lieux de rassemblement. Une centaine à Douala. Soixante-dix à Yaoundé.

Face à ce «médecin» autoproclamé qui estime qu’il faut compter six mois avant d’évaluer les résultats de ses «traitements» les psychiatres sont sceptiques. Certains parlent même de «folklore». Quant aux autorités, on ne les pas beaucoup entendues et c’est tout juste si certains maires de Douala ont fait des dons en faveur des malades. Personne ne sait jusqu’où ira cet illuminé, bien déterminé lui, à guérir les fous.



par Valentin  Zinga

Article publié le 22/12/2002