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Cameroun

Les «coupeurs de routes» de retour

Des bandes de malfrats, manifestement bien organisées, disposant d’armes de guerre et soupçonnées de bénéficier de solides complicités sévissent de nouveau dans la partie septentrionale du pays. Désormais réduites, suite aux opérations musclées des forces de l’ordre dans la province de l’Extrême-Nord, elles terrorisent depuis peu les populations du Nord. Elles ont eu le temps de changer leur fusil d’épaule : l’heure n’est plus aux embuscades sur les axes routiers mais à la prise en otage des enfants de riches éleveurs, qui sont restitués à leurs parents moyennant le paiement de fortes rançons.
De notre correspondant à Yaoundé

Les «coupeurs de routes» refont parler d’eux. Et la chronique des jours tragiques dans la partie septentrionale du pays n’est pas avare d’indicateurs. L’hebdomadaire régional L’œil du Sahel révélait il y a peu, que 68 attaques ont été enregistrées dans la région, pour le seul mois de janvier 2003. De multiples accrochages sont survenus avec les forces de l’ordre, dont notamment le très célèbre Bataillon d’intervention rapide (Bir), unité d’élite réputée. Les plus récents en date remontent au 23 janvier à Touroua, dans la zone de Garoua, capitale provinciale du Nord. Le Bir, rapportent des sources concordantes, a infligé des pertes aux «coupeurs de routes» : un mort et plusieurs blessés.

Ces bandits de grands chemins, puissamment armés, manifestement bien organisés, ne dédaignant pas l'amulette, et qui avaient commencé à sévir dès les années 1985, se sont rendus tristement célèbres au fil des ans par des méthodes bien connues. Des embuscades sont tendues aux véhicules transportant des passagers sur des axes routiers passants. Ces véhicules sont attaqués, leurs occupants molestés, voire froidement abattus, et leurs biens spoliés. Pendant de longues années, ces «coupeurs de routes» opéraient ainsi, notamment sur l’axe Maroua-Kousséri, dans la province de l’Exrême-Nord.

«Depuis quelques temps, l’activité des coupeurs de routes a considérablement été réduite dans la province de l’Extrême-Nord», constate l'avocat Dieudonné Happy, basé depuis des décennies à Maroua, capitale de la province. Un bilan largement partagé dans la région. Autre point de consensus : ces bandes de malfrats ont changé de repères et modifié leurs stratégies. Ils sont de plus en plus présents dans le département du Mayo-Rey, dans la zone de Garoua. «On observe qu’ils ont opté pour le kidnapping des enfants des éleveurs Bororo, réputés riches. Ces enfants sont retenus en otage jusqu’à ce que leurs parents, informés de la situation, viennent les récupérer, contre le versement d’une rançon dont le montant peut être faramineux pour le niveau de vie de la zone. Et ça marche», explique Gibaï Gatama, Directeur de publication et Rédacteur en chef de L’œil du Sahel. Ce périodique rapporte que, dans certains cas, le montant exigé par les «coupeurs de routes» pour libérer les enfants pris en otage peut atteindre 18 millions de francs CFA, comme on l’a vu dans la localité de Dague où les malfrats ont fait irruption dans la nuit du 23 au 24 janvier, et enlevé trois enfants avant de les restituer à leurs parents. Et ce sont les témoignages qui font le moins défaut, les uns aussi terrifiants que les autres, et confirmés par le ministère de l’Administration territoriale et de la décentralisation, sorte de ministère de l’Intérieur à la camerounaise.

Complicités troublantes

Ce qui n’est pas pour rassurer les populations, prises de peur et contraintes à limiter leurs déplacements dans la zone. Une situation préoccupante dont beaucoup disent qu’elle pourrait perdurer si rien n’est fait. «Le phénomène des 'coupeurs de routes' est à comprendre comme la résultante de la convergence d’un certain nombre de facteurs. En premier lieu, il faut noter l’insécurité et la porosité de nos frontières avec des pays qui ont connu ou connaissent la guerre comme le Tchad. Ce qui a favorisé au fil des ans une intense circulation des armes, et c’est le second point. Ce dernier est d’autant plus important que, pendant des années, les populations obligées d’assurer elles-mêmes leur sécurité, ont dû se procurer des armes, mais personne ne sait aujourd’hui à quoi elles servent finalement. Troisièmement : l’absence des structures bancaires de proximité oblige les commerçants à se délacer avec de l’argent liquide, ce qui les expose aux ‘coupeurs de routes’. Enfin, la quatrième considération tient au fait qu’on a l’impression que les forces de l’ordre n’ont pas encore efficacement fait leur travail : outre qu’on y évoque régulièrement des problèmes logistiques allant parfois jusqu’au manque de carburant, on est aussi étonné de la disproportion entre la fréquence des opérations de l’armée et le nombre des prisonniers incarcérés à la prison de Garoua», analyse Gibaï Gatama, qui suit de près le problème depuis de longues années.

Même si ce regard n’est pas exactement celui d’autres fils du septentrion, ni celui des autorités, il a l’avantage d’être transversal et de recouper plus d’une explication.
Reste l’autre point important, soulevé de manière récurrente dans la région : celui des éventuelles complicités dont bénéficieraient, dans la zone, les «coupeurs de routes», considérés comme venant des pays voisins. Une inquiétude ravivée par quelques curiosités : la fait qu’en général ces bandits s’expriment en langue arabe dans une région où on parle évidemment davantage le fufuldé.

Mais il y a plus. Plus d’une fois, des autorités traditionnelles ont donné l’impression sinon d’être impliquées du moins d’entretenir des relations étroites avec les ravisseurs. A Ngaoundéré, un chef de village a été abattu parmi les «coupeurs de routes», lors d’un affrontement avec les forces de l’ordre. En février 2001, une voiture clairement identifiée comme appartenant au Lamido du Rey-Bouba, servait aux coupeurs de routes pour leurs opérations. «Elle avait été conduite dans les installations des forces de l’ordre à Garoua, avant d’être restituée à son propriétaire», se souvient le directeur de L’œil du Sahel, qui a publié ces informations. Elles n’ont pas été démenties, pas même par le Lamido du Rey-Bouba, notoirement connu pour avoir fait de son royaume un fief imprenable du Rassemblement démocratique du peuple camerounais, le parti du président Paul Biya. Et qui a ses entrées au palais présidentiel.



par Valentin  Zinga

Article publié le 22/03/2003