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Justice

Comment lutter contre les suicides en prison

La mise en examen d’Alain Jego, l’ancien directeur de la prison de la Santé, pour «homicide involontaire» à la suite du suicide d’un détenu en 1999, relance la polémique sur les conditions de détention des prisonniers français. Face à une augmentation très sensible du nombre de suicides enregistrée ces dernières années, la question de la responsabilité de l’administration pénitentiaire mais aussi de l’Etat se pose de plus en plus. D’autant que le problème de la surpopulation chronique dans les prisons participe à rendre très difficiles la détection et la prise en charge des détenus proches du passage à l’acte.
Le 24 mai 1999, Kamel K. s’est suicidé dans sa cellule dans le quartier disciplinaire de la prison de la Santé où il avait été envoyé à la suite d’une bagarre avec un co-détenu. Il s’est pendu à l’aide de sa ceinture. En théorie, cela n’aurait jamais dû arriver. Le code de procédure pénale stipule en effet que «les détenus ne peuvent garder à leur disposition aucun objet, médicament ou substance pouvant permettre ou faciliter un suicide, une agression ou une évasion».

Comment expliquer alors que le jeune homme ait réussi malgré tout à se donner la mort ? C’est pour trouver la réponse à cette question et établir les responsabilités de chacun que sa famille a finalement décidé de porter plainte contre X. Cela a permis l’ouverture d’une information judiciaire après que l’enquête préliminaire, menée à la suite du décès, a conclu rapidement qu’aucune infraction n’avait été commise.

La juge d’instruction Odile Bertella-Geoffroy chargée de l’affaire estime aujourd’hui qu’elle a les éléments pour poursuivre et a donc décidé de mettre en examen Alain Jego qui était directeur de la prison à l’époque des faits. Cette décision a provoqué de nombreuses réactions dans le milieu pénitentiaire. Remy Douarre, l’avocat d’Alain Jego a fait part de son étonnement de voir la juge s’interroger au bout de quatre ans sur «d’éventuelles responsabilités pénales dans cette affaire». Il a aussi estimé que la mise en examen de son client était «contestable en l’état de l’examen du dossier et au regard d‘une application stricte de la loi pénale».

Deux fois plus de suicides qu’il y a vingt ans

Les représentants syndicaux des différentes catégories de personnels qui travaillent dans les prisons sont aussi très soucieux face à une situation où chacun d’entre eux à son niveau pourrait dorénavant être mis en cause en cas de suicide d’un détenu. Le secrétaire national CGT-pénitentaire a mis en garde contre «un effet boule de neige». Mais surtout il a insisté sur le manque de moyens mis à la disposition des surveillants qui explique une grande partie des dysfonctionnements repérés dans les prisons. «Nous n’avons pas les effectifs suffisants pour prévenir tous les suicides. On ne peut pas mettre un surveillant derrière chaque cellule». L’ensemble des personnels, des surveillants aux directeurs, sont solidaires et dénoncent, comme le délégué Force Ouvrière à la prison de la Santé, la responsabilité de l’Etat «qui ne donne pas à l’administration les moyens matériels et humains de prévenir les suicides».

Il est vrai que depuis plusieurs années, les conditions de détentions des prisonniers se sont détériorées de manière préoccupante dans les prisons françaises. Il y a de plus en plus de détenus mais le nombre de places disponibles dans les établissements n’augmente pas du tout au même rythme. Il y a aujourd’hui plus de 60 000 détenus pour seulement 48 000 places. Du coup, on mélange des prisonniers en détention provisoire avec des condamnés, des violeurs avec des voleurs, de jeunes détenus avec des récidivistes… Et on arrive à des situations explosives où la promiscuité à 10 dans des cellules conçues pour huit peut conduire au drame.

La surpopulation n’est pas le seul facteur qui explique l’augmentation très nette des suicides en prison -120 en 2002, soit deux fois plus qu’il y a vingt ans- mais elle en fait partie. Car il est beaucoup plus difficile de porter attention aux prisonniers au bord du gouffre lorsqu’ils sont noyés dans une masse énorme. D’autant qu’un grand nombre de détenus n’ont, si l’on en croit certains rapports, rien à faire en prison. Une étude de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Dress) a montré que 55 % des prisonniers souffrent «d’au moins un trouble psychiatrique». La proportion de malades mentaux aurait d’ailleurs augmenté depuis la réforme du Code pénal de 1994 qui a fait baisser le seuil de l’irresponsabilité pénale et conduit en prison certains condamnés qui auraient besoin d’un suivi psychiatrique.

Dans un tel contexte, l’Observatoire international des prisons (OIP) estime que le phénomène des suicides dans les maisons d’arrêt est devenu quasiment incontrôlable en France et qu’il est nécessaire d’agir au plus vite. Il est vrai que dans certains établissements, on a atteint des records en 2003. A Fleury-Merogis dans la région parisienne, par exemple, neuf suicides ont eu lieu depuis le début de l’année. C’est pour cette raison que Patrick Marest, le porte-parole de l’observatoire, a accueilli favorablement la mise en examen d’Alain Jego qui va «permettre de mesurer enfin la responsabilité de l’administration pénitentiaire». D’ailleurs pour poursuivre dans cette voie, l’OIP incite dorénavant les prisonniers à déposer des plaintes lorsqu’ils estiment que leurs conditions de détention sont «incompatibles avec la dignité humaine». Sept plaintes de ce type ont été déposées récemment.

De leur côté, les ministres de la Santé et de la Justice ont voulu prendre acte de cette situation catastrophique et ont demandé en janvier à Jean-Louis Terra, un psychiatre spécialiste du suicide, de mener une mission de réflexion destinée à «proposer des éléments permettant de conduire un programme complet de prévention du suicide». Les conclusions de son évaluation devraient être connues d’ici le mois de septembre.



par Valérie  Gas

Article publié le 24/07/2003