Liberia
Taylor : “Je reviendrai !”
Le successeur de Charles Taylor, son vice-président Moses Blah, a prêté serment dans l’après-midi, avec du retard sur l’horaire prévu. Mais surtout, le président en exercice de la Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), le Ghanéen John Kufuor a annoncé que Moses Blah assurerait l'intérim à la présidence de la République, jusqu’à la mi-octobre, date initialement prévue pour les élections générales. Une annonce conforme aux vœux du président démissionnaire. Charles Taylor a en effet exhorté la médiation africaine à ne pas «violer la Constitution et la souveraineté du Libéria», en formant un gouvernement à Accra (Ghana) ou dans une quelconque capitale étrangère. «Charles Taylor est parti, mais le gouvernement n’a pas été renversé». Pour que la guerre s’arrête, «les décisions doivent être prises à Monrovia», a sermonné Taylor, lançant au passage à l’intention des Etats-Unis et de l’Onu : «maintenant, vous n’avez plus d’excuses pour ne pas secourir les Libériens».
«Je quitte le pouvoir de mon plein gré. Personne ne peut s’attribuer l’initiative de mon départ», fanfaronne Charles Taylor. Il remercie le monde entier, mais en particulier le président Bush qui «peut maintenant rappeler ses chiens» de la rébellion des Libériens unis pour la réconciliation et la démocratie (Lurd). «Il s’agit d’une guerre américaine», a-t-il dénoncé la veille, dans son adresse à la Nation, en fustigeant «les Lurd, qui ne sont que des mercenaires, entraînés militairement en Guinée, armés par les Britanniques et financés par les Etats-Unis». Du secrétaire général de l’Onu, Kofi Annan, il retient au moins une qualité : celle d’un autochtone d’Afrique de l’Ouest qui «cherche à bien faire». Descendu de son fauteuil présidentiel l’œil dans le vague, Charles Taylor reprend vigueur face au micro dans une improvisation à l’ironie à peine amère. «Je souris», dit-il, «parce que j’ai toujours eu pour les Libériens deux souhaits : qu’ils vivent et qu’ils soient en paix». Costume immaculé, écharpe verte en travers de la poitrine, lunettes noires au fond de la poche, Charles Taylor s’offre en victime propitiatoire : «Je n’arrête pas par peur du combat. C’est l’intérêt du peuple qui le commande».
Exil forcé
«Je ne voulais pas quitter ce pays. On m’a forcé à l’exil», indiquait Taylor ces derniers jours. «Je reviendrai», a-t-il conclu ce 11 août après un plaidoyer en forme de mise en garde pour que les Libériens décident eux-mêmes et chez eux de leur avenir. Une réponse au «la guerre est finie» proclamé par le président Kufuor qui le remerciait «du pas qu’il a franchi dans l’intérêt de son peuple». Une partie de la famille Taylor s’est installée ce week-end dans la résidence aménage par le Nigéria à Calabar, la capitale de l’Etat de Cross River, à l’extrême sud-est du pays. Au Nigéria, cela a soulevé en particulier l’ire de l’ordre des avocats qui réprouve l’asile offert à un «criminel de guerre» poursuivi par le mandat international du tribunal spécial de la Sierra Leone. Taylor de son côté a tenté – en vain jusqu’à présent – de résoudre son épineuse situation juridique. Il a remercié le président nigérian avec insistance dans son discours de sortie. Mais il ne se fait sans doute guère d’illusion sur les garanties promises par le régime Obasanjo. Cette question a d’ailleurs fini par occuper la première place dans ses préoccupations. Mais en abandonnant le pouvoir, Charles Taylor s’est déclaré convaincu que «l’Histoire sera clémente» pour lui. Outre le président Kufuor pour la Cedeao et le chef de l’Etat mozambicain, Joachim Chissano, président en exercice de l’Union africaine (UA), le président sud-africain Thabo Mbeki – prédécesseur de Chissano à l’UA – avait également fait le déplacement de Monrovia pour servir de témoin à la cérémonie de transmission des pouvoirs. Les deux premiers devaient ensuite escorter Charles Taylor dans sa retraite nigériane.
Les rebelles entendent obtenir au moins des vice-présidences dans la transition. L’intérim de Moses Blah s’annonce tendu. Issu du même terreau des monts Nimba que Taylor, il a suivi ce dernier comme son ombre depuis les camps d’entraînement libyens des années quatre-Vingt. A l’avènement du régime Taylor, en 1997, Moses Blah a servi un temps au poste éminemment stratégique d’ambassadeur en Libye. Ces trois dernières années, il remplaçait à la vice présidence un autre fidèle de la première heure, mort en 2000. En juin dernier, Taylor avait jeté Blah en prison en l’accusant de comploter contre lui avec Washington. Mais la disgrâce n’a pas duré et ses proches assurent aujourd’hui qu’il avait au contraire déjoué un projet de coup d’Etat. S’il agit conformément aux promesses faites à la médiation africaine, Moses Blah devra tenir les remuantes troupes du régime, lasses de la guerre, mais inquiètes du départ de Taylor. Il devra aussi compter avec les rebelles du Lurd et ceux du Mouvement pour la démocratie au Libéria (Model), installés eux à Buchanan, la deuxième cité portuaire du pays.
Peu avant la cérémonie de passation des pouvoirs, le Lurd a refusé de quitter le port de Monrovia, qu’il contrôle depuis le 19 juillet. Il attend, dit-il, de pouvoir remettre les commandes «à des forces de maintien de la paix et à des agences internationales pour qu’elles prennent possession des produits essentiels qui s’y trouvent». En attendant, le Lurd poursuit sa propagande dans les faubourgs de la capitale, à coup de distribution de riz ou de poulets d’importation. Son chef, Damate Konneh a bien compris l’intérêt qu’il avait à adopter un profil diplomatique convenable. En outre, en jetant l’éponge, Taylor lui évite une guerre pénible et aux résultats très incertains. Mais le Lurd estime que «la probabilité d’une entourloupe de la part de Charles Taylor est trop importante pour s’en remettre au hasard et pour tout miser sur la promesse d’un bon comportement des forces qui lui restent loyales».
Face à des pressions internationales protéiformes, Taylor aura tiré jusqu’à sa dernière cartouche militaro diplomatique. Rien ne prouve d’ailleurs qu’il n’en détient pas d’autres en réserve. Si l’on en croit le quotidien américain Washington Post, il serait allé se réapprovisionner en Libye au début du mois. C’est en tout cas l’explication donnée par le journal a propos d’un rendez-vous manqué à Monrovia entre Charles Taylor et une délégation ouest-africaine de haut niveau qu’il n’avait apparemment aucune raison de bouder. Les soldats de la mission de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest au Libéria (Ecomil) aurait intercepté le chargement de munitions et de mortiers qu’il ramenait, à l’aéroport Robertsfield de Monrovia. Aujourd’hui, Charles Taylor remercie Thabo Mbeki qui a promis des troupes pour la force que Kofi Annan souhaite lever pour consolider la paix. De son côté, dès son investiture, Moses Blah a demandé que l’Ecomil achève immédiatement de déployer les 3 000 casques blancs promis et appelle le Lurd à «travailler avec» lui. «Les souffrances du Libéria sont terminées», Taylor parti, «pour nous, la guerre est finie», promet le Lurd.
Ecouter également :
Stephen Ellis, Chercheur au centre d'études africaines à l'Université de Leyden, Pays-Bas.(11/08/03)
Charles Taylor, au cours de la cérémonie de passation des pouvoirs à son vice-président Moses Blah, se présente comme "l'agneau sacrificiel". (11/08/2003, 1'01")
Charles Taylor, au cours de la cérémonie, appelle la communauté internationale à aider le Libéria. (1/08/2003, 1'01")
Moses Blahl, nouveau président du Liberia, appelle les rebelles à le rejoindre "pour apporter la paix au peuple". (11/08/2003, 0'43")
Thabo Mbeki, le président sud-africain, présent à Monrovia pour la passation de pouvoir, remercie Charles Taylor "pour ce qu'il vient de faire". (11/08/2003, 0'51")
John Kufuor, le président ghanéen, présent à Monrovia pour la passation de pouvoir, estime qu'il s'agit de "la fin d'une période au Liberia". (11/08/2003, 0'50")
Reportage à Monrovia: l'envoyé spécial de RFI, Cyril Bensimon, a vu les partisans de Taylor pleurer la fin de la période où ils étaient les "rois" du pays. (12/08/2003, 1'00")
Reportage à Monrovia: le correspondant de RFI, Zoom Dosso, témoigne de la joie d'une grande partie de la population après le départ de Taylor. (12/08/2003, 1'11")
Exil forcé
«Je ne voulais pas quitter ce pays. On m’a forcé à l’exil», indiquait Taylor ces derniers jours. «Je reviendrai», a-t-il conclu ce 11 août après un plaidoyer en forme de mise en garde pour que les Libériens décident eux-mêmes et chez eux de leur avenir. Une réponse au «la guerre est finie» proclamé par le président Kufuor qui le remerciait «du pas qu’il a franchi dans l’intérêt de son peuple». Une partie de la famille Taylor s’est installée ce week-end dans la résidence aménage par le Nigéria à Calabar, la capitale de l’Etat de Cross River, à l’extrême sud-est du pays. Au Nigéria, cela a soulevé en particulier l’ire de l’ordre des avocats qui réprouve l’asile offert à un «criminel de guerre» poursuivi par le mandat international du tribunal spécial de la Sierra Leone. Taylor de son côté a tenté – en vain jusqu’à présent – de résoudre son épineuse situation juridique. Il a remercié le président nigérian avec insistance dans son discours de sortie. Mais il ne se fait sans doute guère d’illusion sur les garanties promises par le régime Obasanjo. Cette question a d’ailleurs fini par occuper la première place dans ses préoccupations. Mais en abandonnant le pouvoir, Charles Taylor s’est déclaré convaincu que «l’Histoire sera clémente» pour lui. Outre le président Kufuor pour la Cedeao et le chef de l’Etat mozambicain, Joachim Chissano, président en exercice de l’Union africaine (UA), le président sud-africain Thabo Mbeki – prédécesseur de Chissano à l’UA – avait également fait le déplacement de Monrovia pour servir de témoin à la cérémonie de transmission des pouvoirs. Les deux premiers devaient ensuite escorter Charles Taylor dans sa retraite nigériane.
Les rebelles entendent obtenir au moins des vice-présidences dans la transition. L’intérim de Moses Blah s’annonce tendu. Issu du même terreau des monts Nimba que Taylor, il a suivi ce dernier comme son ombre depuis les camps d’entraînement libyens des années quatre-Vingt. A l’avènement du régime Taylor, en 1997, Moses Blah a servi un temps au poste éminemment stratégique d’ambassadeur en Libye. Ces trois dernières années, il remplaçait à la vice présidence un autre fidèle de la première heure, mort en 2000. En juin dernier, Taylor avait jeté Blah en prison en l’accusant de comploter contre lui avec Washington. Mais la disgrâce n’a pas duré et ses proches assurent aujourd’hui qu’il avait au contraire déjoué un projet de coup d’Etat. S’il agit conformément aux promesses faites à la médiation africaine, Moses Blah devra tenir les remuantes troupes du régime, lasses de la guerre, mais inquiètes du départ de Taylor. Il devra aussi compter avec les rebelles du Lurd et ceux du Mouvement pour la démocratie au Libéria (Model), installés eux à Buchanan, la deuxième cité portuaire du pays.
Peu avant la cérémonie de passation des pouvoirs, le Lurd a refusé de quitter le port de Monrovia, qu’il contrôle depuis le 19 juillet. Il attend, dit-il, de pouvoir remettre les commandes «à des forces de maintien de la paix et à des agences internationales pour qu’elles prennent possession des produits essentiels qui s’y trouvent». En attendant, le Lurd poursuit sa propagande dans les faubourgs de la capitale, à coup de distribution de riz ou de poulets d’importation. Son chef, Damate Konneh a bien compris l’intérêt qu’il avait à adopter un profil diplomatique convenable. En outre, en jetant l’éponge, Taylor lui évite une guerre pénible et aux résultats très incertains. Mais le Lurd estime que «la probabilité d’une entourloupe de la part de Charles Taylor est trop importante pour s’en remettre au hasard et pour tout miser sur la promesse d’un bon comportement des forces qui lui restent loyales».
Face à des pressions internationales protéiformes, Taylor aura tiré jusqu’à sa dernière cartouche militaro diplomatique. Rien ne prouve d’ailleurs qu’il n’en détient pas d’autres en réserve. Si l’on en croit le quotidien américain Washington Post, il serait allé se réapprovisionner en Libye au début du mois. C’est en tout cas l’explication donnée par le journal a propos d’un rendez-vous manqué à Monrovia entre Charles Taylor et une délégation ouest-africaine de haut niveau qu’il n’avait apparemment aucune raison de bouder. Les soldats de la mission de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest au Libéria (Ecomil) aurait intercepté le chargement de munitions et de mortiers qu’il ramenait, à l’aéroport Robertsfield de Monrovia. Aujourd’hui, Charles Taylor remercie Thabo Mbeki qui a promis des troupes pour la force que Kofi Annan souhaite lever pour consolider la paix. De son côté, dès son investiture, Moses Blah a demandé que l’Ecomil achève immédiatement de déployer les 3 000 casques blancs promis et appelle le Lurd à «travailler avec» lui. «Les souffrances du Libéria sont terminées», Taylor parti, «pour nous, la guerre est finie», promet le Lurd.
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Stephen Ellis, Chercheur au centre d'études africaines à l'Université de Leyden, Pays-Bas.(11/08/03)
Charles Taylor, au cours de la cérémonie de passation des pouvoirs à son vice-président Moses Blah, se présente comme "l'agneau sacrificiel". (11/08/2003, 1'01")
Charles Taylor, au cours de la cérémonie, appelle la communauté internationale à aider le Libéria. (1/08/2003, 1'01")
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John Kufuor, le président ghanéen, présent à Monrovia pour la passation de pouvoir, estime qu'il s'agit de "la fin d'une période au Liberia". (11/08/2003, 0'50")
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Reportage à Monrovia: le correspondant de RFI, Zoom Dosso, témoigne de la joie d'une grande partie de la population après le départ de Taylor. (12/08/2003, 1'11")
par Monique Mas
Article publié le 11/08/2003