Liberia
Gesticulations diplomatiques
Une fois de plus, les rebelles du Lurd annoncent un cessez-le-feu. Une fois de plus, Charles Taylor promet de quitter le pouvoir à l’arrivée des forces de la Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Pressée par l'Onu et Washington, celle-ci entend d’abord évaluer la situation sur le terrain et assurer le financement d’une éventuelle intervention avant d’en fixer la date. Un nouveau sommet est prévu jeudi à Accra.
Un pas en avant, un pas en arrière – si l’on en juge par ce que rapportent de la guerre ses rares témoins indépendants – , les seigneurs de la guerre ont choisi de danser au son du canon pour ne pas se faire doubler aux portes du pouvoir par les civils du «gouvernement intérimaire» concocté à Accra le 17 juin dernier par la médiation de la Cedeao. Le secrétaire général de l’Onu, le Ghanéen Kofi Annan pense que «en tuant un grand nombre de Libériens innocents et en nous empêchant de fournir une assistance humanitaire d’urgence, ils se disqualifient eux-même de tout rôle futur dans la vie du Libéria». Une menace sans grand effet au Libéria où, après sept ans de combats sanguinaires, Charles Taylor était parvenu – de guerre lasse – à emporter les présidentielles de 1997. Depuis, les déçus de son régime ont trouvé des parrains dans la région et aux Etats-Unis. La compétition pour le pouvoir a relancé la guerre et même les appétits de ceux qui s’en étaient lassé.
Pour le moment, explique Kofi Annan, «ce que nous voulons voir, c’est le déploiement des troupes de la Cedeao». Rappelant que Taylor a posé leur arrivée comme condition sine qua non de son départ, le chef de la diplomatie internationale demande aux rebelles de «lever le siège de Monrovia», ce qui permettrait au passage des livraisons humanitaires. Dimanche, l’ambassadeur américain à Monrovia, John Blaney avait de son côté appelé le Model à «continuer à respecter le cessez-le-feu» et à ne pas s’emparer de Buchanan. En même temps, il avait proposé à Taylor et au Lurd «de cesser le feu et d’accepter la rivière Po comme nouvelle ligne de démarcation», à quelques kilomètres au nord de Monrovia. Cela servant ses positions à Monrovia, «le président Taylor a accepté» immédiatement, assure le diplomate américain. En revanche, il a attendu jusqu'à aujourd'hui la réponse du mouvement des Libériens unis pour la réconciliation et la démocratie (Lurd) qui a lancé l’offensive le 17 juillet dernier sur le centre de la capitale. Mardi, le Lurd annonçait un nouveau "cessez-le-feu unilatéral" et même un retrait en direction du port de Monrovia, et cela dans l'attente de la force de maintien de la paix annoncée depuis des semaines.
Selon le ministre libérien de la Défense, l’autre groupe rebelle, le Mouvement pour la démocratie au Libéria (Model) aurait pris position lundi dans le port de Buchanan, le deuxième du pays à une centaine de kilomètres à l’Est de Monrovia. Washington et l’Onu les pressent en vain de cesser le feu. Avec une armada américaine en guise d’Arlésienne, la diplomatie internationale semble espérer que le combat cesse, faute de combattants. Mais au Libéria comme ailleurs, les belligérants connaissent d’expérience les limites de l’indignation internationale et le jeu des effets d'annonce.
Méthode Coué
«Je suis heureux que des navires américains fassent route vers le Libéria et je m’attends à ce que les troupes américaines aient un rôle important à jouer», ose Kofi Annan. Une manière de méthode Coué quand le sous-secrétaire américain à la Défense, Paul Wolfowitz monte au créneau pour redire que les rangers américains ne se risqueront pas dans le bourbier libérien tant que les combats dureront. Il n’est d’ailleurs pas même certain qu’ils viendront après la bataille, ce qui ne signifie pas que nous ne faisons rien, dit Wolfowitz. Au contraire, plaide-t-il «Nous prenons nos responsabilités au Libéria comme les Britanniques ont assumé les leurs en Sierra Leone et les Français en Côte d’Ivoire. Mais pour réussir à gérer les très nombreux points d’instabilité dans le monde, il est très important que les pays de la région – et ici il s’agit du Nigéria, du Ghana et du Sénégal – qui ont la capacité et la volonté de faire le travail en prennent la directio, tandis que l’Onu s’occupera des problèmes politiques complexes du Libéria». Washington promet l’aide logistique d’usage.
Les Etats-Unis ont fait un geste de 10 millions de dollars pour la Cedeao, ce qui ne l’encourage guère, car il en faut dix fois plus pour maintenir la paix pendant six mois. Beaucoup plus pour l’imposer. Il en sera à nouveau question à Accra où les chefs d'Etats de la région vont tenir sommet une fois de plus. En attendant, le sous secrétaire d’Etat aux Affaires africaines, Walter Kansteiner, a été dépêché lundi en Afrique de l’Ouest. Son itinéraire précis n’a pas été rendu public. Mais il aura bien sûr au moins une oreille à Accra où siègent les médiateurs et une attention particulière pour Lagos qui doit donner le feu vert aux deux bataillons prévus comme avant-garde de la force ouest-africaine. Enfin, Conakry, mais aussi Abidjan ne sont pas indifférents au conflit Libériens.
Dans les années quatre-vingt-dix, l’administration Bush père s’était bien gardée d’intervenir dans la guerre du Libéria. Celle de Bush fils a mis quelques bâtons dans les roues du remuant Taylor via une assistance militaire à la Guinée-Conakry et au Lurd entretenu sur son sol. A l’instar de sa scission Model, la rébellion de Taylor n’est de fait rien de plus que l’un des fantômes de l’histoire sanglante du Liberia de ce dernier quart de siècle. Nul ne peut vraiment tenir les rebelles pour une alternative crédible à leur adversaire Taylor. Ils n’en ont pas moins reçu leur lot de mortiers pour lui damer le pion. Et ce n’est certainement pas de plein gré qu’ils lâcheront leur proie.
Pour sa part, la Cedeao est déjà intervenue deux fois en treize ans de guerre au Libéria. Feu le président Samuel Doe avait d’ailleurs été capturé au quartier général des casques blancs, à Monrovia en 1990, par les soldats d’un autre concurrent, Prince Johnson, lui aussi fâché avec Taylor. Johnson avait filmé l’agonie de Doe, torturé à mort, pour édifier la postérité, disait-il à l’époque. Réfugié au Nigeria depuis 1992, il se réclame aujourd’hui de Dieu pour s’imaginer un nouveau destin politique au Liberia. Lui aussi appelle le Lurd et le Model à se tenir à l’écart du pouvoir parce que, dit-il «ce n’est pas parce que l’on sait se servir d’un Kalachnikoff que l’on est capable d’administrer un pays». Des paroles d’Evangile sans doute, mais pas vraiment de quoi interrompre la course armée pour le pouvoir tant qu’il restera des hommes et des munitions pour la disputer.
Pour le moment, explique Kofi Annan, «ce que nous voulons voir, c’est le déploiement des troupes de la Cedeao». Rappelant que Taylor a posé leur arrivée comme condition sine qua non de son départ, le chef de la diplomatie internationale demande aux rebelles de «lever le siège de Monrovia», ce qui permettrait au passage des livraisons humanitaires. Dimanche, l’ambassadeur américain à Monrovia, John Blaney avait de son côté appelé le Model à «continuer à respecter le cessez-le-feu» et à ne pas s’emparer de Buchanan. En même temps, il avait proposé à Taylor et au Lurd «de cesser le feu et d’accepter la rivière Po comme nouvelle ligne de démarcation», à quelques kilomètres au nord de Monrovia. Cela servant ses positions à Monrovia, «le président Taylor a accepté» immédiatement, assure le diplomate américain. En revanche, il a attendu jusqu'à aujourd'hui la réponse du mouvement des Libériens unis pour la réconciliation et la démocratie (Lurd) qui a lancé l’offensive le 17 juillet dernier sur le centre de la capitale. Mardi, le Lurd annonçait un nouveau "cessez-le-feu unilatéral" et même un retrait en direction du port de Monrovia, et cela dans l'attente de la force de maintien de la paix annoncée depuis des semaines.
Selon le ministre libérien de la Défense, l’autre groupe rebelle, le Mouvement pour la démocratie au Libéria (Model) aurait pris position lundi dans le port de Buchanan, le deuxième du pays à une centaine de kilomètres à l’Est de Monrovia. Washington et l’Onu les pressent en vain de cesser le feu. Avec une armada américaine en guise d’Arlésienne, la diplomatie internationale semble espérer que le combat cesse, faute de combattants. Mais au Libéria comme ailleurs, les belligérants connaissent d’expérience les limites de l’indignation internationale et le jeu des effets d'annonce.
Méthode Coué
«Je suis heureux que des navires américains fassent route vers le Libéria et je m’attends à ce que les troupes américaines aient un rôle important à jouer», ose Kofi Annan. Une manière de méthode Coué quand le sous-secrétaire américain à la Défense, Paul Wolfowitz monte au créneau pour redire que les rangers américains ne se risqueront pas dans le bourbier libérien tant que les combats dureront. Il n’est d’ailleurs pas même certain qu’ils viendront après la bataille, ce qui ne signifie pas que nous ne faisons rien, dit Wolfowitz. Au contraire, plaide-t-il «Nous prenons nos responsabilités au Libéria comme les Britanniques ont assumé les leurs en Sierra Leone et les Français en Côte d’Ivoire. Mais pour réussir à gérer les très nombreux points d’instabilité dans le monde, il est très important que les pays de la région – et ici il s’agit du Nigéria, du Ghana et du Sénégal – qui ont la capacité et la volonté de faire le travail en prennent la directio, tandis que l’Onu s’occupera des problèmes politiques complexes du Libéria». Washington promet l’aide logistique d’usage.
Les Etats-Unis ont fait un geste de 10 millions de dollars pour la Cedeao, ce qui ne l’encourage guère, car il en faut dix fois plus pour maintenir la paix pendant six mois. Beaucoup plus pour l’imposer. Il en sera à nouveau question à Accra où les chefs d'Etats de la région vont tenir sommet une fois de plus. En attendant, le sous secrétaire d’Etat aux Affaires africaines, Walter Kansteiner, a été dépêché lundi en Afrique de l’Ouest. Son itinéraire précis n’a pas été rendu public. Mais il aura bien sûr au moins une oreille à Accra où siègent les médiateurs et une attention particulière pour Lagos qui doit donner le feu vert aux deux bataillons prévus comme avant-garde de la force ouest-africaine. Enfin, Conakry, mais aussi Abidjan ne sont pas indifférents au conflit Libériens.
Dans les années quatre-vingt-dix, l’administration Bush père s’était bien gardée d’intervenir dans la guerre du Libéria. Celle de Bush fils a mis quelques bâtons dans les roues du remuant Taylor via une assistance militaire à la Guinée-Conakry et au Lurd entretenu sur son sol. A l’instar de sa scission Model, la rébellion de Taylor n’est de fait rien de plus que l’un des fantômes de l’histoire sanglante du Liberia de ce dernier quart de siècle. Nul ne peut vraiment tenir les rebelles pour une alternative crédible à leur adversaire Taylor. Ils n’en ont pas moins reçu leur lot de mortiers pour lui damer le pion. Et ce n’est certainement pas de plein gré qu’ils lâcheront leur proie.
Pour sa part, la Cedeao est déjà intervenue deux fois en treize ans de guerre au Libéria. Feu le président Samuel Doe avait d’ailleurs été capturé au quartier général des casques blancs, à Monrovia en 1990, par les soldats d’un autre concurrent, Prince Johnson, lui aussi fâché avec Taylor. Johnson avait filmé l’agonie de Doe, torturé à mort, pour édifier la postérité, disait-il à l’époque. Réfugié au Nigeria depuis 1992, il se réclame aujourd’hui de Dieu pour s’imaginer un nouveau destin politique au Liberia. Lui aussi appelle le Lurd et le Model à se tenir à l’écart du pouvoir parce que, dit-il «ce n’est pas parce que l’on sait se servir d’un Kalachnikoff que l’on est capable d’administrer un pays». Des paroles d’Evangile sans doute, mais pas vraiment de quoi interrompre la course armée pour le pouvoir tant qu’il restera des hommes et des munitions pour la disputer.
par Monique Mas
Article publié le 29/07/2003