Liberia
Seul dans la descente aux enfers
Le Liberia se meurt. Les statisticiens lui concèdent toujours un peu plus de trois millions d’habitants. La moitié serait en perpétuel déplacement, d’un bout à l’autre du territoire livré aux seigneurs de la guerre. Ils sont désormais abandonnés par la plupart des humanitaires. Monrovia est le théâtre d’un huis clos sanglant où l’épouvante des civils n’a d’égale que l’impuissance internationale. Le Liberia est un champ de ruines matérielles et morales. Hier, les rebelles de Charles Taylor ont rejeté le projet d’accord de paix de la Cedeao. Ils veulent leur part du pouvoir. S’ils ne peuvent la ramasser, ils se battront pour l’arracher. De son côté, Taylor jure de lutter jusqu’au dernier homme. La Cedeao répugne à imposer de force une paix dont les belligérants ne veulent pas. Washington aussi.
La promesse de cessez-le-feu signée à Accra le 17 juin dernier s’est évanouie sous les tirs de mortiers qui ont frappé jusqu’à l’ambassade américaine de Monrovia. Pourtant, le secrétaire général de l’Onu, Kofi Annan s’époumone toujours pour affirmer que «la crise libérienne ne peut pas être réglée par une confrontation militaire» et appeler en particulier les Libériens unis pour la réconciliation et la démocratie (Lurd) à «respecter pleinement le cessez-le-feu». Mais comme ses compagnons de route rebelles du Mouvement pour la démocratie au Liberia (Model), le Lurd tient à faire savoir de manière tonnante et létale qu’il est l’un des «principaux acteurs du retour de la paix au Libéria», et donc, en attendant, un protagoniste de la lutte armée pour le pouvoir. La perspective de la chute de la maison Taylor a en effet aiguisé les appétits rebelles. Mais le plan de règlement négocié de la Cedeao les a laissé sur leur faim.
Selon le scénario écrit par la Cedeao pour conduire le Libéria de la guerre à la paix, en passant par une transition chargée de préparer le terrain électoral, les belligérants en chef du régime Taylor, du Lurd et et du Model «seront inéligibles aux portefeuilles du gouvernement de transition». Cela ne convient pas du tout aux rebelles qui verraient plutôt une partie à trois vice-présidents (Lurd, Model et gouvernement) encadrant un «président du gouvernement de transition qui pourrait provenir des partis politiques ou de la société civile». Pour le reste, les rebelles trouvent que la Cedeao fait la part trop belle aux 18 partis politiques non armés du Libéria. «Leur jeu commence là où le notre s’arrête», explique cyniquement le porte parole du Model. Quant à Sékou Damate Conneh, le chef du Lurd, il affirme, une fois de plus, sa détermination à «prendre le contrôle total» de Monrovia. Ce n’est bien sûr pas du tout ce que la Cedeao a inscrit au programme de son projet de transition.
Le septennat de Charles Taylor (élu en 1997) échoit le 1er août prochain. Le président nigérian Olusegun Obasanjo espérait que cette date serait l’occasion pour Taylor de répondre à son invitation et de prendre la porte de sortie. Le vice-président Moses Blah assurerait alors l’intérim jusqu’en octobre 2003, le temps de mettre sur pied une administration de la transition. Selon le plan de la Cedeao, celle-ci devait conduire à des élections un an plus tard, en octobre 2004. C’est un ancien président nigérian, lui-même familier des épineuses transitions entre militaires et civils, le général Abdulsalami Abubakar, qui dirige les négociations inter-libériennes. Il escomptait une signature le 17 juillet. Il risque de devoir attendre que les belligérants aient brûlé leurs dernières cartouches.
Dialogue de sourds
Kofi Annan «rappelle à tous ceux qui pourraient commettre des violations graves des droits de l’homme ou du droit international humanitaire qu’ils seront tenus responsables de leurs actes». Charles Taylor le sait déjà et il est clair que tant qu’il lui restera un souffle de vie, il campera sur ses positions de seigneurs de la guerre, si rien ni personne ne le contraint à se mettre à l’abri. Pour sa part, la Cedeao n'est pas pressée d'aller, comme le lui demande Kofi Annan, «restaurer le calme et la sécurité» au Liberia. Le Nigéria l’a dit mardi, il n’est pas question d’intervenir en l’absence d’un cessez-le-feu. En revanche, le gendarme régional a promis de fournir l’essentiel de la force de maintien de la paix ouest-africaine, avec deux bataillons, soit 1 300 hommes sur les 5 000 requis. Aujourd'hui, la Cedeao renvoie à la semaine prochaine sa décision sur la date à laquelle elle va "déployer d'urgence" des troupes au Libéria. Le secrétaire général de l’Onu s’emploie donc à une sorte de dialogue de sourds lorsqu’il «exhorte les Etats-Unis à ne ménager aucun effort pour faciliter ce déploiement » qui traîne en longueur (celui de la Cedeao) et à «annoncer leur propre décision concernant le déploiement de troupes américaines avant qu’il ne soit trop tard».
Depuis trois semaines déjà, l’armada américaine est évoquée ici ou là pour suggérer que certains de ses effectifs pourraient être employés au Libéria. Mais jusqu’à présent, il s’est uniquement agi d’évacuer du personnel. On ne sait rien du rapport des experts dépêchés sur place pendant le séjour du président Bush en Afrique début juillet. Et ce sont des Libériens qui ont dû retirer les cadavres de leurs compatriotes amoncelés devant l’ambassade américaine. Nul n’a oublié comment des centaines de casques bleus avaient été enlevés en avril-mai 2000 en Sierra Leone où l’Onu avait commencé à dépêcher quelques mois plus tôt des milliers de soldats. C’est un commando de 800 parachutistes britanniques qui avait pu venir à bout de la rébellion du RUF, capturant son chef Fodeh Sankoh au passage. Aujourd’hui, des pressions se conjuguent en Afrique et au plan international sur l’administration Bush. La diplomatie française par exemple fait observer que «le Royaume-Uni a pris ses responsabilités en Sierra Leone, la France a pris les siennes en Côte d’Ivoire et d’autres pays pourraient être amenés à prendre les leurs en ce qui concerne le Libéria».
En Somalie, la tentative de mise sous tutelle militaire américano-onusienne a été un échec. L’Irak et son pétrole sont aujourd’hui une autre paire de manches. Et malgré son bois, ses diamants ou ses ex afro-américains, la pétaudière libérienne n’est guère attractive. Les «zones de sécurité humanitaires» semblent pour leur part passées de mode, pour le moment, après le temps des calculs politico-militaires qui ont pu prévaloir à Srebenisca dans l’ex-Yougoslavie ou dans la zone Turquoise au Rwanda. Quant aux couloirs humanitaires pour exfiltrer ceux qui voudraient fuir le Liberia, ils ne sont pas à l’ordre du jour, même pour les étrangers non occidentaux ou «assimilés» (Sierra Léonais ou Ivoiriens) piégés entre les feux des «Sobels» (soldats le jour, rebelle la nuit) en tous genres. Faute d’alternative viable entre le système Taylor et les sociétés rebelles, les diplomaties africaine et internationale entendaient injecter des acteurs politiques sur la scène libérienne. Faute de pouvoir mettre les soudards au pas, elles risquent de devoir assister à la désintégration du Libéria.
Ecouter également :
L'invité de la rédaction (24/07/03)
Selon le scénario écrit par la Cedeao pour conduire le Libéria de la guerre à la paix, en passant par une transition chargée de préparer le terrain électoral, les belligérants en chef du régime Taylor, du Lurd et et du Model «seront inéligibles aux portefeuilles du gouvernement de transition». Cela ne convient pas du tout aux rebelles qui verraient plutôt une partie à trois vice-présidents (Lurd, Model et gouvernement) encadrant un «président du gouvernement de transition qui pourrait provenir des partis politiques ou de la société civile». Pour le reste, les rebelles trouvent que la Cedeao fait la part trop belle aux 18 partis politiques non armés du Libéria. «Leur jeu commence là où le notre s’arrête», explique cyniquement le porte parole du Model. Quant à Sékou Damate Conneh, le chef du Lurd, il affirme, une fois de plus, sa détermination à «prendre le contrôle total» de Monrovia. Ce n’est bien sûr pas du tout ce que la Cedeao a inscrit au programme de son projet de transition.
Le septennat de Charles Taylor (élu en 1997) échoit le 1er août prochain. Le président nigérian Olusegun Obasanjo espérait que cette date serait l’occasion pour Taylor de répondre à son invitation et de prendre la porte de sortie. Le vice-président Moses Blah assurerait alors l’intérim jusqu’en octobre 2003, le temps de mettre sur pied une administration de la transition. Selon le plan de la Cedeao, celle-ci devait conduire à des élections un an plus tard, en octobre 2004. C’est un ancien président nigérian, lui-même familier des épineuses transitions entre militaires et civils, le général Abdulsalami Abubakar, qui dirige les négociations inter-libériennes. Il escomptait une signature le 17 juillet. Il risque de devoir attendre que les belligérants aient brûlé leurs dernières cartouches.
Dialogue de sourds
Kofi Annan «rappelle à tous ceux qui pourraient commettre des violations graves des droits de l’homme ou du droit international humanitaire qu’ils seront tenus responsables de leurs actes». Charles Taylor le sait déjà et il est clair que tant qu’il lui restera un souffle de vie, il campera sur ses positions de seigneurs de la guerre, si rien ni personne ne le contraint à se mettre à l’abri. Pour sa part, la Cedeao n'est pas pressée d'aller, comme le lui demande Kofi Annan, «restaurer le calme et la sécurité» au Liberia. Le Nigéria l’a dit mardi, il n’est pas question d’intervenir en l’absence d’un cessez-le-feu. En revanche, le gendarme régional a promis de fournir l’essentiel de la force de maintien de la paix ouest-africaine, avec deux bataillons, soit 1 300 hommes sur les 5 000 requis. Aujourd'hui, la Cedeao renvoie à la semaine prochaine sa décision sur la date à laquelle elle va "déployer d'urgence" des troupes au Libéria. Le secrétaire général de l’Onu s’emploie donc à une sorte de dialogue de sourds lorsqu’il «exhorte les Etats-Unis à ne ménager aucun effort pour faciliter ce déploiement » qui traîne en longueur (celui de la Cedeao) et à «annoncer leur propre décision concernant le déploiement de troupes américaines avant qu’il ne soit trop tard».
Depuis trois semaines déjà, l’armada américaine est évoquée ici ou là pour suggérer que certains de ses effectifs pourraient être employés au Libéria. Mais jusqu’à présent, il s’est uniquement agi d’évacuer du personnel. On ne sait rien du rapport des experts dépêchés sur place pendant le séjour du président Bush en Afrique début juillet. Et ce sont des Libériens qui ont dû retirer les cadavres de leurs compatriotes amoncelés devant l’ambassade américaine. Nul n’a oublié comment des centaines de casques bleus avaient été enlevés en avril-mai 2000 en Sierra Leone où l’Onu avait commencé à dépêcher quelques mois plus tôt des milliers de soldats. C’est un commando de 800 parachutistes britanniques qui avait pu venir à bout de la rébellion du RUF, capturant son chef Fodeh Sankoh au passage. Aujourd’hui, des pressions se conjuguent en Afrique et au plan international sur l’administration Bush. La diplomatie française par exemple fait observer que «le Royaume-Uni a pris ses responsabilités en Sierra Leone, la France a pris les siennes en Côte d’Ivoire et d’autres pays pourraient être amenés à prendre les leurs en ce qui concerne le Libéria».
En Somalie, la tentative de mise sous tutelle militaire américano-onusienne a été un échec. L’Irak et son pétrole sont aujourd’hui une autre paire de manches. Et malgré son bois, ses diamants ou ses ex afro-américains, la pétaudière libérienne n’est guère attractive. Les «zones de sécurité humanitaires» semblent pour leur part passées de mode, pour le moment, après le temps des calculs politico-militaires qui ont pu prévaloir à Srebenisca dans l’ex-Yougoslavie ou dans la zone Turquoise au Rwanda. Quant aux couloirs humanitaires pour exfiltrer ceux qui voudraient fuir le Liberia, ils ne sont pas à l’ordre du jour, même pour les étrangers non occidentaux ou «assimilés» (Sierra Léonais ou Ivoiriens) piégés entre les feux des «Sobels» (soldats le jour, rebelle la nuit) en tous genres. Faute d’alternative viable entre le système Taylor et les sociétés rebelles, les diplomaties africaine et internationale entendaient injecter des acteurs politiques sur la scène libérienne. Faute de pouvoir mettre les soudards au pas, elles risquent de devoir assister à la désintégration du Libéria.
Ecouter également :
L'invité de la rédaction (24/07/03)
par Monique Mas
Article publié le 23/07/2003