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Liberia

Fin de partie pour Charles Taylor ?

Charles Taylor accepte le «lieu de refuge» au Nigéria offert par le président Obasanjo qui a précisé qu’il n’accepterait pas de rendre des comptes à la justice internationale «pour avoir invité Taylor au Nigeria». Mais le président libérien ne fixe pas la date de son départ et assure qu’il ne quittera pas Monrovia avant l’arrivée d’une force internationale sous commandement américain. Le Libéria est lourdement présent dans la tournée africaine du président américain George Bush. Une mission de reconnaissance militaire américaine vient d’ailleurs d’arriver à Monrovia, pour évaluer la situation humanitaire et sécuritaire.
Le président nigérian, Olusegun Obasanjo, a reçu un coup de fil du secrétaire d’Etat américain, Colin Powell, samedi, avant de s’envoler pour Robertsfield, à une cinquantaine de kilomètres de Monrovia. Il n’est pas allé plus loin que le salon d’honneur de l’aéroport pour offrir à Charles Taylor un «lieu de refuge au Nigéria, à n’importe quel moment qu’il aura choisi». «Nous l’avons accepté», a répondu le président du Libéria sans donner de calendrier précis mais en ajoutant qu’il ne lui semblait pas «déraisonnable de demander une sortie en ordre du pouvoir… pour éviter le chaos». Quelque 2000 de ses partisans l’avaient accompagné à Robertsfield armé de banderoles pour exiger des Etats-Unis et des Nations unies «la réinsertion sociale de tous les anciens combattants» et l’abandon «des poursuites contre le président Taylor», visé par un mandat international du tribunal spécial sur la Sierra Leone pour crimes de guerre.

La Constitution du Libéria désigne le vice-président, Moses Blah, comme le successeur de Charles Taylor à la présidence. Ce dernier l’a répété plusieurs fois : «Si je suis la cause du conflit au Libéria, je démissionnerai». L’heure est peut-être venue, au moment où il ne contrôle plus qu’un cinquième du territoire et surtout au regard des pressions extérieures, américaines en particulier. D’ailleurs, confiée à Moses Blah, un fidèle féal, militaire de surcroît, la maison Monrovia sera bien gardée, face à des rebelles qui paraissent davantage compter sur autrui que sur eux-mêmes pour la prendre. Et avant de battre éventuellement retraite au Nigéria, Taylor a visiblement fait le tour de la question judiciaire avec Washington, par l’entremise de Lagos. Olusegun Obasanjo n’a pas manqué de dire haut et fort qu’il refuserait de rendre des comptes à la justice internationale et d’être «harcelé» par quiconque, «Etat ou organisation», pour avoir accueilli Taylor. Du reste, il semble que l’arsenal juridique nigérian ne comporte pas de loi permettant de l’extrader.

Bush: «Taylor doit partir !»

Si l’on s’en tient aux mots soigneusement sélectionnés par le général-diplomate Obasanjo –qui a banni le terme exil, Charles Taylor serait promis à un avenir de réfugié au Nigéria, à la manière de son ancien allié mais finalement adversaire, Prince Johnson, qui en 1990 avait fait mourir sous la torture leur ennemi commun, le défunt président Samuel Doe. Prince Johnson vit à Lagos depuis onze ans et il attend avec impatience une quelconque nouvelle donne au Libéria pour remettre son Ulimo J dans le jeu. C’est aussi ce qu’avait fait le filleul sierra-léonais de Taylor, Foday Sankoh, le chef du Ruf (Front uni révolutionnaire), en résidence plus ou moins surveillée au Nigéria en 1997-1998, avant de bénéficier d’une amnistie, de revenir partager le pouvoir au pays en 1999, d’être arrêté en mai 2000 et placé sous le coup de la justice internationale. Charles Taylor n’ignore sans doute pas grand-chose des aléas de la paix pour un seigneur de la guerre chassé des allées du pouvoir. Lui-même est visiblement pour beaucoup dans la mort brutale de son obligé du Ruf, Sam Bockarie (le 6 mai 2003) et de l’ancien chef de la junte sierra léonaise Johnny Paul Koroma, début juin 2003. Le soutien aux rebelles du voisinage était l’une des causes des sanctions onusiennes et de l’animosité américaine. Leur neutralisation n’a pas empêché le président Bush d’insister: «Taylor doit partir !».

Le gendarme régional, le Nigéria connaît bien les chausses-trapes du Libéria et de ses affidés rebelles de Sierra Leone où il est intervenu à maintes reprises tout au long de la dernière décennies, dans le cadre de forces de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Ses troupes ne sont jamais parvenues à stabiliser l’un ou l’autre de ces deux pays, ni par la guerre ni par le parachutage de quelque homme providentiel. Aujourd’hui plus qu’hier, et nonobstant la traditionnelle solidarité entre chefs d’Etats, la région tout entière mesure l’importance des dégâts occasionnés par le trublion du Libéria. Mais si elle se propose de fournir 3000 hommes au moins pour intervenir au Libéria, la Cedeao n’a pas de quoi les équiper et si l’on en juge par le passé, elle peut aussi s’interroger sur ses chances de succès qui tiennent à d’autres raisons que purement matérielles. Tous les regards sont donc tournés vers Washington. La Maison Blanche subit la pression de ses lobbies intérieurs et celle des Nations unies qui suggèrent un engagement américain consistant en forme de commandement d’une force militaire éventuellement ouest-africaine.

George Bush ne peut pas éluder la question du Libéria pour sa première tournée africaine (8-12 juillet). Du bourbier somalien aux investissements militaires en Afghanistan et en Irak, Washington hésitait jusqu’à présent à s’engager plus avant en Afrique. Sa lutte antiterroriste le conduisait à s’intéresser surtout à la côte orientale où les Etats-Unis sont présents de Djibouti au Kenya. Les présidentielles approchant et le lobby afro-américain aidant, certaines Eglises et associations caritatives aussi, George Bush a quand même décidé de consacrer un peu de son temps à un continent qu’il jure aujourd’hui avoir toujours pris en compte. La presse américaine suggère même qu’il serait prêt à envoyer entre 500 et 2 000 Marines au Libéria pour consolider l’accord de paix inter libérien du 17 juin. Georges Bush ne s’est pas encore exprimé clairement sur le sujet, sinon pour dire que le départ de Taylor constituait la première étape obligée d’un processus de stabilisation. Du coup Taylor lui renvoie la balle en expliquant qu’il se doit de rester à Monrovia pour assurer la sécurité de ses partisans jusqu’à l’arrivée d’une force indépendante, sous commandement américain, précise-t-il.

«Nous sommes là pour évaluer la situation humanitaire mais aussi sécuritaire», indique le chef d’une équipe d’experts militaires américains arrivée lundi à Monrovia. D’autres vont suivre. Mais l’ambassadeur américain au Libéria rappelle que «toute décision en vue d’une mission de maintien de la paix plus importante dépend du président Bush». Son annonce aussi.



Article publié le 07/07/2003