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Liberia

Cessez-le-feu sous haute-tension

«Nous avons été attaqués dans les comtés de Nimba et de Sinoe» après une heure du matin ce mercredi 18 juin, c’est-à-dire après que l’horloge ait sonné l’entrée en vigueur du cessez-le-feu auquel se sont engagés les belligérants mardi à Accra. A ces accusations des rebelles du Mouvement pour la démocratie du Liberia (Model), le ministre libérien de la Défense répond qu’il faut du temps pour que l’ordre de cesser le feu se concrétise sur le terrain. Reste que Charles Taylor n’a pas encore dit son dernier mot sur son exclusion de la transition prévue à l’issue des négociations politiques qui s’ouvrent aujourd’hui. Celles-ci doivent en effet aboutir sous trente jours à un accord de paix global qui dépouillera Taylor de ses prérogatives présidentielles. Le Tribunal spécial de Sierra Leone le réclame, pour crimes contre l’humanité. Il tient déjà captif son poulain, Fodeh Sanko. Un contre-modèle pour l’ancien chef de guerre libérien qui n’a jamais lâché la proie pour l’ombre ces treize dernières années.
Les avertissements du chef de la milice de Charles Taylor, le général Roland Duo résonnent autant comme des inquiétudes que des menaces: «Si Taylor ne fait pas partie du processus de désarmement, il y aura des problèmes… si Taylor doit partir, nous partirons avec lui. Taylor partira seulement quand il en aura envie, pas au bout de trente jours». Sur ce dernier point, si contraintes soient-elles, les «envies» de Charles Taylor restent opaques. Certes, il s’est déclaré disposé à «examiner sérieusement» l’opportunité de se tenir à l’écart de la conduite des affaires politiques au terme de son mandat, en janvier prochain. Il ne briguerait plus de mandat présidentiel, assurait-il, et il formerait «un gouvernement d’union nationale» . Mais ces promesses, il les tenait à l’ouverture des négociations d’Akosombo au Ghana, quelques heures avant que le Tribunal spécial de Sierra Leone l’inculpe pour son étroite collaboration avec les criminels de guerre voisins. Depuis, son avenir s’est bouché plus vite que prévu avec la perspective «d’un gouvernement de transition qui n’inclura pas l’actuel président, conformément à sa déclaration du 4 juin», à Akosombo, indique le texte de l’accord de cessez-le-feu qui prévoit un volet politique associant les partis politiques et autres représentants de la société civile.

Le Tribunal spécial de Sierra Leone ne veut pas, et ne peut d’ailleurs pas, faire machine arrière en retirant son inculpation comme l’exige Taylor qui au mieux peut espérer un avenir d’éternel fugitif à défaut de pouvoir faire valoir quelque immunité de chef d’Etat. En perdant la main à Monrovia, il perd aussi le rempart d’une armée nationale en forme de garde prétorienne. Enfin, les rebelles refusent l’idée de négocier une amnistie et de toute façon, Taylor sait d’expérience sierra léonaise qu’au plan national, même très chèrement négociée, une amnistie ne vaut guère mieux qu’une mise en garde. Au premier mouvement de ses partisans, en mai 2000, le chef du RUF Fodeh Sanko était tombé à Freetown du statut de florissant ministre des Mines à celui de détenu foudroyé par une justice internationale casquée de bleu.
De leur côté, les adversaires de Taylor gardent en mémoire la douzaine de pseudo-accords de paix qu’il avait signé, depuis son entrée en guerre le 24 décembre 1989, avant de troquer le battle-dress pour la canne de président en 1997. Les urnes l’avaient alors consacré chef d’Etat, de guerre lasse.

«Une seule personne ne peut pas constituer le problème de tout un pays».

C’est déjà sur Charles Taylor que la force d’interposition ouest-africaine, l’Ecomog, s’était cassé les dents, après son débarquement au Liberia, en août 1990. Du président intérimaire, Amos Sawyer, jusqu’au gouvernement de transition, tous deux sortis de ses fourgons (lourds de 20 000 hommes au plus fort de ses effectifs), l’Ecomog est partie sur des présidentielles où les dollars amassés par l’ancien seigneur de la guerre ont fait merveille. Taylor est resté aux commandes. Aujourd’hui, plus qu’hier, nul doute que la majorité des quelque trois millions de Libériens survivants aspirent à la paix. Après tout, le cessez-le-feu peut en être le prélude. Reste à le garantir. Pour veiller à son application, l’accord prévoit la formation d’une équipe réunissant des représentants des signataires, des Nations unies, de l’Union africaine et du Groupe de contact international sur le Liberia. D’ores et déjà, la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) a dépêché au Liberia une mission chargée de faire un état des lieux avant le déploiement des organisations humanitaires qui est au menu de l’accord pour secourir les centaines de milliers de déplacés de guerre. Ensuite, il faudra songer à la «force de stabilisation internationale» qu’exige le chaos libérien.

«Une seule personne ne peut pas constituer le problème de tout un pays. C’est un système qui a été mis en place. Si le Lurd prenait Monrovia, cela ne ferait qu’augmenter le chaos», fulmine monseigneur Michael Francis, l’archevêque de Monrovia qui estime par ailleurs que les Etats-Unis ont laissé tomber le Liberia. D’après lui, «il suffirait de 500 marines au Liberia et la guerre serait terminée». Il vont peut-être finir par arriver avec l’USS Kearsarge. En attendant, Washington applaudit au cessez-le-feu et à l’idée de mettre Taylor sur la touche. Taylor est acculé. Il peut être appréhendé n’importe où en vertu du mandat international lancé de Freetown. Au Liberia, ses anciens amis risquent de succomber au partage du pouvoir qui va se faire, sans lui, et même contre lui, au Ghana. Quant aux autres, la majorité qui rêve d’un long fleuve tranquille, ils partagent certainement le sentiment de l’archevêque de Monrovia : «Nous en avons assez des libérateurs. Les Libériens sont fatigués d’être libérés





par Monique  Mas

Article publié le 18/06/2003