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Liberia

Canonnière américaine au large de Monrovia

Officiellement, le navire de guerre amphibie USS Kearsarge croise au large du Liberia pour appuyer l’opération d’évacuation des ressortissants américains Shining Express. A défaut de compatriotes à rapatrier, les quelque 2000 marines à bord du destroyer pourraient employer leurs hélicoptères de combat à des tâches moins humanitaires, en relation avec le cessez-le-feu que les belligérants libériens peinent à conclure à Akosombo, au Ghana. La seule présence du bâtiment militaire place en tout cas Monrovia et son chef de guerre-président sous l’œil sévère de Washington
«Les Etats-Unis veulent assurer la sécurité de ses ressortissants au Liberia. Mais, pour l’instant aucune décision n’a été prise quant à une éventuelle évacuation», expliquait vendredi un porte-parole du Pentagone. La veille, le 12 juin, ordre de faire cap sur l’Afrique occidentale avait été donné au navire de combat amphibie, USS Kearsage , qui vient de participer à l’offensive américano-britannique contre l’Irak. Au lieu de rejoindre comme prévu sa base de Norfolk en Virginie, il a été dérouté vers le Golfe de Guinée et il devrait mouiller au large de Monrovia d’ici quelques jours. C’est un navire de guerre sophistiqué qui transporte un corps expéditionnaire d’environ 2000 marines, 1200 hommes d’équipage, des hélicoptères de combat et tout un arsenal militaire de pointe. Au Liberia, les marines pourront épauler les 300 soldats américains déjà sur place parmi lesquels des éléments des forces américaines entraînés aux «opérations spéciales» de repérage et d’action. Certains de ces derniers ont été déployés à Monrovia, en protection de l’ambassade américaine. D’autres sont en appui logistique dans les pays voisins comme la Sierra Leone ou le Sénégal.

Lundi, ce sont quelque 1500 Ghanéens que l’armée ghanéenne a évacué de Monrovia, par air et par mer. La semaine dernière, plus de 500 ressortissants occidentaux avaient été exfiltrés de la capitale libérienne, par les soldats français notamment. Mais jusqu’à présent, les Américains n’ont pas donné d’ordre d’évacuation tout en organisant le «départ ordonné des ressortissants américains souhaitant quitter le pays». Il reste sans doute encore des Américains à double nationalité à ne pas avoir profité des opérations précédentes. Mais l’envoi d’un navire de guerre n’était sûrement pas incontournable. Officiellement l'USS Kearsage n’a pas de mission à terre, si ce n’est de se tenir prêt à toute éventualité.

«Vos hélicoptères et vos navires ne serviront à rien»

Selon les observateurs, la possibilité d’une intervention militaire américaine reste très mince, en dépit de pressions afro-américaines en faveur d’une force internationale pour stabiliser le Liberia. Un cessez-le-feu entre belligérants libériens pourrait être l’occasion d’une implication américaine plus directe dans cette région où, comme le fait observer par exemple le quotidien britannique Financial Times, «le Royaume uni est intervenu militairement en Sierra Leone et la France garde la Côte d’Ivoire». Les partisans d’une intervention américaine verrait bien Washington franchir le gué dans ce pays donné en 1847 à des esclaves américains affranchis. Un Liberia pour lequel les Etats-Unis ont beaucoup payé jusqu’à ce que les frasques régionales et surtout les trafics d’armes et de diamants de Charles Taylor incitent le département d’Etat américain à songer à son remplacement.

Charles Taylor se déclare d’accord sur le principe d’une intervention de casques bleus, pour peu qu’elle n’empiète pas sur son dernier quartier de pouvoir. «Vos hélicoptères et vos navires ne serviront à rien», s’insurge l’ancien chef de guerre depuis que le 7 juin dernier la Cour pénale spéciale de Sierra Leone l’a inculpé de crimes de guerre et contre l’humanité, le jour même où commençaient au Ghana les négociations inter-libériennes en vue d’un cessez-le-feu. Charles Taylor a dit clairement qu’il voyait la main des Etats-Unis derrière cette décision. C’est également tout particulièrement à Washington qu’il s’adresse quand il plaide pour sa levée en promettant «je suis prêt à partir à la fin de mon mandat qui expire en janvier, à ne pas me présenter pour un second mandat aux prochaines élections». Mais, menace Charles Taylor, «si je démissionne, qui contrôlera les milliers de guérilleros» cachés dans la forêt et puis, tente-t-il de marchander «où est l’intérêt pour les partisans de Charles Taylor de déposer les armes, s’il n’ont aucune garantie sur leur propre sécurité», et surtout sur leur impunité.

L’arrivée du navire de guerre américain à portée de tir de Monrovia n’est certainement pas indifférente au revirement des Libériens unis pour la réconciliation et la démocratie, les rebelles du Lurd dont la base arrière guinéenne passe par Conakry, mais aussi Washington. Samedi 14 juin, le Lurd avait rejeté la signature d’un cessez-le-feu annoncé par la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest, la Cedeao. En échange, le Lurd exigeait la démission immédiate de Taylor. Ce lundi 16 juin, c’est la perspective même d’un cessez-le-feu que le Lurd est en train de «reconsidérer», selon son représentant aux pourparlers d’Akosombo, Kabineh Ja’neh. Il invoque l’attaque de «nos positions sur tous les fronts» qui selon lui, à défaut de cessez-le-feu, indique quand même que «si notre adversaire fait la guerre, c’est un signe supplémentaire de son hypocrisie». De leur côté, les combattants du Lurd ont poursuivi leur offensive contre Monrovia, malgré Akosombo. Ils contrôleraient plus de 60% du pays, avec l’autre groupe rebelle, surgi tout récemment du flanc ouest de la Côte d’Ivoire, le Mouvement pour la démocratie au Liberia (Model).

Charles Taylor est dans la ligne de mire de l’USS Kearsarge. Mais il n’est pas certain pour autant que le Pentagone envisage de se risquer dans un chaudron libérien où l’appétit du pouvoir et l’esprit de revanche tiennent lieu de viatique politique. Le navire de guerre américain indique à Taylor qu’il est cerné, voire privé d’issue de secours. Quant à le débarquer, un accord à Akosombo éviterait des frais militaires, toujours incertains. C’est pour le moment ce que la diplomatie internationale, Américains compris, exige des belligérants.



par Monique  Mas

Article publié le 16/06/2003