Liberia
Bush toujours réticent à intervenir
Le président américain, George Bush, répugne à s’engager au Libéria. Pressé par le secrétaire général de l’Onu, Kofi Annan, il envisage seulement une intervention d’envergure et de durée très limitées, conditionnée par le départ de Taylor.
Lundi, le secrétaire général de l’Onu, Kofi Annan a fait le déplacement de la Maison Blanche pour tenter de convaincre le président Bush d’intervenir au Libéria. Les deux hommes se revoyaient officiellement pour la première fois depuis le 20 décembre dernier. L’Irak était alors au menu avec une résolution onusienne passée à la trappe américaine, Washington assumant seul la décision de la guerre. L’après-guerre en Irak pèse aujourd’hui encore très lourdement sur le budget militaire américain. Et si l’or noir africain intéresse de plus en plus le président Bush, la route du pétrole ne passe pas par Monrovia. D’ailleurs, même à Lagos, la capitale du Nigeria pétrolier où il achevait sa tournée africaine, le chef de l’Etat américain n’a pas desserré les dents sur une promesse d’intervention au Libéria qui aurait grandement complu à son hôte, Olusegun Obasanjo. Kofi Annan n’a pas obtenu davantage, George Bush renvoyant au rapport de ses experts pour trancher et répétant en substance qu’il ne faut pas trop attendre de Washington.
Le président libérien Charles Taylor explique urbi et orbi qu’il ne quittera pas Monrovia avant l’arrivée d’une force indépendante, sous commandement américain de préférence. Le président Bush exclut d’envoyer des troupes au Libéria tant que Taylor n’est pas parti. Kofi Annan plaide en faveur d’une intervention de Washington. George Bush répond que «l’Onu doit être très vite présente au Libéria» mais que dans tous les cas de figures, «nos forces ne seraient pas envoyées sous mandat des casques bleus». Le secrétaire général de l’Onu aura tout fait pour convaincre Washington. Il a notamment choisi un diplomate américain de haut rang comme envoyé spécial au Libéria, Jacques Paul Klein, qui a servi comme conseiller politique du commandant en chef des forces américaines en Europe. Mais le président américain se dérobe. Kofi Annan «et moi-même», dit-il, «avons discuté du rythme nécessaire dans l’arrivée des casques bleus» mais en ce qui le concerne, George Bush ne veut pas prendre de décision hâtive.
Les Américains n’interviendront pas les premiers
dépêché 35 militaires particulièrement compétents dans les affaires civiles et le génie. Ils ont commencé à explorer la centaine de kilomètres de route qui conduit au port de Buchanan, au sud de Monrovia et aussi la région de Gbargna, la deuxième ville du pays, à quelque 180 kilomètres au nord de la capitale. En même temps, une centaine de soldats et trois hélicoptères ont pris position à Freetown en Sierra Leone tandis qu’un C-130 était parqué à Dakar, le tout pour procéder, le cas échéant, à l’évacuation du groupe d’experts qui doit terminer sa mission d’ici la fin de la semaine. En attendant leur rapport, George Bush répugne à s’engager sur un calendrier ou sur des chiffres. Il précise d’avance que «toute implication serait d’envergure et de durée limitée» mais aussi «conditionnée par le départ de Taylor». En outre, les Américains n’interviendrons pas les premiers. Ils pourraient participer à la sauvegarde du cessez-le-feu du 17 juin dernier, en appui aux forces promises la semaine passée par la Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao). «Nous serions là-bas pour aider et ensuite nous partirions», concède George Bush, Kofi Annan engageant l’Onu à prendre la relève.
La Cedeao a promis 3 000 hommes. Son président en exercice, le Ghanéen John Kufuor, croit même pouvoir promettre l’arrivée à Monrovia de 1 500 casques blancs nigérians, maliens et sans doute sénégalais autour du 20 juillet. Deux bataillons de 1 600 soldats nigérians sont sur le pied de guerre, prêts à partir sur ordre du président Obasanjo. Ce dernier s’est rendu dimanche au chevet du président guinéen Lansana Conté parce que, dit-il, «la crise au Libéria ne peut trouver une solution sans l’avis de la Guinée. Je ne peux pas offrir l’asile à Charles Taylor sans consulter et informer le président guinéen». C’est d’ailleurs avec l’appui de Washington que le président Conté soutient les rebelles Libériens unis pour la réconciliation (Lurd) qui campent aux portes de Monrovia. Et en la matière, Olusegun Obasanjo a sans doute servi de messager au président Bush faute pour ce dernier d’avoir pu s’entretenir avec son homologue guinéen, trop souffrant pour faire le déplacement de Dakar ou de Lagos.
Le peu d’empressement de George Bush donne la mesure du désintérêt croissant des Etats-Unis pour leur créature, le Libéria. Celle-ci n’a d’ailleurs jamais été oeuvre philanthropique. Les affranchis débarqués en décembre 1831 du James Perkins n’avaient guère de choix que d’accepter le pécule de colon d’Afrique qui leur était offert s’ils ne voulaient pas risquer à nouveau l’esclavage en restant dans certains Etats américains comme la Virginie par exemple. En dépit de la proclamation d’indépendance du Libéria, dès 1847, 5% d’Américano-libériens ont durant plus d’un siècle effectivement colonisé les populations locales, l’élite dirigeante se reconnaissant à son teint plus clair ou à son parler américain. Le Libéria faisait figure de protectorat américain, avec la plus grande exploitation de caoutchouc du monde, celle de la firme Firestone, et même l’une des principales flottes commerciales, sans parler des diamants et autres ressources minérales. Il en reste des pavillons de complaisance, la rancœur des autochtones vis-à-vis des créoles, un contre modèle pour la communauté noire américaine mais aussi quand même une forte attente à l’égard de Washington. Cette dernière n’est nullement réciproque.
La guerre du Libéria est un problème régional qui n’intéresse guère les Etats-Unis. George Bush se plait à dire qu’il ne laissera pas se développer en Afrique de nouveaux foyers du terrorisme. Il n’a même pas rendu visite au Kenya, durement touché à plusieurs reprises. Abusé ou non par ses propres services comme il le prétend aujourd’hui, George Bush ne s’était visiblement pas posé beaucoup de questions en utilisant l’argument mensonger d’une vente d’uranium nigérien à Saddam Hussein. Mais il s’agissait de défendre un enjeu stratégique et économique, sur un autre continent, sa guerre à l’Irak. Washington avait évoqué une possible piste terroriste en mai dernier pour un Boeing 727 mystérieusement disparu de l’aéroport angolais de Luanda et brièvement réapparu à Conakry début juillet. Les marchands de canons sont partout dans la région et les services américains font même état de liens entre le Libéria et le terrorisme international. Mais Bush paraît avoir définitivement délégué la question, et la facture, à l’Onu.
Le président libérien Charles Taylor explique urbi et orbi qu’il ne quittera pas Monrovia avant l’arrivée d’une force indépendante, sous commandement américain de préférence. Le président Bush exclut d’envoyer des troupes au Libéria tant que Taylor n’est pas parti. Kofi Annan plaide en faveur d’une intervention de Washington. George Bush répond que «l’Onu doit être très vite présente au Libéria» mais que dans tous les cas de figures, «nos forces ne seraient pas envoyées sous mandat des casques bleus». Le secrétaire général de l’Onu aura tout fait pour convaincre Washington. Il a notamment choisi un diplomate américain de haut rang comme envoyé spécial au Libéria, Jacques Paul Klein, qui a servi comme conseiller politique du commandant en chef des forces américaines en Europe. Mais le président américain se dérobe. Kofi Annan «et moi-même», dit-il, «avons discuté du rythme nécessaire dans l’arrivée des casques bleus» mais en ce qui le concerne, George Bush ne veut pas prendre de décision hâtive.
Les Américains n’interviendront pas les premiers
dépêché 35 militaires particulièrement compétents dans les affaires civiles et le génie. Ils ont commencé à explorer la centaine de kilomètres de route qui conduit au port de Buchanan, au sud de Monrovia et aussi la région de Gbargna, la deuxième ville du pays, à quelque 180 kilomètres au nord de la capitale. En même temps, une centaine de soldats et trois hélicoptères ont pris position à Freetown en Sierra Leone tandis qu’un C-130 était parqué à Dakar, le tout pour procéder, le cas échéant, à l’évacuation du groupe d’experts qui doit terminer sa mission d’ici la fin de la semaine. En attendant leur rapport, George Bush répugne à s’engager sur un calendrier ou sur des chiffres. Il précise d’avance que «toute implication serait d’envergure et de durée limitée» mais aussi «conditionnée par le départ de Taylor». En outre, les Américains n’interviendrons pas les premiers. Ils pourraient participer à la sauvegarde du cessez-le-feu du 17 juin dernier, en appui aux forces promises la semaine passée par la Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao). «Nous serions là-bas pour aider et ensuite nous partirions», concède George Bush, Kofi Annan engageant l’Onu à prendre la relève.
La Cedeao a promis 3 000 hommes. Son président en exercice, le Ghanéen John Kufuor, croit même pouvoir promettre l’arrivée à Monrovia de 1 500 casques blancs nigérians, maliens et sans doute sénégalais autour du 20 juillet. Deux bataillons de 1 600 soldats nigérians sont sur le pied de guerre, prêts à partir sur ordre du président Obasanjo. Ce dernier s’est rendu dimanche au chevet du président guinéen Lansana Conté parce que, dit-il, «la crise au Libéria ne peut trouver une solution sans l’avis de la Guinée. Je ne peux pas offrir l’asile à Charles Taylor sans consulter et informer le président guinéen». C’est d’ailleurs avec l’appui de Washington que le président Conté soutient les rebelles Libériens unis pour la réconciliation (Lurd) qui campent aux portes de Monrovia. Et en la matière, Olusegun Obasanjo a sans doute servi de messager au président Bush faute pour ce dernier d’avoir pu s’entretenir avec son homologue guinéen, trop souffrant pour faire le déplacement de Dakar ou de Lagos.
Le peu d’empressement de George Bush donne la mesure du désintérêt croissant des Etats-Unis pour leur créature, le Libéria. Celle-ci n’a d’ailleurs jamais été oeuvre philanthropique. Les affranchis débarqués en décembre 1831 du James Perkins n’avaient guère de choix que d’accepter le pécule de colon d’Afrique qui leur était offert s’ils ne voulaient pas risquer à nouveau l’esclavage en restant dans certains Etats américains comme la Virginie par exemple. En dépit de la proclamation d’indépendance du Libéria, dès 1847, 5% d’Américano-libériens ont durant plus d’un siècle effectivement colonisé les populations locales, l’élite dirigeante se reconnaissant à son teint plus clair ou à son parler américain. Le Libéria faisait figure de protectorat américain, avec la plus grande exploitation de caoutchouc du monde, celle de la firme Firestone, et même l’une des principales flottes commerciales, sans parler des diamants et autres ressources minérales. Il en reste des pavillons de complaisance, la rancœur des autochtones vis-à-vis des créoles, un contre modèle pour la communauté noire américaine mais aussi quand même une forte attente à l’égard de Washington. Cette dernière n’est nullement réciproque.
La guerre du Libéria est un problème régional qui n’intéresse guère les Etats-Unis. George Bush se plait à dire qu’il ne laissera pas se développer en Afrique de nouveaux foyers du terrorisme. Il n’a même pas rendu visite au Kenya, durement touché à plusieurs reprises. Abusé ou non par ses propres services comme il le prétend aujourd’hui, George Bush ne s’était visiblement pas posé beaucoup de questions en utilisant l’argument mensonger d’une vente d’uranium nigérien à Saddam Hussein. Mais il s’agissait de défendre un enjeu stratégique et économique, sur un autre continent, sa guerre à l’Irak. Washington avait évoqué une possible piste terroriste en mai dernier pour un Boeing 727 mystérieusement disparu de l’aéroport angolais de Luanda et brièvement réapparu à Conakry début juillet. Les marchands de canons sont partout dans la région et les services américains font même état de liens entre le Libéria et le terrorisme international. Mais Bush paraît avoir définitivement délégué la question, et la facture, à l’Onu.
par Monique Mas
Article publié le 15/07/2003