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Rwanda

La procureure du TPI dénonce des pressions

Dans un effort de dernière minute pour conserver son mandat de procureur du Tribunal pénal international pour le Rwanda, Carla Del Ponte a plaidé vendredi devant le Conseil de sécurité des Nations unies. En vain. Un nouveau procureur pour le Rwanda devrait être nommé la semaine prochaine, sur fond de pressions exercées par le gouvernement rwandais.
New York (Nations unies), de notre correspondant

Carla Del Ponte s'est battue jusqu'au bout. Contrairement à l'avis du secrétaire général des Nations unies Kofi Annan, elle a tenté de défendre hier, face au Conseil de sécurité, sa double fonction de procureur du TPI pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) et le Rwanda (TPIR). Alors que ce mandat de 4 ans expire le 15 septembre prochain, Kofi Annan a recommandé au Conseil de dédoubler le poste. «Au moment où les deux tribunaux sont en passe de mettre en oeuvre des stratégies d'achèvement de leurs travaux», a-t-il écrit, «il me semble essentiel, au nom de l'efficacité, que chacun des deux tribunaux ait son propre procureur, capable de consacrer toute son énergie et toute son attention à l'organisation, la supervision, la gestion et la conduite des enquêtes et des inculpations en cours devant ce tribunal». Tout en recommandant au Conseil de sécurité de renouveler le mandat de la Suissesse en tant que procureure du TPIY, il a clairement désavoué son action à la tête du TIR.

Devant les diplomates du Conseil, Carla Del Ponte a contré les arguments du secrétaire général de l'Onu. D'abord en défendant son bilan. «Au TPIR, 82 personnes ont été inculpées pour l'instant, dont 65 ont été arrêtées et 17 sont toujours en liberté. 14 cas impliquant 5 personnes ont été réglés. Il est prévu que 22 accusés auront été jugés avant la fin 2003», a-t-elle affirmé. Elle a rappelé que conformément aux demandes du Conseil de sécurité, qui veut en finir rapidement avec le TPI, toutes les enquêtes devraient être terminées avant la fin 2004 et tous les procès avant la fin 2008. «Il est évident qu'un dédoublement du mandat de procureur pourrait avoir un effet nuisible à la bonne mise en oeuvre de la stratégie d'achèvement des travaux du TPIR» prévient-elle, en expliquant que cela pourrait créer en outre «une vacance dans la direction du bureau du procureur du TPIR». Et de fait, Kofi Annan n'a pour l'instant aucun candidat à sa succession. Le numéro deux de Carla Del Ponte pour le TPIR, Bongani Christopher Majola, serait donc chargé d'assurer la transition. Mais selon elle, il n’est pas prêt à «soudainement endosser la responsabilité de procureur en chef».

Après avoir balayé les arguments techniques, Carla Del Ponte est entrée dans le vif du sujet. «J'ai malheureusement été exposée à des questions politiques, davantage que ce que j'aurais voulu», a-t-elle dit. «Oui, des campagnes médiatiques sont régulièrement lancées pour tenter de détruire ma crédibilité et parfois ma réputation. Oui, des pressions excessives ont été appliquées pour me pousser à abandonner certaines enquêtes». En coulisses, Carla Del Ponte accuse le gouvernement rwandais d'avoir fait pression pour l'écarter du TPIR. Et de fait, les autorités rwandaises n'ont ménagé aucun effort pour convaincre l'Onu et la presse qu'elle négligeait son rôle de procureur du TPIR, au profit du TPIY. Parallèlement à ses enquêtes sur le génocide de près de 800 000 personnes, des tutsis majoritairement, Carla Del Ponte a ouvert des instructions contre des cadres tutsis de l'armée populaire rwandaise (APR) qui se seraient rendus coupables du massacre de près de 30 000 personnes, en représailles du génocide. Le gouvernement rwandais, dont certains officiels se sentent menacés, tenterait de bloquer ces enquêtes et refuserait obstinément de coopérer avec Carla Del Ponte depuis qu'elle les a ouvertes.

«Amère et résignée»

A en croire l'entourage de Carla Del Ponte, les pressions rwandaises ont été relayées par les Etats-Unis et la Grande Bretagne -tous deux alliés du gouvernement rwandais- auprès de Kofi Annan et du Conseil de sécurité. Avec succès. Les Etats-Unis sont même allés jusqu'à proposer de ne renouveler Carla Del Ponte que pour un an à la tête du TPIY, au lieu des quatre ans prévus. Des diplomates affirment que Londres et Washington craignent que les arrestations d'officiels tutsis de l'armée rwandaise, considérés comme des héros pour avoir stoppé le génocide, ne déstabilisent le pays. Cet argument est contesté par les ONG, qui estiment que pour être impartiale, la justice internationale ne saurait épargner une partie au conflit.

Les motivations de Kofi Annan sont également difficiles à lire. A-t-il cédé aux pressions? Pense-t-il sincèrement qu'un nouveau procureur fera mieux? A-t-il toujours en mémoire son impuissance, en tant que responsable des opérations de maintien de la paix de l'Onu, à arrêter le génocide rwandais? Toujours est-il qu'il n'a jamais vraiment apprécié le style de Carla Del Ponte, trop bruyante à son goût. Et avant de prendre sa décision, il n'a consulté le Conseil de sécurité que très superficiellement. A aucun moment, les tenants d'un dédoublement du mandat n'ont publiquement exposé leurs arguments. Ce qui inquiètent les ONG spécialistes du dossier. «Le Conseil de sécurité doit s'assurer que la décision de séparer les mandats de procureur va améliorer l'efficacité du tribunal, tout en s'assurant qu'un tel changement n'empiète pas sur l'impartialité du tribunal et sa capacité à poursuivre les officiels de l'APR qui se sont rendus coupables de graves violations du droit international», explique Richard Dicker, de Human Rights Watch.

Estimant que le dédoublement des mandats pourrait avoir de graves conséquences sur l’indépendance du procureur, Carla Del Ponte n’a pas hésité à interpeller les diplomates du Conseil. «Est-ce que cette séparation aurait pour résultat de miner les enquêtes du TPIR sur les membres des Forces armées rwandaises, et des personnes associées à l'actuelle classe dirigeante rwandaise ? Au-delà du cas du TPIR, quel type de précédent cela établirait-il en ce qui concerne l'indépendance d'un procureur international ?» Bien qu'elle soit de toute évidence amère, Carla Del Ponte semblait vendredi résignée. Contrairement à certaines rumeurs, elle n'a pas l'intention de démissionner, si, comme c'est fort probable, le Conseil de sécurité entérine la décision de Kofi Annan. En début de semaine prochaine, les Etats-Unis devraient déposer un projet de résolution dédoublant le poste du procureur du TPI pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda. Aucun pays ne semble disposé à s'y opposer, mais certains, comme le Mexique ou l'Allemagne, voudraient que le texte mette en garde le gouvernement rwandais contre toute tentative de pression sur la cour.

Ecouter également :
La réaction de Carla Del Ponte au micro de Philippe Bolopion (09/08/2003, 2'40")



par Philippe  Bolopion

Article publié le 09/08/2003