Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Rwanda

Les nouveaux habits constitutionnels du FPR

C'était un référendum sans suspense pour les Rwandais qui devaient adopter ce 26 mai la Constitution taillée à la mesure du Front patriotique rwandais, le FPR, et du président Paul Kagame. Cette Constitution était présentée comme le point de départ d’une normalisation politique, marquant le terme de la «transition» de 9 ans qui a suivi le génocide de 1994. Mais la nouvelle loi fondamentale rogne ce qui restait d’ailes au multipartisme déjà lourdement réprimé ces dernières années, au nom de la lutte contre l’esprit du génocide. Après une transition qui concédait de précaires strapontins aux autres partis, le FPR va pouvoir aborder les prochains scrutins législatif et présidentiel dans un esprit de «consensus», c’est-à-dire sans opposition.
Ouverte le 19 juillet 1994, après le renversement du régime du génocide par le FPR, la transition doit prendre fin en juillet prochain. D’ici là et d’ici les élections générales qui vont suivre au deuxième semestre, le FPR va continuer à orchestrer la vie politique rwandaise et à consolider sa position dominante comme l’indique la Constitution qu’il vient de faire adopter. «Je vote parce que c’est la loi» ont répondu en leitmotiv les électeurs du référendum. Et nulle voix audible n’avait appelé à s’abstenir, encore moins à voter «noir», la couleur du non dans les isoloirs. Le futur président de la République – Paul Kagame sans doute , candidat-élu du FPR en avril 2000 – aura donc droit à un septennat, une rallonge de deux ans par rapport au mandat actuel. Mais il est vrai que pour les aides extérieures par exemple, il faut souvent attendre le déblocage des fonds plusieurs années après leur promesse. Le mandat présidentiel sera renouvelable une fois seulement. Mais le président sera un personnage très «au-dessus de la mêlée» et doté du pouvoir considérable de «trancher souverainement», lorsque le gouvernement ne parviendra pas à trouver le consensus requis pour chaque décision.

La précaution du consensus gouvernemental s’explique sans doute par le fait que les membres du cabinet doivent être «choisis au sein des partis et formations politiques en tenant compte de la répartition des sièges à la Chambre des députés». Cela interroge sur la responsabilité dudit gouvernement devant le Parlement qu’il est censé refléter. Mais de toute façon, le Président «tranche»…Du reste, à côté des 26 sénateurs, désignés pour la plupart par des instances dominées par le FPR, et des 24 femmes députés choisies de la même manière, 53 députés seront effectivement élus au suffrage universel, mais cela dans le cadre d’un multipartisme juridiquement et policièrement quadrillé par le FPR. Depuis sa prise du pouvoir en 1994, le FPR s’est en effet montré extrêmement soucieux d’habillage civils et juridiques pour son pouvoir hautement militarisé.

Au sortir du génocide, les partisans du FPR, mais aussi ceux de ses adversaires qui n’avaient pas trempé dans le bain de sang, étaient tout disposés à reconnaître sa légitimité de vainqueur du crime absolu. Le général major Paul Kagame avait néanmoins jugé utile de se tenir en réserve de la présidence de la République tandis que son parti s’appuyait sur les restes du défunt accord de paix d’Arusha de 1993 pour former un «gouvernement d’union nationale» politico-communautaire. Une «union» de pure façade qui s’est rapidement brisée sur l’introuvable consensus exigé par le FPR. Une kyrielle de démission-limogeage mais aussi moults procès en complicité de génocide ou détournement des deniers publics ont fait le vide des plus politisés ou des mieux placés parmi les challengers du FPR. Et lorsque cela n’a pas suffit, arrestations voire disparitions ont frappés les rangs des récalcitrants. La nouvelle Constitution leur barre plus que jamais la route avec tout un arsenal de dispositions et d’instances.

Consensus obligé

La Constitution impose aux structures dirigeantes des partis politiques de siéger «uniquement au niveau national et au niveau de la Province et de la ville de Kigali», c’est-à-dire, concrètement pour la plupart des éventuels chefs de file, à l’écart de l’univers rural qui rassemble la quasi totalité des Rwandais. Et ceci sous l’œil averti de la Haute cour de la République chargée de sanctionner, voire de dissoudre ceux qui feraient entorse aux articles constitutionnels exigeant des partis un recrutement et un fonctionnement reflétant «l’unité de la Nation rwandaise». Ils doivent au demeurant être exempt de toute référence ou intention pouvant les identifier à une race, ethnie, clan, région ou autre caractéristique «divisionniste». La question, bien sûr, n’est pas que la loi fondamentale prévoit de sanctionner «le révisionnisme, le négationnisme, la banalisation du génocide» et toute incitation à la haine intercommunautaire. Le problème est celui de l’interprétation du «divisionnisme» qui a surtout concerné jusqu’à présent toute opposition à l’hégémonie du FPR.

Autre verrou du consensus obligé vis-à-vis du FPR : le Forum de concertation des partis et formations politiques désormais érigé en institution par la Constitution. Un «Grand ordre» des partis en quelque sorte, chargé de veiller à la «discipline» et de servir de «médiateur au sein des partis», en clair, d’évincer les brebis galeuses. Celles-ci peuvent être un homme ou un parti, comme on l’a vu par exemple en avril 2002 avec l’arrestation et l’emprisonnement (jusqu’à aujourd’hui) du premier président de la République «FPR», Pasteur Bizimungu, et tout récemment avec le Mouvement démocratique républicain en passe d’être interdit. Tout deux sont accusés de «divisionnisme». Le premier, un Hutu du Nord – coopté par le FPR en 1994 pour estomper l’image tutsi – a voulu créer un parti, menaçant de transformer sa disgrâce en atout. Le second, un parti hutu historique risquait de s’imposer dans le jeu électoral malgré son laminage par le FPR.

Le MDR, c’est le parti de l’indépendance rwandaise, c’est aussi le MDR-Parmehutu (Parti pour l’émancipation du peuple hutu), celui de la «révolution sociale» de 1959 dont les pogroms sanglants ont lancé nombre de Tutsi sur les route de l’exil. Le début d’une tragédie en boucle pour le Rwanda mais aussi pour la région. Bien plus tard, l’un de ses anciens partisans, le colonel Alexis Kanyarengwe sera hissé à la présidence de la rébellion du FPR. Pendant ce temps, le MDR se taillait de son côté la première place dans l’opposition au régime Habyarimana. Cela avait valu à l’un de ses co-présidents, Faustin Twagiramungu, d’être le Premier ministre «désigné» dans l’accord de partage du pouvoir d’Arusha en 1993. Entre temps, le pouvoir Habyarimana avait récupéré une aile MDR dite «Hutu Power». Celle-ci a participé au génocide des Tutsi et au massacre des opposants hutu parmi lesquels le MDR adverse. C’est ainsi qu’en juillet 1994, Faustin Twagiramungu est devenu le Premier ministre «nommé» par le FPR. Un an plus tard, il était écarté. Son successeur, Pierre Célestin Rwigema le fut plus tard. Sous la pression du FPR conjuguée avec ses propres luttes intestines et un certain goût rwandais pour l’entrisme, le MDR a vu se succéder les présidents de parti également Premier ministre du gouvernement rwandais d’union nationale, jusqu’à Bernard Makuza, dernier tenant du titre. Mais le 15 avril dernier, c’est la dissolution pure et simple du MDR que l’Assemblée nationale a demandée.

Une commission d’enquête parlementaire, créée fin 2002, reproche au MDR une «idéologie divisionniste». Elle l’accuse aussi de mobiliser la jeunesse hutu dans une milice «Itara», sur le modèle selon elle des interhahamwe de sinistre mémoire. Au passage, la commission a lourdement chargé 47 personnes dont deux ministres, cinq députés, trois hauts responsables militaires et un ambassadeur. Le 19 mai, le gouvernement a endossé la demande de dissolution du MDR. Les autres partis sont placés sous la même épée de Damoclès. Ajoutés aux candidats «indépendants», ils ne sont guère de taille à pratiquer une quelconque opposition. Mais le FPR n’est visiblement pas intéressé à prendre la mesure et à fortiori à traiter les mécontentements autrement que par l’exclusion. Et dans ses habits constitutionnels tout neufs, il ne paraît pas non plus prêt à parier grand chose sur ses acquis - en matière de sécurité et de reconstruction économique par exemple - dans une joute électorale ouverte.



par Monique  Mas

Article publié le 26/05/2003