Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Rwanda

Kigali-Washington : un intérêt bien compris

Le président Paul Kagame du Rwanda est en visite officielle aux Etats-Unis. Les entretiens avec le président George Bush portent essentiellement sur les «relations entre les deux pays et sur les questions régionales», affirme le chef de l’Etat rwandais à son départ de Kigali le dimanche 2 mars. Il est accompagné par le ministre des Affaires étrangères, Charles Murigande, le ministre du Commerce Alexander Lyambabaje et le ministre de la Promotion de l’investissement, Patrick Habamenshi. La composition de cette délégation officielle affiche les ambitions de cette visite.
L’intérêt du président Kagame pour les Etats-Unis est probablement celui qui anime George Bush à l’endroit du Rwanda. Les deux chefs d’Etat ont trouvé de bonnes raisons de cultiver des relations amicales «intéressées» que certains qualifieraient «d’objectives». En effet, dès son arrivée à Washington, un communiqué officiel de l’administration américaine a annoncé la signature imminente d’un accord entre les deux pays prévoyant une immunité réciproque au bénéfice des militaires et ressortissants des deux pays face à d’éventuelles poursuites devant la Cour pénale internationale. Les Etats-Unis ont toujours combattu la création de cette institution craignant qu’elle ne s’érige en tribunal supranational et devienne une machine anti-américaine «jugeant les soldats américains dans leurs interventions à l’étranger».

Les Etats-Unis essayent de créer une coalition de pays pour relativiser l’autorité et la compétence de la CPI. L’administration américaine invoque pour cela une clause de la charte de la CPI qui exempte de poursuites les ressortissants d’un pays sans le consentement de leur gouvernement. Les Etats-Unis n’ont toujours pas ratifié l’accord créant la CPI, alors que sous l’administration du président Bill Clinton, ils avaient signé l’accord de création de la CPI. En marge du traité, vingt-et-un Etats ont déjà signé avec les Etats-Unis un accord d’immunité. Il s’agit de l’Afghanistan, de Bahreïn, de Djibouti, de la Gambie, de la Georgie, du Honduras, de l’Inde, d’Israël, des Îles Marshall, de la Mauritanie, de Micronésie, du Népal, d’Ouzbékistan, de Palau, de la République dominicaine, de la Roumanie, du Salvador, du Sri Lanka, du Tadjikistan, du Timor oriental et de Tuvalu. Le Rwanda sera le vingt-deuxième signataire d’un tel accord avec les Etats-Unis.

Un pavé dans le pré carré de la France

Plusieurs raisons poussent les autorités rwandaises à la signature d’un tel accord. Selon elles les autorités françaises inciteraient le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) à juger non seulement les acteurs du génocide des Tutsis et Hutus modérés en 1994, mais aussi des officiers de l’actuelle armée rwandaise soupçonnés d’avoir commis des crimes de guerre pendant la rébellion. Par ailleurs, le juge français Jean-Louis Bruguière serait prêt à livrer les conclusions d’une enquête sur la mort du président Juvénal Habyarimana en 1994 et qui déclencha le massacre des Tutsis. Les membres de l’actuel pouvoir rwandais seraient mêlés à cet assassinat. Le président Paul Kagame n’imagine pas qu’un juge puisse «inculper quelque officiel rwandais que ce soit». Selon lui, la désignation unilatérale d’un juge d’un pays dont certains citoyens sont impliqués dans les événements enlèvent toute crédibilité à l’action ce juge. «Ces bizarreries n’ont aucun
sens et il nous arrive de les traiter avec les mépris qu’elles méritent
», affirme le président Paul Kagame.Le rôle de la France, soutenant l’ancien président Juvénal Habyarimana en rajoute également à la méfiance des actuelles autorités rwandaises vis-à-vis de la France. Le président Paul Kagame, bien qu’étant d’un pays où la langue officielle est le français, ne parle qu’en langue anglaise. Elevé en zone anglophone, sous influence ougandaise dans la rébellion, Paul Kagame n’a pas eu l’opportunité d’apprendre le français. Ainsi justifie-t-il sa distance d’avec le milieu francophone et sa propension à se rapprocher des anglophones et du Commonwealth. Toutes ces raisons ont conduit l’administration Bush à s’intéresser au Rwanda d’autant que ce rapprochement jette un pavé dans la marre du fameux pré carré français. La politique africaine des Etats-Unis consistent aujourd’hui à proposer des partenariats directement avec les pays africains sans intermédiaire à travers l’AGOA, pour un développement durable.

La visite en Afrique du président George Bush, initialement prévu au mois de janvier a été reporté pour des raisons «d’agenda chargé» alors qu’il devait y annoncer des programmes de lutte contre le Sida et l’assistance effective de son pays en matière économique vers certains pays, essentiellement de l’Afrique de l’est et du sud. Mais faute d’effectuer le voyage, ses collaborateurs insistent beaucoup sur sa réelle volonté de faire de la politique africaine une des priorités de sa fin de mandat, avant d’être à nouveau candidat éventuellement en 2004.



par Didier  Samson

Article publié le 04/03/2003