Rwanda
Le communautarisme toujours puissant
Les Rwandais se sont rendus aux urnes le 26 mai pour adopter une nouvelle constitution, qui met un terme à neuf années de transition. Le référendum doit être suivi dans les six mois d'élections présidentielle et législatives, les premières depuis le génocide de 1994, qui a fait un million de morts parmi la minorité tutsie et les Hutus modérés. La ligne directrice de la Constitution est justement la lutte contre l'idéologie du génocide. Les mots hutu ou tutsi sont d'ailleurs tabous au Rwanda depuis 1994. Pourtant, les relations entre Rwandais restent encore souvent empreintes de méfiance. Et les mariages mixtes une exception.
De notre correspondante au Rwanda.
«Je suis une Tutsie mariée à un Hutu». C’est la nouvelle identité de cette jeune fille de 22 ans qui préfère rester anonyme ; nous l’appellerons Lucie. Trop de menaces subies depuis sa rencontre avec celui qui est devenu son mari, il y a six mois. Sur ses genoux dort son bébé âgé de deux mois et demi. En racontant son histoire douloureuse, elle pose son regard sur son fils, dont elle semble puiser toute son énergie. Depuis le génocide, qui a causé la mort de près d’un million de Tutsis et de Hutus modérés en 1994, les couples mixtes font figure d’exception. Le gouvernement a pourtant placé la réconciliation au cœur de son programme de transition. Dans la Constitution, sur laquelle se sont prononcés les Rwandais ce 26 mai, toute référence aux Hutus ou aux Tutsis est bannie. Aucun parti politique ne peut par exemple s’organiser sur une base ethnique. Pourtant, si les relations amicales ou de bon voisinage ont repris entre les deux ethnies, s’unir par les liens du mariage est un pas que peu de gens osent franchir.
D’une voix tremblotante qui oscille entre rire et pleur, Lucie explique les difficultés traversées par son couple. «Nous nous sommes rencontrés à l’université, j’étais en première année et il était en troisième…je peux dire que je suis tombée amoureuse !», s’esclaffe-t-elle, rougissante. Quand leur relation devient plus intime, les ennuis commencent… elle est désormais la risée de son groupe d’amis Tutsis. «Mes amis me disaient que j’étais folle de vouloir me marier avec quelqu’un d’une autre ethnie, après ce qui s’est passé dans mon pays, que je ferais mieux d’abandonner». Mais elle a tenu bon, en dépit des réticences de sa famille et de ses frères militaires qui ont fini par se rallier à son choix. Elle garde toutefois beaucoup d’amertume de cette période : «Les Hutus et les Tutsis se parlent, mais c’est de l’hypocrisie. Au fond du cœur, ils ne s’aiment pas», tranche-t-elle. Lucie reconnaît pourtant qu’elle partageait les idées de son entourage tutsi avant de rencontrer son futur mari. «Avant, je pensais que les Hutus étaient sales, impolis, ce n’est qu’en discutant avec eux que j’ai appris qu’ils étaient comme nous !». Ses «premiers Hutus», elle les a rencontrés en 1994, à son retour du Congo voisin (l’ex-Zaïre), où sa famille avait trouvé refuge. Nombre de jeunes de la diaspora tutsie, revenus de l’étranger après le génocide, n’ont entendu parler des problèmes politiques rwandais qu’à travers l’évocation de leurs parents, qui avaient fui le régime hutu mis en place en 1959.
Métisse
Albert, lui aussi ancien exilé dans l’ex-Zaïre, est venu voir le bébé à Butare, ville universitaire du sud du pays, où le couple est installé. Il est l’un des rares Tutsis restés proches de ce couple. «Il y a quand même des gens qui arrivent à faire la part des choses ; cela dépend de l’histoire personnelle de chacun. Moi, j’ai plein d’amis Hutus qui me font confiance et en qui j’ai confiance», assure-t-il, tout sourire. Pourtant, à la question de savoir s’il épouserait une Hutue, il répond en toute franchise qu’il ne pourrait pas. «Je suis trop attaché à ma famille et je sais que mes proches souffriraient de ce choix. Avoir des amis Hutus c’est une chose, mais se marier, cela va beaucoup plus loin…». Si les mariages mixtes sont si rares depuis le génocide, «c’est à cause de la signification du mariage au Rwanda», analyse Aloyse qui travaille dans une organisation de défense des droits de l’homme.
Comme dans de nombreux pays d’Afrique le mariage signifie l’union de deux familles. Ce sont les représentants des fiancés qui se rencontrent pour préparer la cérémonie. «Quand un Hutu épouse une Tutsi, c’est une centaine de personnes qui doit accepter d’être liée à une centaine d’autres d’une ethnie différente, c’est un obstacle dur à franchir», explique Aloyse. Avant de citer un proverbe rwandais : «Même quand l’eau bout, elle se souvient qu’elle a été froide». Autrement dit, poursuit Aloyse, «il est difficile d’aller contre ses origines». La politique du gouvernement, qui rejette toute référence aux ethnies, n’est pas la bonne solution selon cet observateur de la vie politique et sociale du pays. «C’est bien d’avoir banni les termes de nos cartes d’identité, mais il faudrait que chacun puisse être fier de son ethnie et s’accepter avec ses différences». Le jeune couple mixte ne partage pas cet avis. «Mon enfant n’entendra jamais, ni dans cette maison, ni dans ma bouche les mots hutu et tutsi. Il sera à l’abri de tout ça», affirme Lucie qui n’a pas quitté son bébé des yeux. Fière maman de son petit «métisse», elle a réussi à ne plus prêter attention aux jugements de son entourage.
«Je suis une Tutsie mariée à un Hutu». C’est la nouvelle identité de cette jeune fille de 22 ans qui préfère rester anonyme ; nous l’appellerons Lucie. Trop de menaces subies depuis sa rencontre avec celui qui est devenu son mari, il y a six mois. Sur ses genoux dort son bébé âgé de deux mois et demi. En racontant son histoire douloureuse, elle pose son regard sur son fils, dont elle semble puiser toute son énergie. Depuis le génocide, qui a causé la mort de près d’un million de Tutsis et de Hutus modérés en 1994, les couples mixtes font figure d’exception. Le gouvernement a pourtant placé la réconciliation au cœur de son programme de transition. Dans la Constitution, sur laquelle se sont prononcés les Rwandais ce 26 mai, toute référence aux Hutus ou aux Tutsis est bannie. Aucun parti politique ne peut par exemple s’organiser sur une base ethnique. Pourtant, si les relations amicales ou de bon voisinage ont repris entre les deux ethnies, s’unir par les liens du mariage est un pas que peu de gens osent franchir.
D’une voix tremblotante qui oscille entre rire et pleur, Lucie explique les difficultés traversées par son couple. «Nous nous sommes rencontrés à l’université, j’étais en première année et il était en troisième…je peux dire que je suis tombée amoureuse !», s’esclaffe-t-elle, rougissante. Quand leur relation devient plus intime, les ennuis commencent… elle est désormais la risée de son groupe d’amis Tutsis. «Mes amis me disaient que j’étais folle de vouloir me marier avec quelqu’un d’une autre ethnie, après ce qui s’est passé dans mon pays, que je ferais mieux d’abandonner». Mais elle a tenu bon, en dépit des réticences de sa famille et de ses frères militaires qui ont fini par se rallier à son choix. Elle garde toutefois beaucoup d’amertume de cette période : «Les Hutus et les Tutsis se parlent, mais c’est de l’hypocrisie. Au fond du cœur, ils ne s’aiment pas», tranche-t-elle. Lucie reconnaît pourtant qu’elle partageait les idées de son entourage tutsi avant de rencontrer son futur mari. «Avant, je pensais que les Hutus étaient sales, impolis, ce n’est qu’en discutant avec eux que j’ai appris qu’ils étaient comme nous !». Ses «premiers Hutus», elle les a rencontrés en 1994, à son retour du Congo voisin (l’ex-Zaïre), où sa famille avait trouvé refuge. Nombre de jeunes de la diaspora tutsie, revenus de l’étranger après le génocide, n’ont entendu parler des problèmes politiques rwandais qu’à travers l’évocation de leurs parents, qui avaient fui le régime hutu mis en place en 1959.
Métisse
Albert, lui aussi ancien exilé dans l’ex-Zaïre, est venu voir le bébé à Butare, ville universitaire du sud du pays, où le couple est installé. Il est l’un des rares Tutsis restés proches de ce couple. «Il y a quand même des gens qui arrivent à faire la part des choses ; cela dépend de l’histoire personnelle de chacun. Moi, j’ai plein d’amis Hutus qui me font confiance et en qui j’ai confiance», assure-t-il, tout sourire. Pourtant, à la question de savoir s’il épouserait une Hutue, il répond en toute franchise qu’il ne pourrait pas. «Je suis trop attaché à ma famille et je sais que mes proches souffriraient de ce choix. Avoir des amis Hutus c’est une chose, mais se marier, cela va beaucoup plus loin…». Si les mariages mixtes sont si rares depuis le génocide, «c’est à cause de la signification du mariage au Rwanda», analyse Aloyse qui travaille dans une organisation de défense des droits de l’homme.
Comme dans de nombreux pays d’Afrique le mariage signifie l’union de deux familles. Ce sont les représentants des fiancés qui se rencontrent pour préparer la cérémonie. «Quand un Hutu épouse une Tutsi, c’est une centaine de personnes qui doit accepter d’être liée à une centaine d’autres d’une ethnie différente, c’est un obstacle dur à franchir», explique Aloyse. Avant de citer un proverbe rwandais : «Même quand l’eau bout, elle se souvient qu’elle a été froide». Autrement dit, poursuit Aloyse, «il est difficile d’aller contre ses origines». La politique du gouvernement, qui rejette toute référence aux ethnies, n’est pas la bonne solution selon cet observateur de la vie politique et sociale du pays. «C’est bien d’avoir banni les termes de nos cartes d’identité, mais il faudrait que chacun puisse être fier de son ethnie et s’accepter avec ses différences». Le jeune couple mixte ne partage pas cet avis. «Mon enfant n’entendra jamais, ni dans cette maison, ni dans ma bouche les mots hutu et tutsi. Il sera à l’abri de tout ça», affirme Lucie qui n’a pas quitté son bébé des yeux. Fière maman de son petit «métisse», elle a réussi à ne plus prêter attention aux jugements de son entourage.
par Pauline Simonet
Article publié le 28/05/2003 Dernière mise à jour le 29/05/2008 à 12:18 TU