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Cameroun

Des enseignants programment une rentrée politique

Après les grèves, les marches de protestation, l’attribution de la note maximale aux élèves en signe de pression sur le gouvernement, la Fédération camerounaise des syndicats de l’Education, qui compte les structures les plus actives, a décidé de sanctionner par les urnes, les gouvernants, si les problèmes des enseignants ne sont pas résolus. Le choix de cette stratégie n’est pas fortuit, puisqu’une élection présidentielle est prévue pour octobre 2004. Les observateurs se demandent cependant de quel poids peuvent peser les enseignants syndicalistes sur les résultats d’une consultation électorale.
De notre correspondant à Yaoundé

C’est un son de cloche inouï qui marque cette année, la rentrée des classes, chez les syndicalistes. Les augures qui annonçaient pour ce 8 septembre une «rentrée morte», comme l’avaient régulièrement projeté les enseignants syndiqués en colère les années antérieures, ont tout faux. L’année scolaire s’ouvre sur une note plutôt politique, clairement articulée autour de l’élection présidentielle prévue pour octobre 2004.
Réunie à Yaoundé, début septembre, la Fédération camerounaise des syndicats de l’Education (Fecase), a demandé aux enseignants de «s’inscrire massivement sur les listes électorales, sensibiliser et aider les parents et les élèves en âge de voter de faire de même, rester à l’écoute quant à la conduite à tenir lors de l’échéance présidentielle future». Le regroupement syndical le plus en vue dans le domaine de l’éducation, qui réunit quatre puissantes structures, de la maternelle au secondaire, s’est par ailleurs «engagé à mobiliser les autres forces sociales, professionnelles et culturelles pour sanctionner le moment venu, ceux qui hypothèquent l’avenir de nos enfants».

Le ton est donné. «C’est la résolution ou non de nos problèmes qui conditionnera les consignes de vote que nous allons donner aussi bien aux enseignants qu’aux autres forces sociales que nous entendons mobiliser lors de l’élection présidentielle», précise Jean-Marc Bikoko, membre influent du Syndicat national autonome de l’éducation et de la formation (Snaef), un des astres de la constellation syndicale qu’est la Fecase.
Et des problèmes, les syndicalistes en citent à la pelle: «Le mauvais fonctionnement des écoles publiques dû au détournement des crédits de fonctionnement, la marginalisation continue des enseignants d’éducation physique et sportive dans les structures qui les utilisent, la non prise en charge des anciens normaliens depuis trois ans pour certains, la non délivrance des diplômes des examens organisés par la direction des examens et concours». Mais les observateurs s’accordent à reconnaître que la priorité des priorités parmi les problèmes dont les solutions sont attendues reste la signature par les autorités, des textes d’application du «statut particulier des personnels de l’Éducation».
Depuis la signature en octobre 2000, de ce texte, le ministre de l’Education nationale, déjà interpellé par les syndicats, a souvent affirmé que les projets de textes revendiqués, ont été apprêtés et acheminés à la «hiérarchie», sous-entendu, à la présidence de la République. Ce faisant, comme pour justifier les atermoiements observés et décriés par les enseignants, les autorités n’ont eu de cesse d’évoquer les «contraintes budgétaires». Or, les enseignants, fondent beaucoup d’espoirs sur la mise en œuvre du «statut particulier»: frappés de plein fouet par la double baisse des salaires de l’ordre de 70% qui a pénalisé dès novembre 1993, les fonctionnaires et autres agents de la fonction publique à l’exception notable des personnels de la défense et de la police, les enseignants, disent attendre un relèvement substantiel de leur traitement, et disent ne pas se satisfaire de quelques primes, dont le gouvernement les a gratifiés ces derniers temps.

Le vote des enseignants et de leurs familles: un lobby à prendre en compte

Cette ligne de revendication est au programme depuis des années. Elle a connu plusieurs modalités: boycottage des examens, arrêt des cours, marches de protestations, et, l’année dernière, la fameuse «opération 20/20», –qui consistait pour les enseignants, à attribuer la note maximale à tous les élèves indépendamment de leurs performances, d’abord pendant l’année scolaire, et ensuite lors des examens officiels. Toutes stratégies qui n’ont pas réussi à secouer le cocotier gouvernemental. En sorte qu’une certaine opinion croit pouvoir expliquer la non reconduction de la grève en cette rentrée, par le bilan mitigé des actions passées.
«Nous avons voulu d’abord procéder à la sensibilisation et à l’information. Cette phase de notre action connaîtra un moment fort le 5 octobre prochain à l’occasion de la journée de l’enseignant. Si nous choisissons la grève, elle se fera plus tard» explique Jean-Marc Bikoko. Qui ajoute: «dans la logique du gouvernement qui est celle de tuer l’école, la grève peut durer indéfiniment, cela ne l’empêche pas d’organiser les examens officiels et de délivrer des diplômes sans contenu. On essaie de plus en plus de tenir compte de tout cela dans nos stratégies». Simon Nkwenti, leader du Cameroon Teachers’ Trade Union (Cattu) et secrétaire exécutif fédéral de la Fecase, a lui aussi, tiré les enseignements des expériences antérieures. «Nous sommes un plus prudents maintenant, s’agissant des grèves. Nous nous sommes rendus compte qu’elles pénalisent finalement les élèves et parents des couches défavorisées, étant donné que les fils des gouvernants sont envoyés dans les meilleures écoles à l’étranger».

Reste la suite. Jusqu’où les syndicats d’enseignants vont-ils aller dans leur nouvelle stratégie ? La question est déjà évoquée, par ceux qui doutent que les pouvoirs publics se montrent sensibles à la sanction électorale projetée, dans un système où tout est mis en place pour que le parti au pouvoir remporte les élections. «Nous sommes conscients qu’au Cameroun il n’y a que des simulacres d’élections. Mais nous allons mobiliser tous ceux qui sont concernés par les problèmes de l’école. Nous sommes quelques 70 000 enseignants, sur les près de 170 000 fonctionnaires et agents de la fonction publique. Si chacun de nous obtient de sa famille de voter selon notre mot d’ordre le moment venu, et si on y ajoute les voix des parents d’élèves, notre vote ne sera pas sans effet», dit Jean Marc Bikoko, qui, en sa qualité de président de la centrale syndicale du secteur public du Cameroun, table sur la mobilisation au sein de la fonction publique.
Leçons de calcul contre leçons d’histoire dans un pays de plus de quinze millions d’habitants, qui compte, selon les plus récentes données, un peu moins de cinq millions d’électeurs.



par Valentin  Zinga

Article publié le 08/09/2003