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Guinée-Bissau

Coup d’Etat négocié

L’Union africaine affiche son refus de reconnaître des régimes issus de coups d’Etat. Mais justement, en Guinée-Bissau, «nous comprenons qu’il n’y a pas eu de coup d’Etat», assure le président en exercice de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), le chef de l’Etat ghanéen, John Kufuor. Il en veut pour preuve la démission de Kumba Yala, radio-diffusée mercredi, après d’intenses négociations conduites justement par la Cedeao, entre le président déchu et celui qui s’est proclamé président par intérim dimanche dernier, l’ancien chef d’état-major, le général Verissimo Correia Seabra. Ce dernier n’a pas encore formé le gouvernement civil promis pour conduire le pays à des élections générales et la Cedeao estime déjà qu’une «période de transition d’au moins deux ans est nécessaire».
Ce qui inquiète la Cedeao, c’est la forme que va prendre la succession de Koumba Yala. Le président nigérian, Olusegun Obasanjo, a insisté auprès du chef de la junte : «l’Afrique ne reconnaîtrait pas un gouvernement formé de militaires». Pour le reste, le président sénégalais Abdoulaye Wade voit surtout du «patriotisme» dans la déposition d’un voisin avec lequel il ne s’entendait pourtant pas si mal, concernant l’épineuse question de la Casamance. «Vous êtes intervenus pour stopper une situation qui se dégradait», dit-il aux 32 officiers de la junte «parce que des militaires qui restent six à neuf mois sans salaires sans attaquer le pouvoir, cela ne s’est vu qu’en Guinée-Bissau». Mais le président Wade module ces propos conciliants en observant qu’il reste des «efforts à faire» pour instaurer le gouvernement civil promis par le général Correia Seabra.

Jeudi 18 septembre, les trois chefs d’Etat (ghanéen, nigérian et sénégalais) se sont déplacé pour rien à Bissau. Les militaires ne sont pas venus signer le «pacte de transition» les engageant à donner le champ libre au «gouvernement de transition composé de technocrates n’ayant aucun intérêt politique» souhaité par la Cedeao. La veille, la démission de Kumba Yala devait être rendue publique en même temps que la composition du gouvernement civil et un appel au retour dans les casernes. Elle a finalement été radio-diffusée unilatéralement mercredi soir. «Je quitte le pouvoir», avait-il annoncé le matin devant quelques journalistes, dans sa résidence où il est toujours placé sous haute surveillance militaire. Selon certains observateurs, le président déchu n’aurait pas été autorisé par la Cedeao à s’exprimer trop longuement pour ne pas faire entorse au compromis convenu entre les putschistes et les médiateurs ouest-africains. Cela n’a pas suffit.

Ravalement démocratique

Visiblement, la Cedeao a très rapidement pris acte de l’impuissance politico-militaire totale de Koumba Yala face aux putschistes. Le coup d’Etat paraît en effet répondre à un désir d’alternance très largement partagé par les Bissau-Guinéens. Reste à concocter une manière de ravalement démocratique. «Les militaires ont indiqué qu’ils n’avaient aucune envie de rester en place et partiraient le plus vite possible», assure le secrétaire général de la Cedeao, Ibn Chambas. Il ajoute que le chef de la junte pourrait passer la main à «un président civil qui sera choisi très prochainement par le biais de discussions». Celles-ci traînent en longueur, sur des questions de personnes et de calendrier électoral, mais aussi sans doute de prérogatives, le tout pas seulement côté putschistes. Les politiciens veulent aussi entrer dans la danse. Du coup, la formation du gouvernement se fait attendre. Quelle que soit la forme prise par la transition, la Guinée Bissau ne peut plus guère espérer faire son choix dans les urnes avant deux ans, selon les médiateurs ouest-africains, «quand les conditions seront réunies», disait déjà le général Correia Seabra au lendemain du putsch.

Pour justifier sa déposition, le général-président provisoire a invoqué les reports successifs des législatives décidés par Kumba Yala, qui avait dissout l’Assemblée nationale en novembre dernier. Des infractions répétées de la Constitution constatées par les chefs d’Etats ouest-africain qui ont invité leur ancien pair Yala à jeter l’éponge. Cette fois, ce sont des élections générales qui se profilent, à un horizon encore très incertain, celui du retour au jeu démocratique. Dans l’intervalle, la Cedeao attend en quelque sorte des militaires qu’ils nomment un successeur au président déchu. Et cela dans des discussions où les souffleurs ne seraient pas les joueurs. Apparemment, l’homme qui a sifflé les arrêts de jeu dimanche pour Koumba Yala, le général Correia Seabra veut y réfléchir à deux fois.



par Monique  Mas

Article publié le 19/09/2003