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Cameroun

Le cardinal et le pouvoir

Il a suffit de la part du cardinal Christian Tumi, d'une prise de position sur des élections mal organisées et leur corollaire qu’est la guerre, ainsi que d’une critique à peine voilée sur la gestion des affaires par «une seule tribu dans un pays qui en compte plus de 230», pour que se déchaîne le gouvernement dans une réaction défensive. Ce n’est certes pas la première fois que ce type d’affaire éclate entre le prélat et le pouvoir, mais cet épisode est entouré de nombreux sous-entendus liés au contexte de préparation de l’élection présidentielle attendue en octobre 2004.
De notre correspondant à Yaoundé

Juste quelques phrases. De petites phrases à première vue anodines, tant les Camerounais y sont habitués, du cardinal Christian Wiyghan Tumi, ont de nouveau mis le pouvoir hors de lui, ressuscitant une polémique. Malgré une certaine controverse sur l’authenticité des propos du prélat, l'intéressé lui-même n'a apporté, pour l'instant, aucun démenti. «Je ne pense pas que nous ayons accompli un quelconque changement pour progresser dans cette direction, sauf en matière de guerre intérieure. Je suis fondamentalement convaincu que les causes profondes d’une guerre résideront toujours dans une mauvaise organisation des élections. C’est évident et essentiel», a déclaré l’archevêque de Douala, répondant à une question sur la paix au Cameroun, dans les colonnes du périodique La Paix, dans sa toute première édition du 25 août 2003.

«L’illustration de cette affirmation, ce sont les scrutins précédents et notamment les dernières élections couplées de 2002. L’histoire retiendra que nous étions au bord de la guerre, car c’était évident que ces élections-là ont été mal organisées à dessein. Les élections peuvent provoquer la guerre si elles sont mal organisées. Les exemples de guerres causées par les élections truquées sont nombreux autour de nous. (…) Le même phénomène peut se produire chez nous car, dans notre pays, nous nous comportons comme s’il n’existait qu’une tribu, alors qu’on compte plus de 230 tribus», a précisé le cardinal Tumi, archevêque de Douala.

Il n’en fallait pas davantage pour que le ministre de la Communication, se fende, le 4 septembre 2003, d’un communiqué, largement diffusé et abondamment lu sur les antennes des médias d’Etat, sans que le fait, pour le porte-parle officieux et occasionnel du gouvernement, de ne pas citer nommément le cardinal Tumi ne fasse vraiment illusion sur l’identité du destinataire de ce communiqué. Visiblement préoccupé par le fait selon lui, que «ces propos susceptibles de remettre en question la paix, la stabilité et la cohésion sociale», le professeur Jacques Fame Ndongo, ministre de la Communication, a organisé sa «défense» autour de deux points principaux, dans ce qui est apparu aux yeux de beaucoup, comme un mélange de réfutations, et de sophisme. «Il n’existe au Cameroun aucune possibilité légitime, démocratique et licite de confiscation du pouvoir par une ethnie (encore moins une tribu», avait dit le ministre de la Communication.

Evoquant ensuite le fonctionnement du système électoral sur le papier, avec les commissions mixtes, le rôle de l’Observatoire national des élections (Onel) et celui de la Cour suprême, le ministre aboutissait à la conclusion, que «dans un tel contexte, chacun appréciera donc l’impossibilité de fausser délibérément le jeu électoral, quand bien même un tel dessein serait nourri par quiconque (majorité présidentielle ou opposition républicaine). Les menaces de guerre projetées par certaines visions apocalyptiques ne peuvent donc, s’agissant du Cameroun, qu’être le fait de ceux-là mêmes qui refusent obstinément de se prêter au jeu de la démocratie et choisissent de se soustraire à l’observation de ses principes et de ses règles, là où le droit positif et la pratique constante leur en donne pourtant l’opportunité», a-t-il conclut.

Les Camerounais, dont beaucoup, désabusés par l’organisation des élections, ont été gagnés par la désaffection électorale au fil des échéances, et qui écoutent chaque jour la radio lors des nominations aux postes de responsabilité dans l’appareil d’Etat, le haut commandement militaire ou administratif et les sociétés publiques, observant la consolidation des positions des proches du président Biya, un homme du Sud comme ses hommes de confiance, sont en réalité coutumiers de ce cycle d’action-réaction-déclarations-contre déclarations, entre le Cardinal Tumi, et le pouvoir. En octobre 2000, le prélat accordait une interview au magazine Jeune Afrique Economie paraissant à Paris, dans laquelle il était allé de ses déclarations devenues constantes sur les problèmes du pays: «Avec une élection juste et transparente, ceux qui nous gouvernent ne seront plus là» avait-il dit, ajoutant que «le pays vit dans un tribalisme pur et dur; plus de 500 victimes d’exécutions sommaires», a-t-il affirmé, faisant allusion au bilan du Commandement opérationnel, une mesure exceptionnelle, prise par décret présidentiel, pour faire face à l’insécurité galopante à Douala, la métropole économique et ses environs.

Le gouvernement n’avait pas manqué à réagir. Dans un communiqué de presse dont il fut fait un large écho dans les médias d’Etat, Ferdinand Koungou Edima, alors ministre de l’Administration territoriale, n’y était pas allé de plume molle, accusant le cardinal de jeter «un discrédit mensonger et anti-patriotique sur le Cameroun», de s’être «rendu coupable d’une grave violation du principe qui fonde la séparation de l’Eglise de l’Etat au Cameroun».

Le cardinal fait peur

Les rapports entre le cardinal Tumi et le régime en place se sont à ce point tendus au fil des années, que ses prises de position sont toujours redoutés par le pouvoir. En décembre 2000, lorsque l’archevêque de Douala lance, pour un essai, la radio de l’archidiocèse, le ministre de la Communication se fait fort de lui rappeler que la structure n’a pas d’autorisation pour émettre. Une rencontre entre les deux hommes aboutit à «une volonté commune d’aplanir» ce qui est considéré comme un malentendu. Mais depuis, la radio n’a pas émis. Nombreux sont ceux qui ont analysé la réaction du gouvernement comme l’expression d’une certaine «peur» de laisser un média aussi populaire aux mains de ce cardinal au franc-parler déroutant. Deux ans plus tard, à l’occasion des obsèques du regretté Mgr André Wouking, ancien archevêque de Yaoundé, la présidence de la République avait, plus ou moins subtilement obtenu que le cardinal Tumi, ne dise pas l’homélie de circonstance en la cathédrale Notre-Dame-des-Victoires de la capitale, contrairement au programme arrêté, contre la présence effective du président Biya à cette cérémonie.

Il reste que la dernière «affaire Tumi», survient dans un pays totalement gagné par la fièvre de l’élection présidentielle prévue pour octobre 2004. Et, il est acquis que pour certains caciques du régime, le cardinal Tumi, pourrait s’y présenter. Dans un contexte où l’opposition n’est pas sûre de donner des insomnies au Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) au pouvoir, les observateurs s’accordent à reconnaître qu’une «figure de consensus» comme le prélat, dont la popularité fait aussi une certaine unanimité pourrait sérieusement faire douter le pouvoir. Des hommes politiques d’opposition et des patriarches, dont certains de la province du Centre, traditionnellement considérée avec celles du Sud et de l’Est comme acquises au régime, ont déjà effectué des «démarches» auprès du cardinal, dans le but de lui demander de se présenter à la prochaine élection présidentielle. A ceux qui l’ont sollicité récemment, comme c’était déjà le cas en 1992, Christian Tumi, a d’expliqué pourquoi il a décliné cette offre: il a certes, en tant que Camerounais, le droit de se présenter à une élection, mais, devenu «un pasteur pour tous, il ne peut le faire. Telle est la ligne que lui prescrit l’Eglise catholique».

Un argument dont peu de personnes du régime s’accommodent, évoquant la possibilité pour le prélat, de s’investir dans la politique, après sa démission de l’Eglise catholique. A 73 ans le 15 octobre prochain, le cardinal Tumi devrait, théoriquement présenter à Rome sa «démission» qui correspond en fait à sa demande de départ à la retraite, anticipée de deux ans…



par Valentin  Zinga

Article publié le 21/09/2003