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Indonésie

Clémence surprenante pour Abou Bakar Bashir

Le prédicateur musulman indonésien Abou Bakar Bashir a été condamné à 4 ans de prison. Ce verdict est une énorme surprise car Bashir est présenté depuis plusieurs années comme le chef la Jamaah Islamiyah, l’organisation responsable de l’attentat de Bali et de l’hôtel Marriott de Djakarta.
De notre correspondant à Djakarta

Ce mardi matin, l’Ambiance est électrique au tribunal de Jakarta. Deux cents policiers indonésiens, chiens d’attaque en laisse ou fusils mitrailleurs au poing, sont déployés pour contenir les partisans d’Abou Bakar Bashir, arrivés dès l’aube pour soutenir leur maître à penser. Ils ne sont que 400 mais ils sont à cran et certains sont en tenus paramilitaires. Aux cris d’Allah-o-Akbar (Dieu est grand), ils appellent au Jihad et dénoncent l’Amérique terroriste. Quelques insultes fusent en direction des journalistes occidentaux mais le chahut est rapidement maîtrisé par la police anti-émeute. La tension monte à nouveau lorsque le vieux prédicateur musulman entre dans la salle du tribunal. Elle augmente au fur à mesure de la lecture des 222 pages du dossier d’inculpation. Mais elle retombera d’un seul coup à l’énoncé final du verdict rendu au bout de huit longues heures d’audience. Car la peine, quatre de prison, est un énorme soulagement pour les islamistes indonésiens. «Abou Bakar Bashir est indissociable du combat de la Jamaah Islamiyah mais il n’en est pas le chef».

C’est en substance ce qu’il faut retenir du verdict rendue contre celui que tout le monde, y compris ses propres partisans, s’attendaient à voir lourdement condamné. «Que tous les suspects de l’attentat de Bali soient des anciens étudiants de Bashir est une chose», explique le tribunal, «mais cela ne suffit pas à le rendre responsable de leur engagement dans le terrorisme». Autrement dit, Abou Bakar Bashir ne serait que le guide spirituel d’une organisation dont il n’aurait jamais vraiment contrôler les actes.

Abou Bakar Bashir est un prédicateur musulman d’origine yéménite, militant pour l'instauration de la charia (loi islamique) en Indonésie. En 1971, il fonde une école coranique près de Solo (Java-centre) qui deviendra progressivement le point d’ancrage idéologique de tous les extrémistes musulmans de l’Archipel. Bashir veut purifier l’Islam traditionnel indonésien au profit d’un Islam ultra-rigoriste inspiré par le Wahhabisme, la doctrine appliquée en Arabie saoudite depuis le début du XXe siècle. Il met l’accent sur la supériorité de l’Islam et les menaces qui l’entourent dans un monde qu’il voit dominé par des pouvoirs occultes anti-islamiques. Il ouvertement anti-chrétien, anti-sémite et anti-occidentale. Son modèle de gouvernement est l’Afghanistan talibane et c’est ce régime qu’il voudrait voir instaurer en Indonésie, en Malaisie, à Singapour, à Brunei et dans le sud des Philippines.

Son modèle : l’Afghanistan des Taliban

Bashir va créer dans ce but un réseau informel de partisans islamistes, recrutés essentiellement parmi les étudiants de son école. Mais il attire rapidement l’attention de la dictature du Général Suharto qui réprime sévèrement tous les mouvements islamiques contestataires. Bashir est emprisonné en 1978 et condamné à 9 ans de prison pour subversion. Il est relâché en 1982 au bénéfice d’une remise de peine mais il reprend immédiatement ses activités politiques. En 1985, il est à nouveau dans le collimateur de la justice indonésienne et décide de fuir en Malaisie. Plusieurs dizaines de ses étudiants le rejoignent dont Ridwan Isamudin, alias Hambali, qui deviendra plus tard le chef des opérations terroristes de la JI. De Kuala Lumpur, Bashir parvient à consolider le réseau en Indonésie tout en recrutant de nouveaux militants dans d’autres pays de la région notamment en Malaisie et à Singapour. Il tente également de se rapprocher des mouvements séparatistes musulmans actifs aux Philippines et dans le sud de la Thaïlande. Des contacts sont aussi noués avec les Arabes qui formeront plus tard les rangs d’Al Qaïda.

Bashir revient en Indonésie après la chute de la dictature Suharto (1966-98). Il n’est pas inquiété par les nouvelles autorités. L’année suivante, il crée le Conseil de Mudjahidin indonésiens (MMI), un mouvement légal qui tente de fédérer toutes les sensibilités de l’Islam radical indonésien. Entre 1999 et 2001, la JI commet une trentaine d’attentats en Indonésie dont l’attaque simultanée contre 34 églises indonésiennes le soir de Noël 2000 (19 morts). La piste du clan Suharto, dont plusieurs membres sont menacés par des procédures judiciaires, est d’abord privilégiée. Plusieurs officiels indonésiens, dont le vice président de la république, Hamza Haz, vont jusqu’à nier l’existence de la JI et soutiennent publiquement Bashir qui dément lui-aussi appartenir à cette organisation. Ils accusent les États-Unis de comploter contre l’Indonésie et font pression pour que le gouvernement qui refuse l’extradition de Bashir vers Singapour où plusieurs tentatives d’attentats ont été déjouées, et des cellules de la JI démantelées, en 2001. Il faudra attendre l’attentat de Bali (12 octobre 2002–202 morts), et l’interrogatoire des premiers suspects, pour que les autorités indonésiennes reconnaissent officiellement l’existence de la JI et accuse Bashir d’en être l’instigateur. Celui-ci est arrêté quelques jours plus tard à Solo, dans le centre de l’île de Java, où il vivait libre et s'exprimait régulièrement dans les médias.

Son quasi acquittement est donc un véritable coup de tonnerre et les arguments développés par le tribunal de Djakarta n’ont convaincu personne. Surtout pas les autres pays de la région, Singapour et la Malaisie notamment, qui affirment depuis longtemps avoir réuni des preuves indiscutables de sa culpabilité. Le verdict y sera sans doute perçu comme un acte de faiblesse du gouvernement indonésien face à un Islam radical qui semble gagner du terrain dans l’Archipel.



par Jocelyn  Grange

Article publié le 02/09/2003