Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Indonésie

La Jamaa Islamiyah, une nébuleuse régionale

L’attentat meurtrier qui a soufflé mardi l’hôtel Mariott dans le centre des affaires de Djakarta et qui a fait, selon un dernier bilan, 14 morts et quelque 150 blessés porte sans conteste la marque de la Jamaa Islamiyah. Avant même qu’il ne soit revendiqué par cette nébuleuse terroriste soupçonnée d’entretenir des relations privilégiées avec al-Qaïda, l’organisation d’Oussama ben Laden, les enquêteurs indonésiens affirmaient en effet que les composants de l’explosif utilisé dans cette dernière attaque étaient identiques à ceux qui avaient provoqué le drame de Bali en octobre 2002 et dont le bilan s’était élevé à quelque 200 morts, en majorité des touristes australiens. Alors que son chef spirituel, Abou Bakar Bashir, croupit en prison dans l’attente d’être jugé pour trahison et que de nombreuses arrestations ont frappé ses rangs ces derniers mois, la Jamaa Islamiyah semble n’avoir rien perdu de sa force de frappe. Au contraire, elle se fait menaçante et promet «une campagne de terreur en Indonésie et dans la région».
La Jamaa Islamiyah mérite bien son qualificatif de nébuleuse. Nul en effet ne connaît le nombre exact des militants de cette organisation terroriste dont les tentacules s’étendent à tout le sud-est asiatique. Les services de renseignement des pays dans lesquels elle s’est implantée, estiment entre 200 et 1000 tout au plus le nombre de ses activistes. Et l’arrestation ces derniers mois d’une cinquantaine de ses membres –dont son leader spirituel Abou Bakr Bashir– détenus en Indonésie, au Cambodge, en Malaisie, aux Philippines, à Singapour et en Thaïlande, avait donné l’illusion que l’organisation avait été décapitée. L’attentat de Djakarta a apporté un démenti sanglant à cette thèse. Dans une revendication téléphonique, un homme se présentant comme un «agent de la Jamaa Islamiyah» a en effet présenté cette attaque terroriste comme «une mise en garde sanglante» à la présidente indonésienne Megawati Sukarnoputri contre toute répression subie par les militants de la nébuleuse. «Il s’agit d’un message à elle et à tous nos ennemis. S’ils exécutent un de nos frères musulmans, nous poursuivrons cette campagne de terreur en Indonésie et dans la région», a affirmé cet homme, 48 heures avant le premier verdict attendu dans les procès des militants présumés de la Jamaa Islamiyah, accusés d’être les auteurs de l’attentat de Bali.

Fondée dans les années 80 par deux religieux, Abou Bakr Bashir, directeur d’une école coranique de Java et Abdullah Sungkar, l’un de ses compatriotes indonésiens, la Jamaa Islamiyah s’est donnée pour but ultime la création d’un Etat islamique englobant outre l’Indonésie et la Malaisie, Singapour, le sultanat de Bruneï, le sud des Philippines et celui de la Thaïlande. Un Etat qui regrouperait une population de quelque 500 millions de personnes, toutes soumises à la charia, la loi islamique. Pour parvenir à leurs fins, les militants de la Jamaa Islamiyah se proposent de déstabiliser les gouvernements des pays de la région accusés d’apostasie et d’être des agents de l’impérialisme occidental. Dès les années 90, l’un de ses fondateurs Abdullah Sungkar, aujourd’hui décédé, établit les premiers contacts avec Oussama ben Laden. Prenant modèle sur al-Qaïda, la nébuleuse travaillera alors à mettre en place ses cellules dans le sud-est asiatique, y compris en Australie. Elle s’appuiera également sur des groupes radicaux déjà existant comme Darul Islam qui a envoyé des volontaires combattre en Afghanistan ou encore Laskar Jihad, un groupe paramilitaire qui a mené la guerre sainte contre les populations chrétiennes des îles Moluques.

Hambali, toujours introuvable

Les services de renseignement occidentaux et asiatiques estiment que de simples contacts, les liens entre al-Qaïda et la Jamaa Islamiyah se sont considérablement renforcés au cours de ces dernières années. Le chef opérationnel de la nébuleuse asiatique, le très recherché Riduan Isamuddin alias Hambali, est même considéré comme le représentant d’Oussama ben Laden dans la région. L’homme aurait rencontré à la fin les années 80 le dirigeant d’al-Qaïda en Afghanistan aux côtés duquel il aurait combattu l’occupation soviétique. De retour en Malaise en 1990, il se serait attelé à recruter des jeunes pour le jihad en vue de créer un état islamique pan asiatique. Il serait à l’origine de la série d’attentats quasi simultanés qui a durement frappé la communauté chrétienne lors des fêtes de Noël 2000. Une vingtaine de personnes avaient été tuées lors d’une série d’explosion dans sept villes indonésiennes. L’homme le plus recherché d’Asie du sud-est court toujours et nombreux sont ceux qui voient sa main derrière l’attentat de Djakarta.

Le drame qui a frappé mardi la capitale indonésienne a ravivé la peur du terrorisme dans toute la région. «La Jamaa Islamiyah frappera désormais chaque fois qu’elle en aura l’occasion», a ainsi estimé Rohan Gunaratna, un spécialiste sri-lankais connu pour ses recherches sur les mouvements islamistes radicaux. Selon lui, l’organisation terroriste «frappera dans d’autres pays si les institutions en charge du renseignement et de la lutte contre le terrorisme baissent la garde».



par Mounia  Daoudi

Article publié le 06/08/2003