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Indonésie

Crimes contre l’humanité à Aceh ?

Alors que l’armée indonésienne poursuit son offensive contre les indépendantistes de la province d’Aceh, la commission nationale des droits de l’homme indonésienne dénonce des massacres de civils. Les premiers soupçons se portent sur les militaires indonésiens.
De notre correspondant à Djakarta

La Commission des droits de l’homme n’a pas donné le nom du village ni précisé si les responsables du massacre étaient des soldats indonésiens ou des rebelles acehnais. Mais personne n’est dupe. Car les événements dénoncés par cette instance, considérée comme indépendante bien qu’elle soit en partie financée par le gouvernement, correspondent en tout point aux témoignages recueillis, il y a trois semaines, par plusieurs journalistes occidentaux à Matang Maplam, un village situé dans une région où se sont déroulés les plus violents combats depuis l’offensive lancée par Djakarta le 19 mai dernier.

Une centaine de militaires indonésiens ont débarqué à l’aube dans le village et ont exécuté de sang-froid sept civils dont deux enfants âgés de 12 et 13 ans. Le même scénario s’est répété quelques dizaines de minutes plus tard dans une localité voisine. L’armée n’a jamais démenti expliquant au contraire que les civils en question étaient tous des indépendantistes acehnais. Mais l’état-major avait également reconnu que ces «rebelles» n’étaient pas armés au moment de leur exécution. D’où la condamnation de la Commission : «Des personnes qui ne portent pas d’armes ne devraient pas être exécutées de la sorte (…) A partir des témoignages recueillis auprès des villageois, la conclusion préliminaire est qu’il y a eu des exécutions extra-judiciaires».

Découverte d’un premier charnier

C’est la seconde fois en moins d’une semaine que l’armée indonésienne est implicitement accusée d’avoir commis des massacres de civils, un acte qualifié de crime contre l’humanité par les conventions de Genève. Jeudi, la Commission des droits de l’homme admettait en effet la découverte d’une fosse commune dans le nord de la Province. Un charnier qui comprendrait, d’après le premier rapport d’enquête, plusieurs douzaines de cadavres habillés en civils. De son côté, la Croix rouge internationale déclare qu’elle a récupéré 151 corps depuis le début de l’offensive. L’identité des victimes n’a pas été communiquée mais toutes seraient également des civils. Pour sa défense, l’armée indonésienne affirme que les combattants du Gam, le mouvement séparatiste acehnais, ne portent pas toujours d’uniforme et dément s’en prendre délibérément aux populations civiles. Mais son passé l’accable.

Torture, assassinat collectif, pillage… les militaires indonésiens se sont livrés à de multiples exactions depuis le début de la guerre à Aceh en 1976. On se souvient également de la folie destructrice qui avait succédé au référendum d’autodétermination du Timor oriental en 1999. Pour punir la population d’avoir massivement voté en faveur de l’indépendance de cette ancienne colonie portugaise, annexée par Djakarta en 1976, les militaires indonésiens, épaulés par des milices locales, avaient massacré plusieurs milliers de civils et détruit 80% des infrastructures de l’île.

Autre conséquence de la guerre pour les civils : l’exode. 10 000 personnes ont déjà quitté leur village pour rejoindre des camps de réfugiés, îlots de misère et de maladies infectieuses. Le plus souvent, sur ordre de l’armée. «Protéger les civils des combats». C’est en ces termes que l’état-major indonésien justifie ces déplacements forcés de population. Mais l’explication ne convint personne. Car la mesure vise principalement les villages situés dans les zones plutôt favorables au Gam. Le but de la manœuvre est donc tout autre : il s’agit d’isoler les séparatistes acehnais d’une population susceptible de leur fournir abri et ravitaillement.

Le porte-parole de l’armée indonésienne a d’ailleurs lui-même précisé que tous les civils qui refuseraient de quitter leur village seraient considérés comme des rebelles et traités en conséquence. Ces déplacements forcés pourraient se multiplier dans les prochaines semaines, et toucher près de 200 000 personnes, si la guérilla indépendantiste continue de bien résister à la traque des commandos indonésiens. La situation humanitaire, déjà très préoccupante, deviendrait alors catastrophique. Car le gouvernement indonésien, malgré ses promesses, n’a pas les moyens de faire face aux urgences qu’une telle situation engendre.

Les civils acehnais ne pourront pas non plus compter sur les ONG étrangères. Celles-ci font l’objet de multiples pressions pour quitter la région. La presse internationale aussi. Plusieurs journalistes ont reçu des menaces de mort ou essuyé des tirs d’intimidation. Tous sont des témoins gênants pour Djakarta qui souhaite conduire ses opération militaires à l’abri de toute critique internationale.



par Jocelyn  Grange

Article publié le 14/06/2003