Indonésie
La sale guerre à Aceh
Le gouvernement indonésien s’est donné six mois pour éradiquer le mouvement indépendantiste d’Aceh. Mais les dix premiers jours de combats suggèrent que la guerre sera plus longue et qu’elle touchera en priorité les civils.
De notre envoyé spécial à Aceh
A Aceh, la guerre-éclair promise par Jakarta n’aura pas lieu. Il y a dix jours, le gouvernement indonésien lançait une vaste opération militaire contre le Gam, le mouvement séparatiste acehnais, qui lutte depuis 1976 pour l’indépendance de cette province du nord de Sumatra richement dotée en hydrocarbures. Cette offensive a mis un point final au processus de paix engagé en décembre 2002 après de fortes pressions des Etats-Unis qui ont des intérêts pétroliers dans la région.
Pour mener à bien cette opération, le dispositif militaire indonésien a été considérablement renforcé. 7 000 soldats sont venus épauler les 35 000 hommes déjà sur place. En renfort également: plusieurs dizaines d’hélicoptères et de navires de combat. Mais pour l’instant, les résultats sont maigres: aucune position du Gam n’est encore tombée et l’offensive aéronavale lancée contre l’île de Breuh, à l’extrême nord de la province, est un échec.
Dans la région de Loksemawé, la capitale économique, où se déroulent les plus violents accrochages, les séparatistes résistent bien à la traque des commandos indonésiens. Fidèle à sa stratégie de guérilla, le Gam reste terré dans ses bastions. Il laisse passer l’orage et attend sans doute les premiers signes de relâchement d’une armée indonésienne peu disciplinée et souvent mal entraînée. Structurés en petits groupes très mobiles, les séparatistes sont chez eux dans la jungle et peuvent compter, dans les zones rurales, sur le soutien de la population. Autant d’atouts pour enliser l’offensive indonésienne et la transformer en guerre d’usure.
Les civils en première ligne
En attendant, le Gam brûle les écoles. Plus de 350 ont été incendiées depuis le déclenchement des hostilités. C’est une pratique courante des rebelles acehnais. Dans de nombreux villages, les enceintes scolaires sont en effet les seuls bâtiments administratifs, et donc, les seuls symboles de la présence indonésienne dans la province. Les plus dogmatiques des séparatistes estiment également que les écoles sont des lieux où les enfants sont formatés à la culture indonésienne. Ces actions sont en général très mal ressenties par la population qui doit déjà faire face aux dérapages des militaires indonésiens. Destruction de maisons, torture, pillage ou meurtres collectifs.
A Aceh, comme ailleurs dans l’archipel, les exactions de l’armée indonésienne sont monnaie courante. Elles ont parfois soulevé de violentes critiques de la communauté internationale. En 1999 notamment, lorsque les militaires de Djakarta avaient mis le Timor oriental à feu et à sang pour punir les habitants de l’île d’avoir massivement voté en faveur de l’indépendance.
Consciente de l’enjeu, la présidente, Mégawati Sukarnoputri, a demandé aux soldats de conduire les opérations militaires à Aceh dans le respect de la population civile. La déclaration a eu un certain échos dans la presse internationale, mais le message n’a pas été reçu sur le terrain. Dans le village de Matamaplan, les habitants ont vécu l’enfer: «Une centaine de soldats sont arrivés vers 5h du matin», raconte la sœur d’une victime, «ils ont tiré en l’air et sur les murs des maisons. Ils se sont dirigés ensuite vers le cabanon où dorment les garçons qui sont chargés de surveiller les rizières. Des coups de feu ont éclaté, on a entendu des cris. Quand les soldats sont partis, on est allé là-bas. Mon petit frère avait une balle entre les deux yeux, d’autres avaient des balles dans le cœur». Le même scénario s’est reproduit, quelques minutes plus tard, dans un village voisin. Bilan: 14 morts, tous désignés comme des sympathisants du Gam. L’accusation, démentie par les villageois, laisse perplexe. Car parmi les victimes, certains n’avaient que 12 et 13 ans.
Les civils acehnais sont en première ligne et payeront sans doute le plus lourd tribut à cette guerre. Si tous ne seront pas blessés, beaucoup souffrent déjà de nombreuses restrictions. La circulation entre les villes est totalement interrompue, de nombreux acehnais se retrouvent au chômage et la loi martiale est en vigueur dans toute la province. Mais c’est la situation alimentaire qui soulève les plus grandes inquiétudes. Le prix des denrées essentielles a doublé et dans certaines zones, les habitants ne survivent qu’avec les rations alimentaires distribuées par les ONG.
Autre problème: les réfugiés. Les habitants de nombreux villages sont accusés de ravitailler les séparatistes et beaucoup d’entre eux devront quitter leur foyer. Entre 5 et 10 000 personnes ont déjà pris le chemin de l’exode. Près de 200 000 pourraient bientôt les rejoindre. Ce nombre n’est pas une estimation alarmiste des ONG. C’est le nombre annoncé officiellement par le gouvernement de Djakarta. Après cinq mois de relative accalmie, les acehnais retrouvent leurs habitudes de guerre et personne ne se fait aucune illusion sur la possibilité d’un nouveau cessez-le-feu dans les prochains mois. La faiblesse structurelle de l’armée indonésienne voue toute solution militaire à l’échec et de nombreux officiers ont intérêt à ce que la guerre se poursuive le plus longtemps possible. Car cette instabilité leurs permet d’entretenir de très juteux trafics: drogue, prostitution, racket des compagnies pétrolières internationales ou exportation illégale de bois.
A Aceh, la guerre-éclair promise par Jakarta n’aura pas lieu. Il y a dix jours, le gouvernement indonésien lançait une vaste opération militaire contre le Gam, le mouvement séparatiste acehnais, qui lutte depuis 1976 pour l’indépendance de cette province du nord de Sumatra richement dotée en hydrocarbures. Cette offensive a mis un point final au processus de paix engagé en décembre 2002 après de fortes pressions des Etats-Unis qui ont des intérêts pétroliers dans la région.
Pour mener à bien cette opération, le dispositif militaire indonésien a été considérablement renforcé. 7 000 soldats sont venus épauler les 35 000 hommes déjà sur place. En renfort également: plusieurs dizaines d’hélicoptères et de navires de combat. Mais pour l’instant, les résultats sont maigres: aucune position du Gam n’est encore tombée et l’offensive aéronavale lancée contre l’île de Breuh, à l’extrême nord de la province, est un échec.
Dans la région de Loksemawé, la capitale économique, où se déroulent les plus violents accrochages, les séparatistes résistent bien à la traque des commandos indonésiens. Fidèle à sa stratégie de guérilla, le Gam reste terré dans ses bastions. Il laisse passer l’orage et attend sans doute les premiers signes de relâchement d’une armée indonésienne peu disciplinée et souvent mal entraînée. Structurés en petits groupes très mobiles, les séparatistes sont chez eux dans la jungle et peuvent compter, dans les zones rurales, sur le soutien de la population. Autant d’atouts pour enliser l’offensive indonésienne et la transformer en guerre d’usure.
Les civils en première ligne
En attendant, le Gam brûle les écoles. Plus de 350 ont été incendiées depuis le déclenchement des hostilités. C’est une pratique courante des rebelles acehnais. Dans de nombreux villages, les enceintes scolaires sont en effet les seuls bâtiments administratifs, et donc, les seuls symboles de la présence indonésienne dans la province. Les plus dogmatiques des séparatistes estiment également que les écoles sont des lieux où les enfants sont formatés à la culture indonésienne. Ces actions sont en général très mal ressenties par la population qui doit déjà faire face aux dérapages des militaires indonésiens. Destruction de maisons, torture, pillage ou meurtres collectifs.
A Aceh, comme ailleurs dans l’archipel, les exactions de l’armée indonésienne sont monnaie courante. Elles ont parfois soulevé de violentes critiques de la communauté internationale. En 1999 notamment, lorsque les militaires de Djakarta avaient mis le Timor oriental à feu et à sang pour punir les habitants de l’île d’avoir massivement voté en faveur de l’indépendance.
Consciente de l’enjeu, la présidente, Mégawati Sukarnoputri, a demandé aux soldats de conduire les opérations militaires à Aceh dans le respect de la population civile. La déclaration a eu un certain échos dans la presse internationale, mais le message n’a pas été reçu sur le terrain. Dans le village de Matamaplan, les habitants ont vécu l’enfer: «Une centaine de soldats sont arrivés vers 5h du matin», raconte la sœur d’une victime, «ils ont tiré en l’air et sur les murs des maisons. Ils se sont dirigés ensuite vers le cabanon où dorment les garçons qui sont chargés de surveiller les rizières. Des coups de feu ont éclaté, on a entendu des cris. Quand les soldats sont partis, on est allé là-bas. Mon petit frère avait une balle entre les deux yeux, d’autres avaient des balles dans le cœur». Le même scénario s’est reproduit, quelques minutes plus tard, dans un village voisin. Bilan: 14 morts, tous désignés comme des sympathisants du Gam. L’accusation, démentie par les villageois, laisse perplexe. Car parmi les victimes, certains n’avaient que 12 et 13 ans.
Les civils acehnais sont en première ligne et payeront sans doute le plus lourd tribut à cette guerre. Si tous ne seront pas blessés, beaucoup souffrent déjà de nombreuses restrictions. La circulation entre les villes est totalement interrompue, de nombreux acehnais se retrouvent au chômage et la loi martiale est en vigueur dans toute la province. Mais c’est la situation alimentaire qui soulève les plus grandes inquiétudes. Le prix des denrées essentielles a doublé et dans certaines zones, les habitants ne survivent qu’avec les rations alimentaires distribuées par les ONG.
Autre problème: les réfugiés. Les habitants de nombreux villages sont accusés de ravitailler les séparatistes et beaucoup d’entre eux devront quitter leur foyer. Entre 5 et 10 000 personnes ont déjà pris le chemin de l’exode. Près de 200 000 pourraient bientôt les rejoindre. Ce nombre n’est pas une estimation alarmiste des ONG. C’est le nombre annoncé officiellement par le gouvernement de Djakarta. Après cinq mois de relative accalmie, les acehnais retrouvent leurs habitudes de guerre et personne ne se fait aucune illusion sur la possibilité d’un nouveau cessez-le-feu dans les prochains mois. La faiblesse structurelle de l’armée indonésienne voue toute solution militaire à l’échec et de nombreux officiers ont intérêt à ce que la guerre se poursuive le plus longtemps possible. Car cette instabilité leurs permet d’entretenir de très juteux trafics: drogue, prostitution, racket des compagnies pétrolières internationales ou exportation illégale de bois.
par Jocelyn Grange
Article publié le 29/05/2003