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Indonésie

Bali panse difficilement ses plaies

Alors que débute lundi 12 mai, le premier procès de l’attentat du 12 octobre, Bali reste confronté à une baisse vertigineuse de l’activité touristique, sa principale source de richesse. Une situation qui rend plus difficile la gestion du traumatisme psychologique créé par l’attentat.
Avant d’être victime des islamistes indonésiens, Kuta Beach était le cœur de la nuit balinaise. Le week-end comme la semaine, ses bars et ses discothèques ne désemplissaient pas. Ils sont maintenant presque déserts. Quelques dizaines d’Australiens accrochés au comptoir, une poignée d’Européens sur la piste de danse, et c’est tout. Quant aux boutiques de souvenirs, habituellement achalandées jusque tard dans la nuit, elles ferment maintenant en fin d’après midi. Dans la journée c’est la même morosité. Les restaurants sont vides, les taxis attendent désespérément des clients et sur les plages, autrefois bondées, les vendeurs de bibelots sont désormais plus nombreux que les vacanciers. A l’office du tourisme, on désespère. Car depuis deux ans, Bali accumule les handicaps : attentats du 11 septembre, attentat du 12 octobre, guerre en Irak et pour finir, une épidémie de SRAS qui ne cesse de progresser dans la région. Conséquence : de nombreux établissements sont au bord de la banqueroute et 100 000 employés du tourisme sont déjà au chômage, peut-être même davantage, selon l’étude d’une ONG internationale qui souligne que tous les métiers exercés à Bali dépendent plus ou moins directement de l’activité touristique . Celle-ci représente 90% des revenus de l’île ainsi qu’un tiers des 5 milliards de dollars de devises étrangères qui rentraient chaque année dans les caisses de l’Etat indonésien grâce au tourisme.

Traumatisme psychologique et tensions ethniques

Conscientes du traumatisme, les autorités locales se veulent rassurantes. Elles estiment que les touristes reviendront à Bali et affirment avoir tiré les leçons de l’attentat. Elles communiquent aujourd’hui sur le renforcement de la sécurité. Il y aurait, d’après le directeur de cabinet du gouverneur «plus de 5 000 policiers dans l’île contre 2 500 avant le 12 octobre». Optimiste, il est convaincu que «les touristes finiront par revenir à Bali». Il est probable, en effet, qu’ils ne résisteront pas longtemps à l’attrait de ses plages idylliques, de ses forêts luxuriantes ou de ses rizières taillées à flanc de collines en terrasses gigantesques. L’île a trop de charme pour être à jamais désertée. Bientôt, le tourisme de masse reprendra ses droits et les Balinais leurs affaires. Mais il est des blessures qui seront plus difficiles à cicatriser. Les Balinais ont été, après les Australiens, les plus tragiquement touchés par l’attentat. Une cinquantaine d’entre eux ont péri dans l’explosion et plusieurs dizaines très grièvement blessés. Beaucoup en conserveront pour toujours des handicaps. Souvent parce qu’ils furent négligés à leur entrée à l’hôpital.

«Les hôpitaux balinais n’étaient pas préparés à recevoir un tel afflux de blessés», se justifient les officiels. Une explication qui ne satisfait pas les ONG, qui accusent les hôpitaux d’avoir soigné en priorité les étrangers. Les motifs étaient obscurs : «ils savaient que les gouvernements occidentaux payeraient les frais médicaux de leurs ressortissant». La polémique n’est pas refermée puisque plusieurs handicapés balinais ont décidé de saisir les tribunaux. Décrié pour sa négligence, le gouvernement indonésien l’est aussi pour sa lenteur à mettre en œuvre un programme de soutien psychologique aux victimes et à leur proches. La tâche est immense car le traumatisme s’étend bien au delà des quelques 200 familles directement touchées par le carnage. Pour la directrice locale de l’IMC, l’International Medical Corps, il affecte l’ensemble de la société balinaise : «Nous avons plusieurs cas de femmes qui n’étaient pas présentes sur les lieux de l’attentat mais que les photos des corps calcinés ont profondément traumatisées. Elles ne supportent plus tout ce qui brûle. Elle ne peuvent plus cuisiner ni sentir l’odeur du bois brûlé…».

Autre effet de l’attentat : des crispations communautaires. Depuis plusieurs années, les relations entre Balinais de souche et immigrés indonésiens sont tendues. La politique gouvernementale de transmigration est en cause. Elle incite les habitants de Java, une île surpeuplée, à très forte majorité musulmane, à émigrer vers les autres îles de l’Archipel. La présence islamique à Bali est de plus en plus visible. Dans certains villages, les musulmans sont désormais majoritaires et l’appel à la prière est diffusé par haut-parleur. Une véritable agression pour les Balinais dont le mode de vie est intrinsèquement lié à la religion hindoue. Impossible pour le visiteur d’ignorer cet aspect religieux. On rencontre des temples dans tous les villages, des oratoires dans tous les champs et des offrandes à tous les coins de rue. Minoritaires dans le plus grand pays musulman du monde, les Balinais cultivent leur différence et réagissent ensemble à toute agression contre l’un d’entre eux. Dans ce contexte, les procès de l’attentat du 12 octobre ne serviront pas seulement de catharsis collective aux Indonésiens, qui ont découvert avec la Jemaah Islamyah, que l’islamisme le plus radical avait pris racine dans leurs pays. Ces procès doivent également désamorcer les tensions communautaires à Bali et éviter que les violences, qui se sont produites sporadiquement entre Balinais et Javanais depuis quelques mois, se multiplient à l’avenir.

La bombe, le SRAS, le tourisme en chute libre et des blessures mal refermées qui ouvrent peut être le chemin à de nouvelles violences : Bali, que l’on disait autrefois bénie de Dieux, semble aujourd’hui habitée par les démons.



par Jocelyn  Grange

Article publié le 11/05/2003