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Indonésie

Les chrétiens indonésiens sous pression

Après plusieurs années de violences, le calme semble en partie revenu entre musulmans et chrétiens de l’Archipel. Mais une guerre en Irak remettrait forcement les chrétiens sous la menace des islamistes locaux.
De notre correspondant à Djakarta

A Djakarta, on porte sa médaille de baptême sous la chemise et le crucifix est accroché au mur de la chambre, loin du regard des voisins. «Avec les évènements de ces dernières années et la perspective d’une guerre en Irak, mieux vaut ne pas trop s’afficher» explique Susan, une commerçante du centre-ville qui fréquente assidûment la cathédrale de Djakarta. Une cathédrale qui a été plusieurs fois la cible d’attaques islamistes. Le soir de Noël 2000, une bombe explosait près de l’entrée principale. Au même instant, une dizaine d’autres lieux de culte chrétiens, situés en plusieurs points de l’Archipel, étaient pris pour cible. Cette vague d’attentats fera 18 morts et plusieurs centaines de blessés. Elle se poursuivra jusqu’en juillet 2001 et sera finalement attribuée à la Jamaah Islamyya, l’organisation également suspectée d’avoir commis l’attentat de Bali.

L’épisode a profondément marqué l’inconscient collectif des chrétiens indonésiens qui représentent 9% de la population total du pays (85% de musulmans, 2% d’hindouistes, 1,5 % de bouddhistes). La paix religieuse est pourtant garantie par l’Etat. Celui-ci prétend ne favoriser aucune religion et traiter chacune proportionnellement à son importance numérique conformément au principe énoncé au moment de l’indépendance du pays au début des années 1950. Un principe qui a établi une république «théiste», c’est à dire fondée sur le principe de la croyance en «un dieu unique» et non pas en Allah, afin de ménager une place officielle aux autres religions.

Le renouveau de la foi islamique, à partir des années 1980, aura néanmoins quelques conséquences sur la position de l’Islam dans le pays, mais tardivement, à partir de 1990. Soucieux de se faire de nouveaux alliés face aux militaires contestataires, le général Suharto, arrivé au pouvoir après un coup d’Etat en 1966, donnera des gages aux leaders musulmans. Il effectuera le pèlerinage à La Mecque, créera une banque islamique (prêts sans intérêt), consolidera les tribunaux religieux et réintroduira la religion dans l’enseignement séculier. Et lorsque son régime sera aux aboies, il n’hésitera pas à encourager les violences anti-chrétiennes. En 1996, des émeutes ont lieu dans les îles Flores, à Lombok et à Java où 24 églises sont détruites par incendie dans la petite ville de Situbondo. En 1997, ce sont les chinois du pays, convertis au christianisme après 1966, pour éviter d’être accusés de communisme, qui servent de boucs-émissaires à l’écroulement de l’économie indonésienne provoqué par le krach boursier asiatique. Malheureusement, ces pratiques ne disparaîtront pas avec le «Suhartisme» en 1998. Ainsi, à la fin des années 1990, les militaires indonésiens attisent les tensions entre chrétiens et musulmans aux Moluques, un chapelet d’îlots situés aux confins orientaux de l’Archipel, en favorisant l’arrivée des Lascars Jihad, une milice islamiste et nationaliste ultra-violente. Le but des militaires ? Maintenir des foyers de tensions pour s’ériger en garant de l’unité nationale et ralentir ainsi la démocratisation du pays. Bilan: 5000 morts et plus de 100 000 réfugiés en trois ans. Aujourd’hui, les Lascars Jihad se replient sur la Papouasie où 90% de la population autochtone est chrétienne et massivement favorable à l’indépendance. Les Lascars Jihad, dont le rôle est de contrer ses aspirations séparatistes, agissent toujours avec l’appui de l’armée qui touche directement les subsides des immenses ressources naturelles (pétrole, gaz, or, cuivre) de l’île en assurant la protection de leur exploitation par de grandes multinationales occidentales.

En première ligne en cas de guerre en Irak

Malgré le discours officiel qui place au premier plan la tolérance, la situation religieuse de la république demeure donc très tendue. Mais ces tensions sont moins le fait d’une radicalisation religieuse de la population que le résultat des manipulations d’une armée mafieuse ou qui cherche encore sa place dans le nouveau régime. Car au quotidien, les relations ne sont pas trop mauvaises entre les chrétiens et les musulmans indonésiens, qui pratiquent très majoritairement un Islam tolérant et modéré. Mais les perspectives d’une guerre en Irak inquiètent les chrétiens qui se sentent vulnérables aux actions que la Jamaa islamyya, ou que d’autres mouvements islamistes, pourraient entreprendre en représailles à l’expédition anglo-américaine. Des mouvements qui sont encore groupusculaires mais qui, en ces temps de profonde crise économique, pourraient trouver un certains échos, en dénonçant le christianisme indonésien comme allogène, héritier de la colonisation, et porteur de valeurs occidentales.

Surtout, la réussite économique des sino-indonésiens accentue l’image de minorité indûment privilégiée, même si, par ailleurs, les chrétiens du Grand-est ne sont guère favorisés. Mais la qualité supérieure des écoles chrétiennes, le dynamisme des missionnaires, et les aides venues de l’étranger peuvent persuader une partie des musulmans indonésiens qu’ils sont aliénés dans leur propre pays, considéré comme terre d’Islam.



par Jocelyn  Grange

Article publié le 17/03/2003