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Indonésie

Première grande mobilisation contre la guerre

200 000 personnes se sont réunies dimanche à Djakarta pour réclamer le retrait immédiat des troupes anglo-américaines d’Irak. Cette première grande manifestation est un tournant. Car seuls les groupuscules islamistes du plus grand pays musulman au monde s’étaient jusque là mobilisés.
De notre correspondant à Djakarta

200 000 personnes se sont réunies devant l’ambassade de Grande Bretagne à Djakarta pour protester contre la guerre en Irak. C’est la plus importante manifestation en Indonésie depuis le début des hostilités, les précédentes n’ayant réunis que deux à trois milles personnes. Les manifestants sont restés une heure devant le bâtiment protégé par cinq rangées de barbelés et plusieurs centaines de policiers. Aux cris d’«Amérique terroriste» et de «Bush-Blair assassin», ils ont ensuite remonté la longue avenue qui traverse le centre ville pour défiler devant l’ambassade américaine, elle aussi transformée en camps retranché par un imposant dispositif de sécurité. Dans le cortège, de nombreux manifestants ont brandi des pancartes où les habituelles slogans anti-guerre, ou anti-américains, ont majoritairement fait place aux photos de corps d’enfants déchiquetés. Ce sont les victimes du missile américain tombé, en fin de semaine dernière, sur un marché de Bagdad. La foule n’est pas agressive mais on sent tout de même une certaine nervosité. Depuis plusieurs jours, tous les grands médias indonésiens consacrent leur «une» aux victimes civiles irakiennes et tirent à boulets rouges sur la coalition anglo-américaine. Les grands quotidiens politiques l’accusent de «mettre en danger la paix mondiale pour le pétrole», la presse populaire de se livrer à «une boucherie contre la population civile» et les journaux proches des mouvements islamiques de «mener une croisade contre l’Islam». Conséquence : la population est touchée dans son ensemble et l’appel à manifester n’a pas été seulement lancé par les mouvements islamistes, comme ce fut le cas jusqu’à présent, mais aussi par des organisations islamiques modérées, des représentants des églises chrétiennes, des syndicats ouvriers et des associations étudiantes de «gauche».

La guerre s’enlise, le climat s’alourdit

Cette manifestation marque donc un premier tournant dans les réactions suscitées en Indonésie par l’expédition militaire anglo-américaine. Quel sera la nature du prochain virage ? C’est la question que se pose déjà quelques intellectuels indonésiens qui insistent sur les dangers d’une guerre qui s’installerait dans la durée. Jusqu’à maintenant, les enseignes commerciales occidentales ont été épargnées par le vandalisme et si quelques expatriés ont été pris à partis verbalement, aucune agression physique n’a cependant été répertoriée. Mais à mesure que la guerre s’enlise, le climat s’alourdit. Beaucoup d’anglo-saxons résidant dans l’Archipel vivent dans la crainte d’attentats de la Jemaah Islamyya, l’organisation jumelle d’Al Qaïda en Asie du sud-est, ou de mouvements de foule incontrôlés, tandis qu’une certaine prudence est de mise dans les autres communautés d’expatriés occidentaux. Pourtant, le gouvernement semble avoir la situation bien en main. Il a pris, dès le début du conflit, une position très dure à l’égard des Etats-Unis, en qualifiant la guerre contre l’Irak d’«agression contraire au droit international», dans laquelle tous les indonésiens peuvent se retrouver.

Dans le même temps, il a multiplié les appels au calme et prévenu qu’il réprimerait avec la plus grande sévérité tout dérapage contre des intérêts ou des ressortissants étrangers. Cet équilibre de la fermeté est soutenu par tous les grands partis politiques, y compris ceux qui sont proches des grandes confréries islamiques. Chacun d’eux a des chances raisonnables de remporter les élections générales de 2004 et sait qu’il aura besoin, en cas de succès, des investisseurs étrangers, qui ont massivement déserté le pays depuis le krach boursier asiatique de 1997, pour sortir la population du marasme économique. Or, six mois après l’attentat de Bali, de nouvelles violences anti-occidentales maintiendraient pour longtemps les capitaux étrangers loin des rivages de l’Archipel. Seuls les islamistes, sur la défensive depuis le carnage du 12 octobre, et qui végètent aux marges extrêmes de l’électorat, ont un intérêt à voir la situation dégénérer.

Dans le contexte actuel de très forte montée du sentiment anti-américain, ils peuvent être tentés de créer des troubles en misant que leur répression par le gouvernement de la présidente Megawati soit interprétée par une partie de l’opinion publique, comme un soutien à l’Amérique plutôt qu’aux frères musulmans d’Irak. Ces groupuscules sont sous l’étroite surveillance de la police. Mais leur marge de manœuvre augmentera autant que la guerre durera. En Indonésie, le gouvernement ne vacille pas mais il prie quand même pour une guerre courte.



par Jocelyn  Grange

Article publié le 31/03/2003