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Réchauffement climatique

Protocole de Kyoto : la Russie tergiverse

L’espoir de voir la Russie annoncer la ratification du protocole de Kyoto sur les émissions de gaz à effet de serre à l’occasion de la conférence organisée à Moscou jusqu’à vendredi sur le thème du changement climatique, a été déçu dès l’ouverture. Le président russe Vladimir Poutine a clairement repoussé les échéances sur cette question et montré que la décision de son gouvernement dépendait notamment de certains engagements financiers de la part des Européens.
La Russie détient la clef de la mise en œuvre du protocole de Kyoto. Et elle le sait. Après la décision des Etats-Unis de ne pas ratifier le texte élaboré en 1997, et malgré la ratification de 117 autres Etats, le seuil butoir n’a pas été atteint pour permettre son application. Il est, en effet, nécessaire d’obtenir la ratification d’un ensemble de pays qui représentent au moins 55 % des émissions de gaz à effet de serre. Et pour le moment, on n’en est qu’à 44 %. Si la Russie à laquelle sont attribués 17 % de ces émissions s’engageait, la barre minimum serait alors franchie.

Mais pour le moment, il n’en est pas question. Malgré les déclarations encourageantes de Vladimir Poutine à l’occasion du Sommet sur le Développement durable à Johannesburg en septembre 2002, le président russe est revenu en arrière. Il a ainsi déclaré lundi, à l’ouverture de la conférence de Moscou sur les changements climatiques : «Chez nous, on entend dire souvent, en plaisantant ou sérieusement, que la Russie étant un pays nordique, un réchauffement de deux à trois degrés ne serait pas grave et peut-être bénéfique. On dépenserait moins pour les manteaux de fourrure et les vêtements chauds. Et les agronomes nous disent que la production agricole pourrait augmenter». Du point de vue russe, les enjeux du réchauffement de la planète ne seraient donc pas les mêmes que pour le reste du monde.

Les intérêts russes avant tout

Même si Vladimir Poutine a tout de même atténué la portée de ses propos en déclarant ensuite : «Nous devons aussi penser aux conséquences globales du changement climatique», il semble que la ratification du protocole de Kyoto par la Russie ne dépend pas en priorité des enjeux environnementaux à long terme pour l’ensemble de la planète. Ce sont bien les «intérêts» russes qui vont primer dans la décision finale. Et de ce point de vue, il n’est pas question d’accepter que les contraintes contenues dans le protocole fassent courir le risque de limiter la croissance économique des Etats en général, de la Russie en particulier. Vladimir Poutine a donc appelé à créer un «système de droit international dans le domaine des changements climatiques» et à «ne pas permettre la mise en place de restrictions de la croissance économique et du développement sociale». Du coup, il voudrait qu’une ratification soit assortie d’un certain nombre de garanties.

Dès avant la réunion de Moscou, les Russes ont annoncé qu’ils attendaient des engagements financiers fermes et précis de la part des Européens pour compenser une éventuelle chute des prix du gaz et du pétrole, qui font partie de leurs principales exportations, qu’induirait l’application du protocole. Celui-ci vise en effet à réduire de 5,2 % les émissions de CO2 des pays développés d’ici 2008-2012 par rapport à leur niveau de 1990. Pour y arriver, il recommande la réduction du trafic automobile, aérien, du chauffage l’hiver. Des mesures qui aboutiraient à diminuer la consommation de ces combustibles fossiles.

Les Russes mettent donc comme condition à leur ratification l’obtention de garanties concernant, par exemple, l’achat de leurs quotas d’émissions de gaz. L’entrée en vigueur du protocole de Kyoto aurait en effet notamment pour conséquence de créer un marché des quotas d’émissions de carbone sur lequel la Russie serait l’un des principaux vendeurs puisqu’elle remplit déjà ses engagements écologiques. Selon Vladimir Poutine : «Un quart des forêts de la planète est situé sur le territoire russe, et depuis 1990, notamment grâce aux changements structurels de l’économie russe, les rejets ont diminué de 32 %». Il est vrai que la fermeture de nombreuses usines polluantes après la chute du régime soviétique a permis au pays d’être d’ores et déjà sous les seuils recommandés par le protocole de Kyoto comme objectif à atteindre d’ici 2010.

Face à ces arguments très pragmatiques, les pressions exercées par de nombreux responsables internationaux pour inciter Vladimir Poutine à ratifier le protocole qui ont mis en avant les risques engendrés par les émissions de gaz pour l’avenir de la planète, n’ont pas reçu l’écho escompté. A l’image du message envoyé par le président français Jacques Chirac dans lequel il a fait valoir à quel point la ratification russe était importante pour préserver «l’avenir de l’humanité» et pour marquer «la détermination de la Russie à assumer toutes les responsabilités d’un grand pays moderne à l’égard des générations futures».

Les Russes ont beau jeu de mettre en avant le refus américain de ratifier le protocole pour faire pression sur les pays européens dans l’espoir d’obtenir les investissements financiers qu’ils souhaitent mais aussi de faciliter leur adhésion à l’Organisation mondiale du Commerce d’ici la fin de l’année 2004. Finalement rien ne presse et comme Vladimir Poutine l’a expliqué : «Le gouvernement russe examine minutieusement cette question, étudie tous les problèmes qui y sont liés. La décision sera prise à la fin de ce travail et en conformité avec les intérêts nationaux de la Russie».



par Francine  Quentin

Article publié le 30/09/2003