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FMI-Banque mondiale

Une histoire de gros sous

La facture de la reconstruction et de la démocratisation de l’Irak -et de l’Afghanistan- atteindra des montants astronomiques, et les grands argentiers du monde, réunis pour la première fois à proximité des points chauds du Moyen-Orient, commencent à se poser la question : d’où viendra l’argent ?
De notre envoyé spécial à Dubaï.

L’Irak, qui n’était pas formellement à l’ordre du jour, aura «entièrement éclipsé» des réunions préliminaires, selon certains délégués, les autres sujets débattus à l’occasion de l’assemblée annuelle du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale (BM), fin septembre à Dubai, le plus commerçant des Emirats Arabes Unis (EAU) sur les rives sud du Golfe.

Le Secrétaire américain au Trésor John Snow a lancé son offensive pour une contribution financière massive de la communauté internationale à la remise en ordre de l’économie irakienne dès la réunion des grands pays industrialisés du Groupe des Sept (G7), à la veille de l’assemblée. Il a affirmé par la suite qu’il a eu «des indications très encourageantes» de ses pairs du G7 et d’autres dirigeants qu’il a consultés.

L’effort demandé ne sera pas négligeable : les Américains estiment que l’Irak a besoin d’investissements de l’ordre de 75 milliards de dollars pour les trois prochaines années. Washington devrait y consacrer quelque 20 milliards du budget supplémentaire de 87 milliards demandé par le président George W. Bush pour l’opération en Irak.

La différence -qui égale sensiblement le montant total de l’aide publique au développement (APD), de quelque 56 milliards de dollars, accordée ces dernières années à l’ensemble des pays pauvres- devrait provenir, selon les Américains, des bailleurs de fonds bilatéraux, y compris certains fonds d’aide arabes, et des institutions financières internationales.

Cependant, l’Afghanistan s’est également rappelé au bon souvenir de la communauté internationale, demandant une aide supplémentaire de 30 milliards de dollars sur cinq ans au cours d’une rencontre avec les bailleurs de fonds en marge des réunions de Dubaï. En attendant mieux, Kaboul se contentera d’une promesse américaine de 1,2 milliards de dollars pour la prochaine année. Ce pays n'a pas encore touché la moitié des plus de 4 milliards de dollars précédemment promis par les bailleurs de fonds.

Jim Wolfensohn, président de la Banque mondiale, pense que les estimations américaines ne sont pas loin de la réalité. Mais il souligne que l’administration intérimaire irakienne aura également besoin d’un budget de fonctionnement, et pense que «la plus importante intervention sera celle des Irakiens, puisqu’il s’agit de leur pays

La Banque, qui aidera dans la limite de ses moyens, devrait finaliser d’ici à la mi-octobre sa propre évaluation des besoins Irakiens, à la suite des études qu’elle a menées en coopération notamment avec le FMI. Les résultats seront présentés à une conférence des bailleurs des fonds les 23 et 24 octobre prochains à Madrid.

Mais l’aide nécessaire à la reconstruction ne constitue pas la seule inconnue. Des délégués haut placés soulignent que la dette laissée par le régime de Saddam Hussein, à la suite notamment des guerres menées contre les voisins de l’Irak, fait partie du nœud financier qui doit être défait au plus vite. Selon ces sources cette dette se situerait dans une fourchette de quelque 70 à 120 milliards de dollars. Le Club de Paris, le groupe informel de créanciers publics, tente à présent de vérifier l’étendue précise de la dette, pour voir ensuite comment résoudre le problème. Sa restructuration ou annulation, partielle ou complète, représentera un fardeau supplémentaire pour les créanciers.

En outre, rappellent ces officiels, l’Irak fait aussi face à la demande de compensation du Koweït à la suite de la Guerre du Golfe. Il s’agit d’un montant de quelque 320 milliards de dollars -«mais ça c’est une autre histoire…». Le G7 a demandé au Club de Paris de «faire de son mieux pour aboutir à la restructuration de la dette de l’Irak avant la fin de 2004», tout en exhortant tous les créanciers «hors Club de Paris» de coopérer à cet effort.

Le retour du pétrole, en 2004

Les ministres des Finances du G7 ont effectivement exprimé leur soutien à «un effort multilatéral pour reconstruire et remettre en valeur l’Irak». Ils ont indiqué qu’ils sont «favorables» à ce que la Banque mondiale et le FMI accordent «rapidement» des concours financiers et d’autres formes d’assistance à l’Irak «dans le cadre de leurs politiques» normales.

Les deux institutions ne pouvant prêter qu’à des autorités officiellement reconnues, Jim Wolfensohn et les dirigeants du FMI estiment devoir attendre une décision éventuelle par l’ONU quant au statut de l’administration intérimaire de Bagdad, qui avait dépêché à Dubaï, pour une prise de contact informelle, une délégation conduite par son ministre des Finances, Kamil Mudbir al-Kilani.

Tout en annonçant une vaste réforme économique visant à attirer les investisseurs étrangers, ce dernier a confirmé que l’équipe mise en place par les Américains vise bien une aide internationale de l’ordre de 70 milliards de dollars. Il compte aussi sur les revenus du pétrole, de l’ordre de 12 milliards de dollars dès 2004. L’objectif serait d’exporter 2 millions de barils/jour (mbj) à partir du deuxième trimestre, sur une production qui serait alors de près de 3 mbj, dépassant légèrement le niveau d’avant la guerre.

Cependant, selon certains analystes pétroliers, l’arrivée rapide sur le marché de quantités importantes de brut irakien pourrait contribuer à des excédents qui pèseraient sur les prix, réduisant ainsi les revenus des exportateurs et faussant les calculs de Bagdad.

«Il n’y a pas que l’Irak et l’Afghanistan, les Africains ont également besoin d’aide», souligne un délégué européen qui se déclare préoccupé par les perspectives à moyen terme. Selon lui, il faut éviter de trop drainer de fonds de l’AID, le «guichet» de crédits concessionnels de la Banque mondiale pour les plus pauvres, afin de ne pas nuire à leurs intérêts.

La fragile reprise économique prévue par le FMI ne sera pas de nature à encourager la générosité des donneurs d’aide, sollicités de toute part. Un projet britannique pour mobiliser 50 milliards de dollars de ressources nouvelles pour un Fonds financier international (FFI) reste à l’étude, mais a peu de chances d’aboutir, dit-on de bonnes sources.

Jim Wolfensohn avait estimé avant le sommet de Monterrey (Mexique) en avril 2002 qu’il fallait doubler l’aide publique, à 100 milliards de dollar l’an, pour atteindre les objectif de développement du Millénaire (ODM), dont la réduction de moitié de la pauvreté d’ici 2015. Il pense à présent qu’il faudra encore 50 milliards, afin de compenser le manque à gagner des pays pauvres qui résulte de l’effondrement début septembre des négociations commerciales de l’OMC à Cancun. Cet échec prive ces derniers de l’accès élargi aux marchés des pays développés pour leurs produits agricoles, qui aurait apporté plus de moyens pour leur développement que l’aide internationale.



par Jan  Kristiansen

Article publié le 24/09/2003