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Bolivie

Le président de plus en plus contesté

La Bolivie a connu l’une de ses manifestations les plus importantes depuis le début du conflit avec le défilé d’environ 50 000 personnes jeudi à La Paz. Après les très graves incidents de ces derniers jours, manifestants et forces de l’ordre ont fait preuve de retenue et il n’y a pas eu de victimes. Depuis le début de la crise, les violences et la brutalité de la répression ont fait au moins 74 morts et 198 blessés.
Les témoignages en provenance de La Paz décrivent une «marée humaine» qui a envahi, jeudi, les rues de la ville. Les manifestants ont scandé des slogans hostiles au président Gonzalo Sanchez de Losada, réclamant notamment sa démission. Les Boliviens n’ont donc pas renoncé à exiger le départ de celui qu’ils considèrent comme responsable de la crise sociale et économique traversée par le pays et de la mauvaise gestion des ressources gazières. Avec les menaces qui pèsent sur les planteurs de coca, dont l’éradication des cultures est réclamée par Washington, ce thème des revenus du gaz a été l’un des principaux déclencheurs de la situation quasi-insurrectionnelle dans laquelle se trouve le pays. En effet, les porte-parole du mouvement estiment que la part du revenu de la rente gazière bénéficiant aux Boliviens (18%, actuellement, dans le cadre des contrats en vigueur) est beaucoup trop faible. L’affaire est compliquée par le projet d’acheminement vers l’océan, puisque la Bolivie a été privée de façade maritime par le Chili à l’issue d’une guerre livrée au siècle dernier. Et il est question de choisir un port chilien, plutôt que péruvien pour drainer le gaz jusqu’à la côte. Le président est accusé de «vendre» le pays.

La manifestation de jeudi est également un cinglant désaveu aux propositions du président de tenir un référendum consultatif sur cette question de l’exploitation des ressources. La brutalité de la répression et les propos présidentiels assimilant les leaders syndicaux et d’opposition à des «terroristes», l’absence de compassion pour les victimes, ont en effet contribué à la radicalisation des positions.

La Bolivie est actuellement un pays isolé : les transports intérieurs et extérieurs sont quasi impossibles en raison des nombreux barrages. L’aéroport international est fermé depuis dimanche. Les manifestations se sont étendues aux villes de Cochabamba, Santa Cruz, Sucre. Le syndicat Centrale ouvrière bolivienne a lancé un mot d’ordre de grève générale nationale. L’activité est très perturbé, voire paralysée.

Le président fragilisé

Le président Losada est dans une situation difficile. Les événements ont mis à mal la solidarité gouvernementale. Jeudi, deux vice-ministres («micro-entreprises» et «retraites») ont annoncé leur départ. «Je pars de ce gouvernement parce qu’il a perdu toute légitimité», a déclaré l’un d’eux, Manuel Soria, qui a également annoncé son intention de participer au jeûne de protestation organisé par une église. Lundi, déjà, quatre ministres avaient quitté le gouvernement et le vice-président Carlos Mesa avait retiré son soutien au Président. Et dernier rebondissement, vendredi : le chef du parti de centre-droit Nouvelle force républicaine a annoncé qu’il quittait la coalition au pouvoir et qu’il avait invité le président à partir.

Le président reste toutefois soutenu par la communauté internationale qui appelle à la fois à trouver une issue à la crise dans le cadre constitutionnel et au respect des droits de l’homme. Car l’impressionnante montée de la violence au cours de ces derniers jours (26 morts pour la seule journée du 12 octobre) a été très critiquée et provoqué une vive inquiétude hors du pays. A l’issue du sommet européen de Bruxelles, vendredi, les dirigeants des Quinze se sont déclarés «profondément préoccupés par les événements dramatiques» qui se déroulent en Bolivie, appellent à «respecter les droits de l’homme» et soutiennent les «efforts» que le gouvernement «déploie pour trouver une solution pacifique et constitutionnelle à la crise». Des déclarations que l’on retrouve également en provenance tant de Washington que de la région. Deux médiateurs des présidents argentin et brésilien sont attendus à La Paz vendredi soir.

La retenue constatée au cours de la dernière manifestation de La Paz pourrait constituer le signe que le message est passé. Dans la situation telle qu’elle est, il reste difficile d’imaginer un scénario de sortie de crise. Côté manifestants, domine le discours selon lequel, compte tenu de l’état de pauvreté général, les gens n’ont déjà plus rien à perdre et iront jusqu’au bout de leur exigence de voir démissionner le président. La classe moyenne, très affectée par la crise, donne des signes de lassitude et estime que la pauvreté renverra bientôt les gens à leur difficultés quotidiennes.

A La Paz, les touristes français et allemands ont été regroupés en vue d’une évacuation. Les Français, entre 30 et 40 personnes, ont été regroupés dans le gymnase du collège franco-bolivien. Ils seront évacués lorsque les conditions le permettront : c’est à dire lorsque seront rétablies les lignes aériennes civiles avec l’extérieur.



par Georges  Abou

Article publié le 17/10/2003