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Proche-Orient

Washington, nouvelle cible

L’attentat qui a coûté mercredi la vie à trois Américains dans la bande de Gaza sonne comme un défi à l’administration Bush, jugée de plus en plus partiale dans le dossier israélo-palestinien. Sur les lieux du drame, les enquêteurs n’ont trouvé que le dispositif de mise à feu de l’engin explosif. «Pas la moindre empreinte. Du travail de professionnel», a commenté un expert des renseignements militaires palestiniens. Cette attaque, la première du genre depuis le début de l’Intifada il y a plus de trois ans, intervient alors que les Etats-Unis sont empêtrés dans le bourbier irakien et à un moment où de plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer la politique menée par la Maison Blanche dans la région. A un an de l’élection présidentielle, Washington pourrait bien, estiment de nombreux observateurs, prendre le prétexte de l’attentat de Gaza pour abandonner son rôle d’arbitre –de plus en plus contesté– dans le conflit israélo-palestinien. Une décision qui pourrait se révéler désastreuse pour la sécurité dans la région.
Alors que les organisations radicales palestiniennes sont toujours promptes à revendiquer des attentats, aucune d’entre elles n’a curieusement voulu assumer la paternité de l’attaque dirigée mercredi contre un convoi diplomatique américain. Les deux principaux mouvements islamistes du Hamas et du Jihad islamique ont tous deux vigoureusement démenti toute implication dans cette opération. «Nous ne visons pas les étrangers car notre bataille est dirigée uniquement contre l’ennemi sioniste», a ainsi affirmé Adnane Asfour, un responsable politique du Hamas. Même la branche armée de cette organisation, les Brigades Ezzedine al-Qassam, pourtant connues pour leur radicalisme, ont affirmé que leurs armes étaient dirigées «contre les usurpateurs sionistes qui volent notre terre et tuent notre peuple» et non pas contre les étrangers. «Nous estimons inapproprié de prendre pour cibles des Européens, des Américains ou toute autre personne d’une quelconque nationalité», a pour sa part affirmé un responsable du Jihad islamique qui a estimé que «seules les forces d’occupation» étaient concernées par les attaques de son mouvement.

Un homme se réclamant des Comités de la résistance populaire dans la bande de Gaza a pourtant dans un premier temps revendiqué l’attentat avant que ce groupe armé ne démente vigoureusement l’information. Considéré comme un mouvement marginal, cette organisation compte quelques dizaines d’activistes, tous des dissidents du Fatah de Yasser Arafat ou d’anciens membres des services de sécurité. Elle regroupe les milices qui se sont spontanément formées dès la fin de l’année 2000 –au tout début de l’Intifada– avec pour objectif de défendre les camps de réfugiés palestiniens durant les incursions de l’armée israélienne. Les Comités de la résistance populaire dans la bande de Gaza ont mené ces derniers temps plusieurs attaques avec des moyens étrangement similaires à ceux employés lors de l’attentat de Gaza. Ils ont notamment réussi à faire exploser trois tanks israéliens.

A en croire les services du renseignement militaire israélien, ce groupe armé est directement lié à la police palestinienne. Selon eux, les services de sécurité palestiniens apportent «un vaste soutien financier et logistique» à ces Comités incluant notamment un entraînement militaire et un approvisionnement en armes. Ces mêmes services israéliens assurent qu’un attentat semblable à celui de mercredi avaient déjà eu lieu en juillet dernier sur la même route. A l’époque le convoi transportait John Wolf, le représentant de la CIA chargé de superviser l’application de la feuille de route. Mais la bombe avait explosé trop tard et le fonctionnaire américain s’en était sorti indemne.

Colère de la rue palestinienne

L’Autorité palestinienne et son président Yasser Arafat, qui les premiers ont vivement condamné l’attentat de mercredi, ont assuré que tout serait entrepris pour faire la lumière sur «cette attaque ignoble, honteuse et grave contre les Américains qui sont nos partenaires et nos amis». La police palestinienne a d’ores et déjà procédé à l’arrestation de quatre suspects, trois d’entre eux appartiennent aux Comités de la résistance populaire. Elle assure en outre qu’elle apportera le soutien nécessaire aux enquêteurs du FBI, dépêchés par Washington quelques heures après l’attentat.

Cette bonne volonté affichée par les dirigeants palestiniens contraste toutefois avec la réaction de la population. Les premiers diplomates et enquêteurs arrivés sur le lieu de l’attentat ont en effet été reçus à coups de pierres. La rue palestinienne a très mal accueilli les récentes déclarations de George Bush au sujet de l’opération que mène actuellement l’armée israélienne à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza. Le président américain a ainsi justifié comme de la légitime défense cette incursion qui a pour objectif de détruire des tunnels par lesquels transiteraient des armes venant d’Egypte. Mais si quatre de ces tunnels ont effectivement été découverts depuis vendredi dernier, au moins 120 maisons ont également été détruites. L’Agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNWRA) a ainsi indiqué que quelque 1240 personnes se retrouvent aujourd’hui sans toit à l’approche de l’hiver. Huit personnes au moins ont en outre été tuées au cours de cette incursion de l’armée israélienne qui a déployé jeudi une quarantaine de nouveaux chars en appui à son opération.

Au regard de la situation dans les territoires palestiniens, la réaction de George Bush à l’attentat de Gaza –imputant à l’Autorité palestinienne la responsabilité de l’attaque– a très peu ému la population dont la rancœur envers l’administration américaine est de plus en plus violente. Peu avant l’attentat et commentant le 78ème veto américain brandi pour barrer la route à la résolution condamnant la construction de la «barrière de sécurité israélienne», Jibril Rajoub, le conseiller de Yasser Arafat affirmait en effet que «les Etats-Unis avaient cessé d’être un intermédiaire honnête entre les Israéliens et les Palestiniens», reflétant largement l’opinion palestinienne. «Leur attitude biaisée et pro-israélienne pousse toutes les organisations palestiniennes à s’unir contre leur hégémonie au Moyen-Orient», avait-il également souligné.

Les Etats-Unis pourtant semblent faire très peu de cas de cette frustration palestinienne. Leur veto à la résolution condamnant Israël, tout comme l’abandon de plus en plus vraisemblable des sanctions financières à l’encontre de l’Etat hébreu pour sa politique de colonisation semblent largement en attester. Cette politique, loin d’apaiser la situation, devrait bien au contraire exacerber les radicalismes au Proche-Orient. De moins en moins engagée sur le dossier israélo-palestinien, l’administration Bush, qui bat des records d’impopularité, pourrait être tentée de l’abandonner. Une décision qui pourrait s’avérer désastreuse. L’Institut international de recherches stratégiques vient en effet de publier une étude sur l’islamisme après la guerre en Irak. L’organisme, basé à Londres, met l’accent sur l’urgence qu’il y a à résoudre le conflit israélo-palestinien au moment où l’après-guerre galvanise les radicalismes dans tous les Etats arabo-musulmans.



par Mounia  Daoudi

Article publié le 16/10/2003