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Proche-Orient

Un mur d’incompréhension (suite)

«Mur» ou «barrière de sécurité», cette construction qui «serpente à travers la Cisjordanie», pour reprendre l’expression du président George W. Bush suscite de violentes polémiques sur son appellation, sur son efficacité, sur son tracé. État de la controverse.
Tous les journalistes le savent, peu de sujets dans le monde sont aussi sensibles que celui du conflit israélo-palestinien. La Rédaction internet de RFI a pu le constater à nouveau ces derniers jours. L’article «Un mur d’incompréhension entre Israël et les États-Unis» publié le 19 septembre 2003 a suscité un abondant courier. La réalité est complexe, les mots pour en rendre compte sont presque tous piégés, tant ils sont connotés par les acteurs du conflit, leurs partisans respectifs et, partant, le public en général. Parmi les innombrables thèmes de polémique liés à ce conflit, il en est un qui a fait son apparition tout récemment, en fait depuis un an, c’est-à-dire depuis que le gouvernement israélien a commencé en juillet 2002 à construire un ouvrage séparant physiquement les Palestiniens de Cisjordanie des habitants de l’État d’Israël.

Pour les Palestiniens, c’est le «mur de la honte» qui sépare, ou va séparer des paysans de leurs champs, des foyers du puits qui les abreuve, divisant des villages en leur milieu ou assiégeant leur ville d’une muraille hermétique (Qalqilya). Les Israéliens, en revanche, présentent cette «barrière» (ou clôture) de sécurité comme une simple mesure technique destinée à prévenir le passage des auteurs d’attentats suicide. Le site du ministère israélien des Affaires étrangères présente une petite animation montrant un kamikaze palestinien quittant une ville de Cisjordanie pour se rendre à pied dans la localité israélienne voisine et s’y faire exploser, quinze minutes plus tard. L’objet de cette construction est précisément, pour les autorités israéliennes, d’empêcher que cette éventualité puisse se produire.

D’ailleurs, de quoi parle-t-on exactement ? Mur ou barrière ? En fait, il s’agit des deux. Sur certains tronçons, c’est un mur de béton de six mètres de haut, sur d’autres, une clôture grillagée et électrifiée. La construction est bordée d’une route côté israélien et d’un terrain vague d’une centaine de mètres au moins, côté palestinien. Cette construction a donc donné lieu à des expropriations significatives du côté palestinien (c’est-à-dire à l’est de l’ouvrage) et même quelquefois à l’ouest de celui-ci.

Le mur/clôture, en effet, ne se contente pas de séparer Israël de la Cisjordanie. Comme le déclarait le président américain George Bush en juillet dernier, il s’agit d’un «mur serpentant à travers la Cisjordanie»

Car s’il ne s’agissait que de séparer Israël de la Cisjordanie, cet édifice ne poserait guère de problème aux Palestiniens: «S’ils construisaient le mur sur la ‘ligne verte’ [qui sépare l’État d’Israël des territoires occupés en 1967], leur mur pourrait avoir 100 mètres de haut, je n’aurais rien à redire», expliquait ces jours derniers sur une chaîne de télévision française un Palestinien de Cisjordanie, vivant à proximité immédiate du chantier.

De nombreuses cartes ont été publiées montrant le tracé actuel (et futur) de ce mur. Celle publiée par www.rfi.fr, dessinée à main levée sur un fond de carte de petite taille à partir des travaux de l’organisation israélienne de défense des droits de l’homme B’Tselem était incorrecte en ce qu’elle exagérait l’indentation en Cisjordanie même de l’ouvrage. C’est pourquoi nous avons corrigé cette erreur en renvoyant nos internautes vers la carte originale de B’Tselem. Le problème est qu’il n’existe aucune version officielle et incontestable de ce tracé, hormis ce qui a déjà été construit, et ceci pour une raison fort simple : le tracé virtuel est en perpétuelle évolution et fait l’objet d’âpres débats au sein même du gouvernement israélien et entre celui-ci et l’administration américaine.

C’est pourquoi, selon les sources, il est question d’une ligne qui, une fois achevée, fera 400 kilomètres de long, mais d’autres sources évoquent un ouvrage de 600 kilomètres, tant il est vrai que les circonvolutions de cette construction (qui, comme on l’a dit, enserre complètement la ville de Qalqilya –42 000 habitants– tout comme celle de Tulkarem) rallongent le mur. Par endroit, il n’est qu’une ligne pointillée. C’est ce qui arrivera lorsque sera achevée la construction de la «clôture» protégeant la colonie d’Ariel –20 000 habitants–, profondément enfoncée au cœur des territoires palestiniens de Cisjordanie. L’inclusion du «doigt d’Ariel» à la zone occidentale du mur représente une indentation de près de 300 km², selon The Jerusalem Report. Toutefois, pour satisfaire les États-Unis, le gouvernement Sharon a accepté, dans un premier temps, de ne pas relier le tronçon entourant la colonie d’Ariel au tracé principal. Dès lors, comment évaluer l’ampleur du territoire palestinien confisqué par Israël pour construire son mur alors même que le tracé concernant les tronçons ultérieurs évoluent au jour le jour, au gré des rapports de forces internes au gouvernement israélien et des pressions américaines ?

Une dissymétrie absolue

Les évaluations se heurtent en outre à un obstacle majeur sur le plan méthodologique: la dissymétrie absolue des préoccupations palestiniennes et israéliennes. Pour les Palestiniens, ce chantier a pour but de créer un fait accompli sur le terrain en annexant de fait la plus grande partie possible de terres palestiniennes de façon à rendre impossible la création d’un État palestinien viable, tel que prévu par la Feuille de route pour 2005. L’Autorité palestinienne va jusqu’à affirmer qu’une fois achevé, le «mur» aura amputé la Cisjordanie de 23% de sa superficie. Le mouvement pacifiste israélien Gush Shalom, dirigé par l’ancien député Ury Avnery, va jusqu’à affirmer qu’à l’issue des travaux, qui feront passer le mur en certains points à 20 kilomètres à l’est de la Ligne verte, la Cisjordanie aura perdu le quart de son territoire.

Mais côté israélien, impossible d’obtenir une évaluation chiffrée en réponse à cette affirmation. Israël met l’accent uniquement sur l’aspect sécuritaire de la construction et semble refuser d’entrer sur le terrain de discussion des surfaces concernées. Contactée par notre rédaction, l’ambassade israélienne à Paris s’est refusée à spéculer sur la portion de territoire de Cisjordanie qui sera, à terme, englobée par la «clôture» et s’est contentée d'évaluer à 1,4% de la Cisjordanie la portion de territoire sur laquelle empiète actuellement la «barrière» de sécurité. Une recherche systématique sur les sites officiels du gouvernement israélien, ainsi que sur les sites d’organisations soutenant la politique d’Israël nous a permis de trouver de nombreux documents justifiant la construction de cette ligne de séparation physique, mais nulle part, nous n’avons trouvé d’évaluation officielle de l’ampleur des terres palestiniennes passées sous contrôle israélien du fait de cette construction. La députée travailliste Colette Avital indiquait mardi 7 octobre sur RFI que le gouvernement israélien envisageait d’«incorporer à l’intérieur de ses frontières 7% du territoire palestinien», sans préciser si ce pourcentage se référait à la Cisjordanie, à la Cisjordanie et Gaza, ou encore Cisjordanie, Gaza et Jérusalem-Est, ce qui est évidemment de nature à changer les pourcentages.

Il faut enfin ajouter, pour éclairer cette querelle de chiffres d’ailleurs dissymétrique, que les Palestiniens considèrent, comme d’ailleurs les Nations unies, que la partie orientale de Jérusalem est partie intégrante des territoires occupés par Israël en 1967 tandis que le gouvernement israélien considère que Jérusalem-Est, et une partie substantielle de la banlieue de celle-ci en Cisjordanie, appartient à la Ville dont Israël a fait sa capitale en l’annexant dès juin 1967 et ne fait en aucune façon partie des «territoires disputés», selon la terminologie officielle d’Israël.

Toutes les terres ne se valent cependant pas et un pourcentage de terres saisies ne suffit pas, quels que soient les chiffres, à rendre compte de la réalité sur le terrain. La portion de Cisjordanie concernée par la construction, selon Gush Shalom, comprend 80% des terres cultivées et 65% des ressources en eau. En septembre dernier, le Sud-Africain John Dugard, enquêtant pour le compte des Nations unies, évaluait à 210 000 personnes le nombre de Palestiniens vivant entre le mur et Israël (c’est-à-dire la Ligne verte) voués à être isolés de leurs propres structures sociales, toutes situées à l’est du mur.

Les organisations de défense des droits de l’homme qui ont enquêté sur le sujet, que ce soit l’organisation internationale Amnesty International, ou les associations israéliennes B’Tselem ou Gush Shalom soulignent toutes, comme les Nations unies à travers divers rapports (tous rejetés par Israël comme étant «partiaux») que les terres saisies sont le plus souvent des terres cultivées, comprenant des sources d’accès à l’eau potable ou à l’irrigation des champs et qu’enfin, la ligne physique ainsi érigée sépare le paysan de son champ, l’écolier de son école, et le travailleur de son travail. Cette réalité-là, aucune polémique sur la surface des terres saisies ne saurait l’oblitérer.



par Olivier  Da Lage

Article publié le 09/10/2003