Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Irak

Interrogations après des attentats en série

Partisans de Saddam Hussein ou combattants étrangers, les activistes qui ont planifié les attentats de ces dernières 48 heures –une voiture piégée a encore explosé mardi à Falloujah tuant 6 personnes dont des écoliers– ont montré qu’ils étaient, d’une part, désormais mieux organisés et, d’autre part, que les discours rassurants de la coalition américano-britannique sur le retour au calme en Irak étaient sans fondement. En lançant cinq opérations suicide quasi-simultanées, qui ont coûté la vie à 43 personnes et fait plus de 200 blessés, ils ont en effet franchi une étape significative. La guérilla qui depuis plusieurs mois s’est illustrée dans des attaques isolées, certes souvent meurtrières, peut désormais monter des opérations d’envergure. Une mauvaise nouvelle pour les communicants de la Maison Blanche qui peinent de plus en plus à convaincre les Américains du bien-fondé de la stratégie de Washington en Irak.
Ce lundi 27 octobre, premier jour du premier ramadan de l’après-Saddam, sera marqué du sceau du deuil pour les Bagdadis. En moins d’une heure, des kamikazes embarqués dans des voitures piégées ont visé le siège du Comité international de la Croix-rouge ainsi que quatre commissariats de police. Le bilan est lourd : 43 personnes en majorité des civils –huit étaient des policiers– sont tuées et quelque 200 autres blessées, dont certaines grièvement. La police irakienne réussira par ailleurs à déjouer une sixième attaque terroriste en arrêtant un Syrien qui conduisait une voiture bourrée d’explosifs qu’il avait l’intention de jeter contre un autre commissariat de la capitale. La quasi-simultanéité de ces attentats semble montrer une parfaite maîtrise de l’organisation et surtout l’existence d’un vivier de kamikazes prêts à sacrifier leur vie pour entraver la présence de la coalition américano-britannique en Irak et empêcher la reconstruction du pays. Elle oppose surtout un démenti formel aux discours relayés par le Pentagone selon lesquels la situation sur le terrain est de plus en plus favorables au troupes de la coalition.

Ainsi quelques heures après la vague d’attentats qui s’est abattue sur Bagdad, le général Mark Hertling, de la 1ère division d’infanterie, affirmait : «la situation est plus sécurisée qu’avant et elle avance dans le bons sens». Minimisant l’impact de ces opérations suicide, il ajoutait en outre qu’il ne s’agissait pas d’«attaques significatives mais d’un travail d’amateurs». «Dire qu’il y a une synchronisation, juste parce que les attaques ont eu lieu à la même heure, ne me paraît pas probant», a-t-il même insisté. Dans un bel élan de solidarité, le président américain renchérissait plus tard dans la journée en estimant qu’il y avait en Irak «des terroristes qui veulent tuer n’importe qui dans le but de bloquer nos avancées». «Plus nous faisons de progrès sur le terrain, plus les Irakiens deviennent libres, plus l’électricité revient, plus il y a d’emplois, plus les enfants peuvent aller à l’école, et plus désespérés deviennent les tueurs car ils ne peuvent pas supporter l’idée d’une société libre», a déclaré George Bush qui recevait à la Maison Blanche l’administrateur civil en Irak, Paul Bremer et le général John Abizaïd qui dirige le commandement central américain. Il a en outre réaffirmé que Washington n’avait pas l’intention de quitter l’Irak car «l’émergence d’un Irak pacifique est dans l’intérêt national des Etats-Unis».

Cafouillage chez les militaires

Dans une analyse publiée lundi, le New York Times estimait que le président Bush devait désormais assumer ce que le quotidien appelle «le paradoxe irakien». Il doit en effet expliquer aux Américains que si ça va de mal en pis en Irak c’est parce que ça va de mieux en mieux. Une thématique qu’il tente vaille que vaille de faire passer auprès de ses concitoyens de plus en plus réticents à la stratégie engagée par son administration en Irak. Un sondage publié lundi rapporte ainsi que 50% des Américains désapprouvent la façon dont leur pays mène la guerre dans la région, contre 47% qui l’approuvent. A titre indicatif, en avril dernier, un autre sondage indiquait que 80% des personnes interrogées approuvaient la façon dont leur pays conduisait la guerre tandis que 18% se prononçaient contre. Alors que le bilan de l’occupation est désormais plus lourd que celui de la guerre, un nombre croissant d’Américains réclame en outre le retour des boys au pays. Ils sont désormais 57% à souhaiter le retour des troupes américaines engagées en Irak.

Dans ce contexte de recrudescence de la violence, les Américains sont de plus en plus sensibles aux informations en provenance de Bagdad. Et concernant l’origine des attentats qui ont ensanglanté lundi la capitale irakienne, ils ont eu droit à des propos totalement contradictoires de la part de deux responsables de l’armée américaine, le premier écartant la thèse d’une responsabilité étrangère, le second accusant des combattants étrangers d’être au contraire à l’origine des attaques. Les étrangers représentent seulement «un faible, un très faible pourcentage» des résistants en Irak, a ainsi affirmé le général Raymond Odierno qui commande la 4ème division d’infanterie. «Mon sentiment, a-t-il souligné, est que ces attentats ont été commis par d’anciens loyalistes à Saddam Hussein». «Les Irakiens n’aiment pas que des gens d’autres pays touchent aux affaires irakiennes», a-t-il également justifié. Un peu plus tôt un autre responsable militaire, le général Mark Hertling affirmait : «des informations nous montrent que ces attaques semblent être l’œuvre de combattants étrangers». «Ces attaques, ajoutait-il, ne sont pas similaires à ce que nous avons vu des loyalistes de l’ancien régime».

Ce cafouillage dans les rangs de l’armée américaine montre toute la difficulté à définir avec précision la guérilla irakienne. Les analystes de la lutte anti-terroriste ont ainsi isolé trois mouvances actuellement en exercice à plus ou moins grande échelle en Irak. La première regroupe les fidèles de Saddam Hussein, responsables de nombreuses attaques en particulier dans la région située au nord de Bagdad et surnommée «le triangle sunnite». «C’est une armée qui ne va nulle part. Ses combattants n’ont aucune stratégie si ce n’est ramener au pouvoir Saddam Hussein», estiment les spécialistes pour qui cette mouvance ne constitue pas une menace en soi. Les combattants étrangers sont à cet égard plus dangereux dans la mesure où ils ont fait de l’Irak la terre de leur guerre sainte et de leur confrontation avec l’Occident. Ce sont ces activistes, à qui l’on prête des liens réels ou supposés avec le réseau terroriste al-Qaïda d’Oussama ben Laden, qui sont très certainement derrière les attentats les plus meurtriers commis en Irak, parmi lesquels celui perpétré le 19 août devant le siège des Nations unies à Bagdad et qui a notamment coûté la vie à Siergio Vieira de Mello. Une troisième mouvance enfin, plus menaçante à terme, s’organise actuellement en Irak. Il s’agit de la mouvance radicale chiite qui réclame le départ des forces de la coalition une fois la prééminence des chiites établie. Elle pourrait se montrer beaucoup plus violente dans la mesure où l’enjeu de son combat et de prendre le pouvoir en Irak.



par Mounia  Daoudi

Article publié le 28/10/2003