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Irak

Les humanitaires lèvent le camp

Après le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), qui a décidé de réduire mercredi sa présence en Irak, c’est désormais autour des Nations unies de retirer leur personnel expatrié à Bagdad. La mesure est certes symbolique puisqu’elle ne concerne qu’une douzaine de personnes tout au plus encore présentes dans la capitale irakienne. Elle constitue toutefois un désaveu cinglant pour la politique menée en Irak par les Etats-Unis, incapables aujourd’hui de garantir la sécurité dans le pays et de prévenir les attentats en forte recrudescence depuis le début de la semaine.
L’attaque suicide de lundi, perpétrée contre le siège du CICR, a sans conteste représenté un tournant pour l’activité des organisations humanitaires travaillant en Irak. Le message délivré était en effet parfaitement clair: la neutralité des ONG ne les protège désormais plus des attaques de la guérilla irakienne pour qui elles sont devenues une cible privilégiée. L’attentat de lundi, qui a coûté la vie à douze personnes, dont deux membres du CICR, a donc provoqué un choc chez les humanitaires. La Croix-Rouge internationale, qui est présente en Irak depuis le début des années 1980 et qui n’a jamais quitté le pays comme ce fut le cas pour d’autres organisations internationales, a ainsi annoncé mercredi qu’elle allait adapter ses activités et réduire son personnel. Une décision sans appel malgré la pression des Etats-Unis, plus que jamais soucieux de maintenir une présence internationale en Irak. Lundi, le secrétaire d’Etat américain, Colin Powell, avait en effet appelé le CICR à ne pas quitter le pays afin d’éviter «une victoire des terroristes», mais en vain.

L’organisation internationale, qui peut compter en Irak sur 30 à 40 expatriés et quelque 700 employés locaux, affirme qu’elle n’a pas l’intention d’abandonner le pays, mais elle estime n’avoir pas d’autre choix que d’adapter sa manière de travailler. «Nous réduisons le nombre de nos employés et nous renforçons les mesures de sécurité pour le personnel qui reste sur place», a ainsi précisé le directeur des opérations du CICR, Pierre Krahenbuhl. L’organisation internationale avait déjà commencé à rapatrier son personnel expatrié en Irak –une centaine de personnes– après la mort en juillet d’un employé sri-lankais et surtout après le choc provoqué par l’attentat du 19 août contre le siège des Nations unies à Bagdad.

L’attaque suicide contre l’immeuble du CICR et la décision de cette organisation de restructurer sa présence en Irak ont servi d’électrochoc aux Nations unies qui dès jeudi annonçaient à leur tour le rappel «provisoire» de leurs employés expatriés dans la capitale irakienne. «Nous avons demandé au personnel de Bagdad de revenir momentanément pour des consultations avec les gens du quartier général sur l’avenir de notre opération en Irak», a notamment précisé la porte-parole du siège européen de l’ONU à Genève. Cette mesure concerne une douzaine de personnes tout au plus se trouvant encore dans la capitale irakienne, sur un total de 60 expatriés travaillant dans tout le pays. Elle est avant tout symbolique puisque l’organisation internationale entretenait quelque 300 étrangers en Irak avant l’attentat du 19 août dernier qui a coûté la vie à 22 personnes dont son représentant en Irak, le Brésilien Sergio Vieira de Mello.

Rumsfeld agacé

Même «temporaire», la décision de l’Onu sonne comme un désaveu pour la stratégie de l’administration Bush en Irak. L’organisation, qui avait du se soumettre à la dernière résolution adoptée à l’unanimité par le Conseil de sécurité et qui ne faisait que conforter le poids des Etats-Unis dans la reconstruction du pays la reléguant à un rôle subalterne, peut désormais faire valoir son droit à espérer plus. Un haut diplomate à l’ONU a ainsi résumé la situation: «Kofi Annan est très clair. Si les représentants de des Nations unies doivent risquer leur vie en Irak, alors ils doivent prendre le commandement des affaires politiques et économiques. Tant qu’il n’aura pas ça, je ne sais pas s’il voudra renvoyer des gens la-bas».

Cette menace sous-entendue n’est bien sûr pas du goût des Américains, plus que jamais décidés à ne rien céder de leurs prérogatives dans l’après-Saddam. Et si le département d’Etat a déclaré du bout des lèvres comprendre la décision de l’ONU, il a fini par admettre que les Etats-Unis étaient «déçus». Visiblement agacé, le secrétaire à la Défense a certes, pour sa part, concédé que chaque organisation devait décider pour elle-même ce qu’elle devait faire et comment elle devait se comporter. Mais il n’a pu s’empêcher de lancer: «la très grande majorité des attaques a lieu à Bagdad et dans le nord de Bagdad. S’il y a des organisations qui veulent se rendre utiles, il y a des régions où elles peuvent le faire dans des conditions raisonnables de sécurité».

Si le retrait des Nations unies agace visiblement l’administration américaine –avec le départ de l’ONU de Bagdad, quel pays voudrait encore aujourd’hui envoyer des troupes en Irak où financer la reconstruction du pays ? –, il représente du pain bénit pour les Etats qui, depuis la fin de l’offensive américano-britannique, réclament un rôle central pour l’organisation internationale. Le chef de la diplomatie française a ainsi estimé que les mesures décidées par Kofi Annan «montraient que, plus que jamais, un changement d’approche était nécessaire en Irak». Et Dominique de Villepin d’insister: «plus que jamais, nous estimons que c’est par un changement d’approche que nous rendrons compatibles à la fois le nécessaire engagement de la communauté internationale et la pleine implication des Irakiens à travers un gouvernement provisoire qui aurait en charge le destin de l’Irak». Un discours que les faucons de la Maison Blanche ne sont pas du tout prêts à entendre.



par Mounia  Daoudi

Article publié le 31/10/2003