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Kurdistan irakien

Le Kurdistan, îlot de tranquillité et de prospérité

Le Kurdistan irakien fait figure de havre de paix et de prospérité dans un Irak en pleine tourmente. Ici les soldats américains respirent et l’économie locale est toujours florissante, mais pour combien de temps encore ?
De notre envoyé spécial au Kurdistan irakien

Le contraste est saisissant: Mossoul, une mégapole de 1,7 million d’habitants, est en fait un immense village, avec quelques rares îlots dignes d’une grande ville. Sa saleté est repoussante. Ses voitures sont des tas de ferraille brinquebalante. Les façades des maisons sont décrépites. Les boutiques pauvrement achalandées. On a du mal à croire, en circulant dans les rues de cette ville lépreuse qu’il s’agit de la seconde ville de l’Irak, de la capitale du nord d’un grand pays pétrolier.

A quelques dizaines de kilomètres delà, Dohok, en pays kurde, est une vitrine de prospérité. Le supermarché Mazi, le plus grand supermarché de tout l’Irak avec ses 7000 mètres carrés de rayons, attire des clients de toutes les régions de l’Irak, et depuis six mois les soldats américains venus passer quelques jours de détente au Kurdistan. C’est le seul endroit en Irak où ils peuvent se promener tranquillement dans la rue en touristes sans risquer de se faire tuer. Le souk de Dohok regorge de marchandises. Sur le boulevard extérieur de Dohok, les opulentes demeures construites par les «hommes d’affaires» qui ont fait fortune dans la contrebande témoignent que ce fut longtemps une activité fort juteuse.

Douze ans après la création par les alliés de la guerre du Golfe, en avril 1991, de la «zone de sécurité» destinée à abriter les centaines de milliers de Kurdes qui avaient fui jusqu’aux frontières de la Turquie et de l’Iran, la région kurde, devenue peu à peu, de facto, un Etat semi-indépendant, avec son parlement, et ses gouvernements kurdes, jouit d’une prospérité étonnante. Une prospérité paradoxale, qu’elle doit en partie à la contrebande, mais surtout à la résolution 986 du Conseil de Sécurité des Nations unies, la résolution «pétrole contre nourriture». Depuis fin 1995, entre 4 et 5 milliards de dollars, prélevés sur les recettes des exportations de pétrole de l’Irak, ont été dépensés sous la supervision directe des Nations unies, en coopération avec les autorités kurdes, d’abord pour nourrir la population, et ensuite pour reconstruire les infrastructures. Le résultat est frappant: pour la première fois dans l’histoire de l’Irak, la région kurde est prospère, la région arabe misérable.

Les contrebandiers sont au chomage

«Malgré les innombrables obstacles administratifs créés par le gouvernement de Bagdad, malgré la lourdeur de la bureaucratie onusienne, nous avons pu réhabiliter et construire de nombreuses infrastructures», souligne Sami Abder Rahman, vice-premier ministre du gouvernement kurde d’Erbil. «Nous avons reconstruit des centaines d’écoles, des hôpitaux, des centaines de kilomètres de routes, nous avons reboisé le Kurdistan. Avant 1995, il ne restait plus rien au Kurdistan. Nous avons prouvé que les Kurdes ne sont pas de mauvais hommes de gouvernement».

Mais Sami Aber Rahman est le premier à reconnaître que la situation reste «précaire». Longtemps le symbole de la prospérité de la région kurde, le «dinar suisse», va être supprimé le 15 janvier, et remplacé par le «nouveau dinar», changé à un taux imposé par les Américains et défavorisant les Kurdes. Et les affairistes qui ont bâti des fortunes sur la contrebande sont désormais au chômage technique, depuis que les frontières sont ouvertes, et que les Américains ont supprimé les droits de douane. Même Haji Mashoud, le propriétaire du supermarché Mazi de Dohok, reconnaît que les règles du jeu ont changé: depuis la chute du régime de Saddam Hussein, la réunification de l’Irak, et l’ouverture des frontières, «n’importe qui peut aller en Turquie et ramener des marchandises pour sa petite boutique: ce n’est pas bon pour les grands magasins comme le mien». Et Haji Mashoud, qui a investi quelque 5 millions de dollars dans son supermarché, admet qu’il va devoir désormais investir dans de nouveaux domaines, en particulier dans le tourisme. Cela ne l’empêche pas de superviser la construction de 3000 mètres carrés de nouvelles galeries commerciales à côté du supermarché Mazi.

A l’autre extrémité du Kurdistan, à Souleimania, souvent appelée la capitale intellectuelle du Kurdistan irakien, un homme d’affaires kurde dirigeant une entreprise de télécommunications, se montre lui aussi très optimiste: «Nous autres kurdes, nous avons été victimes pendant 12 ans d’un double embargo», rappelle-t-il, «celui des Nations unies, et celui de Saddam Hussein. Mais pendant ce temps nous avons mis en place un système économique moderne, libéral, tandis que Saddam Hussein investissait tout l’argent du pétrole dans ses palais et les armes... Il ne restait au peuple irakien que des dinars photocopie, du papier monnaie sans valeur. Aujourd’hui, nous, les Kurdes, nous sommes prêts. Nous avons des plans de reconstruction d’un milliard de dollars pour la seule région de Souleimania. Nous allons construire un aéroport, et une voie ferrée reliant Kirkouk à Souleimania -un projet ébauché avant la chute de la monarchie, et qui dort toujours dans les dossiers du Baas! Il y a quelques mois, un ouvrier était payé 40 dinars (3 euros) par jour. Aujourd’hui on n’en trouve pas à 90 dinars (environ 7 euros). Le temps des vraies affaires est arrivé».



par Chris  Kutschera

Article publié le 28/10/2003