Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Indonésie

Bali entre souvenir et désespoir

Il y a un an, un attentat de la Jemaah Islamiyah, une organisation liée à al-Qaïda, tuait 202 personnes dans l’île indonésienne de Bali. Les plaies sont encore vives notamment pour la population locale confrontée à une crise économique sans précédent.
De notre envoyé spécial à Bali

3 000 personnes se sont réunies à Kuta Beach pour commémorer le premier anniversaire de l’attentat du 12 octobre 2002. La cérémonie a eu lieu en présence de John Howard, le Premier ministre australien. Car l’Australie fut le pays le plus meurtri par l’attentat. 500 membres de famille de victimes furent d’ailleurs invités par le gouvernement de Canberra à se rendre à Bali. Ils se sont d’abord recueillis en silence, puis ont déposé des gerbes de fleurs avant d’écouter le nom des 202 victimes, égrené par haut-parleur. D’autres commémorations se sont déroulées, en marge de cette cérémonie officielle, notamment des prières réunissant des chrétiens, des hindous et des musulmans. John Howard a déclaré qu’il lutterait sans relâche contre le terrorisme avant d’appeler au renforcement de la coopération régionale.

Seule fausse note de la journée, l’absence de Megawati Sukarnoputri. La présidente indonésienne inaugurait, ce matin, un pont dans les îles Sulawesi. Cette absence risque de ternir encore un peu plus son image en Australie où l’on dénonce souvent son laxisme à l’égard des extrémistes musulmans. Du côté balinais, on ne s’est pas beaucoup mobilisé. 38 locaux ont péri dans l’attentat mais la population souffre avant tout de la baisse vertigineuse de l’activité touristique. L’attentat fut en effet une catastrophe sans prédente pour l’économie locale, qui repose à 90% sur le tourisme.

En un an, la fréquentation de l’île a baissé de moitié. De nombreux hôtels et restaurants ont fermé et 100 000 balinais se sont retrouvés au chômage. La situation s’améliore un peu depuis quelques mois mais on est encore du tourisme de masse qui prévalait avant l’attentat : Un an après le carnage, les effets de la bombe sont encore visibles partout. Les esprits sont à cran et le taux de suicide n’a jamais été aussi élevé, de même que les violences conjugales. Les plaies sont vives mais les balinais cherchent avant tout à oublier. La construction d’un monument du souvenir sur les lieux de l’attentat, que l’Australie a réclamé et obtenu des autorités locales, est donc plutôt mal ressentie par la population : «Ce monument n’est pas en adéquation avec la culture balinaise qui ne cultive pas la douleur» explique Ketut Ari, une balinaise qui a perdu un ami dans l’explosion. «Ce monument va nous rappeler constamment la tragédie, il va nous rendre encore plus triste et les familles des victimes ne pourront pas faire leur travail de deuil dans de bonnes conditions».

Un indépendantiste sommeille en chaque Balinais

Autre traumatisme à gérer pour les autorités : l’attentat du 12 octobre, commis par des islamistes javanais, a crispé les relations entre les Balinais, hindouistes, et les immigrés indonésiens, majoritairement musulmans. Des immigrés qui atteignent aujourd’hui près de 20% de la population et qui ont rendu la présence islamique de plus en plus visible. Dans certains villages, l’appel à la prière est maintenant diffusé par haut parleur. Une véritable agression pour les Balinais dont le mode vie repose intrinsèquement sur la religion hindoue. Minoritaires dans le plus grand pays musulmans au monde, ils cultivent leur différence. Impossible pour le visiteur d’ignorer cet aspect. On rencontre des temples dans tous les villages, des oratoires dans tous les champs et des offrandes à tous les coins de rue.

A ce fossé culturel, s’ajoute le sentiment d’être dépossédé des richesses de l’île. Les principaux complexes hôteliers sont en effet contrôlés par des hommes d’affaires javanais à qui la dictature Suharto avait permis d’acquérir des terres au plus bas prix dans les années 1980. L’arrivée récente de Javanais, de condition plus modeste, concurrence aussi maintenant le petit commerce balinais. Enfin, l’idée que les Javanais ont apporté la drogue et la prostitution dans l’île est très répandue, certains religieux allant même jusqu’à interpréter l’attentat de la Jemaah Islamiyah comme une punition divine dont il faut tirer les leçons en purifiant l’île de ses composantes non-hindouistes. Preuve que la menace est bien réelle : des Javanais sont régulièrement passés à tabac par des milices balinaises depuis un an. En revanche, ces tensions n’ont pas encore trouvé de traduction politique.

Officiellement, il n’y a pas de mouvement indépendantiste balinais. Mais l’attachement de l’île –indépendante jusqu’à la colonisation hollandaise– à la République indonésienne est très fragile comme le souligne le rédacteur en chef du Bali Post: «Il y a un indépendantiste qui sommeille à l’intérieur de chaque Balinais. La population pense que l’île est économiquement viable sans l’Indonésie. Et si elle perçoit que Jakarta ne la protége contre les radicaux musulmans, elle s’orientera naturellement vers l’idée d’indépendance». L’année électorale dans laquelle entre l’Indonésie, verra peut être ces sentiments s’exprimer

L’attentat du 12 octobre fut une catastrophe pour l’économie balinaise, qui repose à 90% sur le tourisme. De nombreux hôtels et restaurants ont fermé et 100 000 balinais sont toujours au chômage. La situation s’améliore un peu depuis quelques mois mais on est encore du tourisme de masse qui prévalait avant l’attentat. Les esprits sont à cran, le taux de suicide n’a jamais été aussi élevé, de même que les violences conjugales. Les plaies sont vives mais les balinais cherchent avant tout à oublié. La construction d’un monument du souvenir sur lieux de l’attentat, que les australiens ont réclamé et obtenu des autorités locales, est donc plutôt mal ressentie par la population.

Autre traumatisme à gérer pour les autorités : l’attentat, commis par des islamistes javanais, a crispé les relations entre les balinais, hindoues, et les immigrés indonésiens, majoritairement musulman. Il ne faudrait pas plus qu’une nouvelle bombe, expliquent les experts, pour que Bali remette en question son appartenance à la République indonésienne. L’année électorale dans laquelle entre l’Indonésie, verront peut être ces sentiments s’exprimer.



par Jocelyn  Grange

Article publié le 13/10/2003