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Zambie

Vol, corruption et abus de pouvoir

Ce lundi 13 octobre, la justice a signifié à l’ancien président Frederick Chiluba de nouvelles accusations de corruption pendant l’exercice de son mandat (1991-2001). Aux côtés de six co-inculpés, tous d’anciens dignitaires de son régime, Frederick Chiluba doit répondre cette fois de 150 délits d’abus de pouvoir ou de détournements de fonds publics, portant sur 29 millions de dollars. Ces charges viennent s’ajouter à celles qui lui ont valu d’être arrêté le 24 février dernier à Lusaka et qui concernaient 40 millions de dollars. Frederick Chiluba avait été libéré sous caution. Mais son successeur, le président Levy Mwanawasa se déclare déterminé à poursuivre une croisade anti-corruption à usages intérieur et extérieur.
A supposer que «95% des richesses volées au peuple zambien soient rendus, je pourrais envisager d’utiliser mon droit constitutionnel de pardonner», sermonne le président Levy Mwanawasa. Sinon, ajoute-t-il, «la justice doit suivre son cours». Celle-ci a fixé le procès de l’ancien président au 30 octobre. Ce sera de fait le procès du régime Chiluba. Il est donc très attendu, d’autant que le passif des accusés vient de grimper à 69 millions de dollars et que le cercle des comparses présumés de Frederick Chiluba se consolide sous les accusations répétées de la justice zambienne. Le 1er octobre dernier, par exemple, l’ancien chef des services de renseignements de Chiluba, Xavier Chungu avaient été acquitté d’une plainte pour vol de biens publics. Le soir même il a été interpellé et conduit devant la police judiciaire pour s’entendre reformuler 85 nouveaux chefs d’inculpations de même nature. Lui-aussi libéré sous caution, il est l’un des six co-inculpés de Chiluba convoqués par la justice ce 13 octobre.

Dette abyssale

Sur le banc des accusés, aux côtés de Chiluba, figurent aussi l’ancien ambassadeur zambien aux Etats-Unis, Atan Shansonga, l’ancien chef du département économique du gouvernement, Bede Mphande, l’ancienne secrétaire du ministère des Finances, Stella Chibanda ainsi que deux hommes d’affaires influents Faustin Kabwe et Aaron Chungu dont la société aurait servi de «blanchisseuse». Par ailleurs, fin août, le conseiller économique de l’ancien président avait été arrêté à la demande de la Commission nationale anti-corruption pour s’être servi dans la caisse de la Fondation pour les retraites du service public dont il était également le PDG. Ces prélèvements de 4500 dollars ressemblent à une «prime de départ» subtilisée entre juin et décembre 2001, c’est-à-dire à la fin du mandat de Chiluba. Un autre responsable de cette caisse de retraite est également inculpé pour d’autres malversations entre 1999 et 2002.

Depuis 1975, l’économie zambienne n’a cessé de s’effondrer avec la chute vertigineuse des cours du cuivre qui ont vu la production se réduire de quelque 800 000 tonnes par an à peu ou prou 200 000 aujourd’hui. La fonte de l’or rouge ajoutée aux ravages du sida dans les rangs des travailleurs ont laminé la société zambienne, très urbanisée – en raison de la place centrale accordée au secteur, de la colonisation à l’indépendance – et difficilement reconvertible dans l’agriculture, faute de capacités d’investissement et en raison de la sécheresse récurrente. Mais, à la différence du «père de la Nation zambienne», Kenneth Kaunda (1964-1991), l’ancien syndicaliste Frederick Chiluba s’est fait le chantre de la privatisation dès son arrivée au pouvoir. Mais surtout, il a aboli la réglementation des prix des denrées alimentaires qui permettait encore aux Zambiens d’accéder au minimum vital de mealy mill, la bouillie de maïs, l’ordinaire des chômeurs et des pauvres.

La Banque mondiale et le Fonds monétaire internationale n’ont pas été plus tendre avec Chiluba qu’ils ne l’avaient été avec le patriarche Kaunda. Le trou de la dette zambienne n’a cessé de se creuser jusqu’à des abysses insondables, autour de 5 milliards de dollars. En lançant sa campagne anti-corruption contre son prédécesseur, c’est aussi à ces questions que Levy Mwanawasa cherche à répondre. Pour sa part, il accuse un retard de six mois dans le nouveau plan de remboursement concocté par la Banque mondiale qui promettait de réfléchir à une réduction de 2,5 milliards de dollars de la dette zambienne si Mwanawasa tenait ses engagements. Ce dernier promet d’y parvenir d’ici juin 2004 (contre l’objectif initial de décembre 2003) et justifie ses dépenses «excessives» par des priorités budgétaires incontournables concernant notamment les salariés de la fonction publique.

Les 69 millions de dollars réclamés au régime Chiluba sont une goutte d’eau dans le trou financier zambien. Mais la lutte anti-corruption a permis à Mwanawasa de se démarquer de Chiluba dont les mauvaises langues disaient qu’il n’était qu’une marionnette. Par ailleurs, en décembre 2001, Levy Mwanawasa avait emporté les présidentielles d’une très courte tête (28% des voix contre 27%, soit 34 000 voix d’avance) devant Anderson Mazoka du Parti uni pour le développement national (UPND). Ce dernier vient justement de demander à la Cour suprême de recompter les bulletins de vote. L’opposition accuse même Mwanawasa d’avoir financé sa campagne présidentielle sur des fonds publics. D’autres détracteurs posent la question de sa santé mentale après le très grave accident de la route de 1992 qui lui a laissé des séquelles audibles quant il prend la parole. Reste que les électeurs ne le prennent ni pour un fou, ni pour un voleur, lorsqu’il bataille contre la corruption de son prédécesseur.

Depuis fin septembre, le président Mwanawasa s’est lui-même chargé du portefeuille de la Défense après la démission de son titulaire. La Cour suprême avait en effet jugé ce dernier coupable d’avoir distribué indûment des médicaments destinés aux services publics, d’avoir utilisé des véhicules de l’Etat et dépensé des fonds publics à ses propres fins de candidat député, pendant les législatives de 2001. Plus que jamais, Levy Mwanawasa s’affiche comme le Monsieur Propre de la Zambie, avec la Cour suprême comme principal balai. Il avait lancé sa croisade anti-corruption dès juillet 2002, en faisant voter au Parlement la levée de l’immunité présidentielle de Chiluba. Le 19 septembre dernier, l’ancien président a été débouté de son appel par la Cour suprême. La voie est libre pour l’assaut final contre la forteresse Chiluba.



par Monique  Mas

Article publié le 13/10/2003