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Sri Lanka

La crise politique menace les pourparlers de paix

A l’initiative de la présidente du Sri Lanka, l’état d’urgence a été décrété, trois ministres ont été limogés (Défense, Intérieur et Information), les travaux du parlement suspendus pour deux semaines, et l’armée a été placée en état d’alerte. La cohabitation sri lankaise résiste mal à la pression des négociations avec les rebelles tamouls et à leurs revendications de large autonomie pour le nord de l’île. Le Premier ministre, en visite officielle à Washington, réaffirme sa légitimité. La communauté internationale est inquiète. Les décisions présidentielles de ces prochaines heures seront décisives pour l’avenir de l’île.
Cette crispation survient à quelques jours de la présentation, par la rébellion tamoule, de sa proposition pour un règlement définitif du contentieux qui l’oppose au pouvoir central de Colombo. Cette proposition a été vivement critiquée par le parti présidentiel mais, selon un conseiller de la présidence, c’est la dégradation des conditions de sécurité qui a conduit la présidente Chandrika Kumaratunga à décréter l’état d’urgence. D’ailleurs son porte-parole précise que la présidente lui «a spécifiquement demandé d’affirmer que l’accord de cessez-le-feu est et restera en vigueur et qu’il n’est pas remis en question». «La présidente n’a aucune intention de reprendre ou de provoquer la reprise des hostilités». Le cessez-le-feu entre les séparatistes tamouls et les autorités de Colombo, conclu sous l’égide de la Norvège, est en vigueur depuis le 22 février 2002.

Pourtant cette affaire semble bien être au cœur de la crise qui déchire aujourd’hui une cohabitation sri lankaise conflictuelle depuis les élections législatives de décembre 2001. La constitution de ce pays, inspirée de celle de la France, permet en effet ce type de configuration où les deux principales figures de l’exécutif n’appartiennent pas à la même famille politique. Avec tous les risques de tensions internes que cela comporte et qui peuvent revêtir un caractère de gravité exceptionnelle lorsque, comme c’est le cas, le pays est en guerre civile. Or, de longue date, la présidente Chandrika Kumaratunga conteste au Premier ministre Ranil Wickremesinghe ses initiatives dans la conduite des négociations avec la Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE).

Samedi, après huit mois de boycott des pourparlers, ces derniers sont sortis de leur réserve pour exposer un plan de paix largement axé sur l’autodétermination du nord de l’île, proposition revenant à une partition de facto du pays, selon le parti présidentiel. De fait, le document prévoit la mise en place d’une autorité de gouvernement autonome intérimaire disposant des pouvoirs de percevoir des impôts, de maintenir l’ordre, de contrôler le commerce et de négocier les prêts et les dons de l’étranger, dans un cadre fédéral. Sur cette base, les Tigres se déclaraient prêts à reprendre le dialogue. Mardi soir, dans un discours prononcé à la télévision, la présidente a réaffirmé qu’elle «restait disposée à discuter avec les Tigres (…) d’une solution juste et équilibrée au problème national, en prenant en compte les paramètres de l’unité, de l’intégrité territoriale et de la souveraineté du Sri Lanka».

Vers des élections anticipées ?

C’est à Washington où il effectue une visite officielle que le chef du gouvernement sri lankais a appris la décision présidentielle. En réaction, après avoir dans un premier temps accusé sa rivale de plonger le pays dans «le chaos et l’anarchie», Ranil Wickremesinghe a réaffirmé sa propre légitimité politique et estimé qu’il jouissait de l’autorité nécessaire pour poursuivre les pourparlers entamés avec les LTTE accusant la présidente de mener une tentative désespérée et irresponsable pour empêcher leur succès. M. Wickremesinghe devait être reçu mercredi par le président George W. Bush dont l’administration soutient le processus de négociations en cours. Selon l’AFP, des responsables du département d’Etat ont souligné que la présidente avait profité de l’absence de son Premier ministre pour créer une crise constitutionnelle. En effet, la situation est inédite et on s’interroge sur le scénario de sortie de crise. L’hypothèse de la tenue d’élections législatives anticipées est avancée, avant l’échéance de 2007. Ce qui ne garantirait en rien un basculement du parlement en faveur du parti présidentiel. En attendant, les événements de ces dernières 24 heures constituent un tournant difficile pour le pays, une menace pour sa stabilité politique et, sans préjuger d’une nouvelle détérioration du climat, un coup dur pour les négociations en cours.

Après plus de 30 ans de conflit politique entre Cinghalais et Tamouls, 20 années de guerre civile et 60 000 morts, ce brusque regain de tension provoque évidemment des réactions d’inquiétude de la part de la communauté internationale. Le secrétaire général de l’ONU déclare «espérer que les décisions de la présidente n’auront pas d’impact négatif» sur le processus de paix. Côté américain, le département d’Etat se dit «préoccupé» et appelle «le Premier ministre et le président à travailler ensemble pour encourager le processus». Pour sa part l’Union européenne a estimé que la paix «ne pouvait être atteinte que grâce à la poursuite de la coopération de toutes les parties». L’Inde voisine souligne le risque de crise constitutionnelle «qui aurait des conséquences sur la stabilité politique au Sri Lanka et sur le processus de paix en cours». Le Japon, plus gros donateur d'aide financière au pays, espère que «ces manœuvres politiques de la présidente ne conduiront pas à l’interruption du processus».

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par Georges  Abou

Article publié le 05/11/2003